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Xavier Desrosiers

Le jupon dépasse



Clac clac. Clac clac. Clac clac. Ses pas résonnent dans les corridors de la Faculté. Le bonhomme est aujourd’hui venu à l’école en suit. D’un geste furtif du bras gauche, il regarde sa montre. Il ne regarde pas l’heure, cependant ; il regarde sa montre. Témoignage de sa superficialité. En relevant la tête, il jette un regard condescendant sur ce qui l’entoure. C’est de ce coup d’œil qu’il se satisfait de sa personne, car entre les mères de familles et ces bambins fraîchement sortis du Cégep, qui sont pour l’instant ses collègues, il y aura quelques élus. Des élus qui, comme lui, ont et auront leur place parmi l’élite de ce monde. L’élite sociale. L’élite économique.


Appelons notre homme Manolo (nom fictif). Manolo est probablement blanc, hétérosexuel et issu d’une famille aisée de Montréal. Manolo est la personnification du rêve qui l’a forgé et qu’il a forgé : Succès, succès et encore des succès. Think big, lui a-t-on toujours dit. L’échec n’est pour lui qu’un jeu de table (auquel il se débrouille d’ailleurs pas mal bien) et le terme « méritocratie » sonne doux à ses oreilles.


Manolo est étudiant en droit à l’Université de Montréal. Fier de l’être, il n’a pas peur de le montrer, glissant son Code civil sous son bras dans l’autobus, s’assurant de le rendre bien visible. D’ailleurs, s’il prend l’autobus, c’est simplement pour se rendre au siège de l’organisme communautaire pour lequel il fait du bénévolat.


Manolo est, aux yeux des acteurs et actrices du monde juridique, le modèle de l’étudiant idéal : assidu, déterminé, ambitieux, brillant, ouvert d’esprit. Ce que tout employeur veut, c’est un Manolo. Et Manolo le sait. Il fera tout pour leur plaire, ses patrons futurs et actuels.


Mais Manolo, existe-t-il vraiment ? Est-ce plutôt un mythe perpétré par des filles en comm. qui ont écouté deux saisons de Suits ? Et même s’il existe, Manolo, combien lui sont semblables ? Des humains comme on en décrit dans Royal, c’est vraiment légion dans votre cours d’Affaires ?


Non. Probablement pas. Mais l’ambiance dans laquelle vous et moi évoluons nous laisse croire le contraire.


Souvenez-vous : avant même d’être rentré dans votre premier cours du bac, on vous a convié dans le laboratoire de cyberjustice, cette grande salle que vous n’avez sans doute plus revue. Là, il y avait des gens qui semblaient importants ; ce seront vos futurs enseignants, vous apprend-on. Et puis le doyen (quel titre incroyable) a fait un discours mémorable. Un discours qui tournait probablement autour du fait que vous étiez l’élite de la société. L’élite.


La question mérite d’être posée : sommes-nous, étudiants en droit, vraiment l’élite ?


Aux yeux de certains, cette question n’a pas d’importance. Pour eux, c’est la perception qu’on a de vous et moi qui importe, pas qui nous sommes vraiment. Dès lors, il est plus facile pour eux de justifier les moyens à l’éthique douteuse dont on se sert pour faire la promotion du monde juridique, cet univers glamour et pompeux où il fait bon vivre.


Prenons l’exemple du budget de notre association étudiante. Évidemment, nous n’avons pas le droit d’en discuter les détails (sic). Mais un constat s’impose de par la nature de notre programme et de la profession qui en découle : il est gigantesque, ce budget. Bien sûr, qui dit beaucoup de sous dit beaucoup de belles activités. Et là-dessus, pas mal impossible de se plaindre : la vie étudiante du programme de droit est sans aucune doute l’une des plus riche et diversifiée au Québec. Mais à quel prix ? Exemple : nous avons, dans le cadre de nos partenariats financiers, droit à des conférences d’institutions financières qui nous expliquent comment se servir de notre (faramineuse) marge de crédit. Ainsi, en échange de quelques bidoux, on leur propose de venir nous faire la promotion cette démoniaque pratique qu’est l’endettement étudiant à grande échelle.


La justification est évidente. Sa richesse, douteuse. On nous dit que pour avoir droit à la riche vie étudiante et aux services dont nous bénéficions, ça prend des fonds. Et que les organisations les mieux outillées pour nous en fournir, des fonds, ce sont celles qui attendent le plus grand retour sur investissement. Ce sont donc ces immenses cabinets, pour qui non seulement les stagiaires, mais également l’aura de superpuissance, ont une valeur inestimable. Ce sont également des grosses entreprises pas folles du tout qui comprennent qu’une future avocate est une cliente potentiellement bien plus avare et avec les poches plus profondes qu’un étudiant d’un autre programme.


Le résultat : nos activités à nous, étudiants en droit, sont financées par des gens qui attendent quelque chose en retour. Jamais (ou, du moins, rarement), il ne sera question d’organiser une conférence, un 4@7 ou une simulation simplement pour alimenter une réflexion intellectuelle et ainsi former des juristes conscients du monde qui l’entourent.


Évidemment, donner des beignes et du café est bien plus enrichissant.


On nous dira que non, nos pourvoyeurs de fonds sont plutôt fiers d’être partenaires d’activités mettant en lumière des enjeux sociaux. Parions cependant que pour chaque dollar investi dans une conférence sur le droit autochtone, quelques milliers d’autres sont gagnées en honoraires pour avoir défendu des pipelines.


Les étudiants en droit de l’Université de Montréal sont perçus comme des Manolo.


tort ou à raison, on ne les voit pas du même œil, du moins au sein du milieu juridique, que leurs collègues des autres universités québécoises. Ce sont eux qui obtiennent le plus de postes de stagiaires dans les plus gros cabinets, qui se trouvent évidemment à Montréal. Eux qui alimentent le mythe de l’avocat Mike-Ross-like, prêt à travailler une quantité ridicule d’heures pour plaire à ses patrons.


Cependant, c’est un mythe qui, aux yeux de certains, est non seulement fondée, mais vaut la peine d’être entretenu. Les quelques Manolo chanceux qui auront la chance de faire du 80 heures semaine l’été prochain sont fiers d’être qui ils sont. Et c’est formidable ; le fait que ces gens arrivent à trouver une passion et un mode de vie qui leur convient est louable, sans aucun doute. Le problème, c’est que pour tous les autres, celles et ceux qui n’ont pas envie et/ou qui ne peuvent pas d’avoir une telle carrière, être envahi par cette atmosphère dont Manolo est friand est nocif à un niveau grave.


Un jour, les données par programme de l’étude sur la santé mentale de la FAÉCUM devraient sortir. Parions que pour le programme de droit, les chiffres seront alarmants. Qui blâmer ? Manolo, évidemment, sera pointé du doigt ; c’est dû à sa compétitivité et son brûlant désir de succès que les autres étudiants ressentent une pression de bien réussir. Mais pourquoi pas pointer du doigt les créateurs de cet étudiant-type ? Ces hyperentreprises/cabinets qui ont tout intérêt à entretenir le mythe de l’étudiant en droit hargneux et vile s’en tirent à bon compte ; on les pardonne parce qu’ils financent nos activités.


L’ association étudiante a une responsabilité envers ses constituants. Elle se doit de diversifier ses partenariats. Les seuls critères sont actuellement l’argent et la place potentielle que ledit partenaire peut occuper dans un curriculum vitae. Il est nécessaire plus que jamais de s’associer avec des organismes qui aideront à former de futurs juristes sains et non de simples outils de production et du bétail à argent.

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