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Nicolas Thiffault-Chouinard

Si peu d'importance


Quelques mots sur la neutralité religieuse de l’État et l’inutilité de mesures législatives à ce sujet. Une piste de réflexion.


Le 17 octobre dernier, l’Assemblée nationale du Québec adoptait le projet de loi soixante-deux intitulé Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes. À l’étude depuis déjà deux ans, ce projet se veut la réponse du gouvernement québécois au rapport de la commission présidée par Gérard Bouchard et Charles Taylor en 2007.


Dix ans après les recommandations, pourtant simples, des commissaires, le gouvernement a présenté à l’Assemblée une loi qui ne satisfait absolument personne. D’abord les partis d’oppositions, la Coalition Avenir Québec en tête, matraquent le gouvernement, soutenant que le projet n’est que de la poudre aux yeux et qu’il sera facilement contourné. Seul point de dissonance: Québec solidaire. À l’opposé, l’ensemble de la classe politique à l’extérieur du Québec, le premier ministre Justin Trudeau au premier chef, s’indigne de cette loi qui brimerait le droit fondamental à la liberté de religion. Mieux encore, le premier ministre laisse même la porte ouverte à une contestation judiciaire de la loi.


Ce qui nous porte à réfléchir à la question suivante: le visage découvert est-il nécessaire pour assurer la neutralité religieuse de l’État? Un agent de l’État, citoyen avant toute chose, ne devrait pas, à mon sens, avoir à renoncer à ses droits, seulement parce qu’il est commis dans un point de service de la SAAQ. En contrepartie, un athée devrait-il, dans ses relations avec l’État devoir “subir” la religion d’un commis d’un État qui, au passage, ne devrait privilégier aucune religion au dépens d’une autre? Cette question est complexe et il se donne, au sein de cette Faculté même, des cours de quarante-cinq heures sur l’exégèse de l’article premier. Ce n’est pas l’ambition de ce texte.

J’avance plutôt l’idée que la loi 62 est une tactique de basse politique mise de l’avant par le gouvernement libéral afin de s’attirer la sympathie d’une frange d’électeurs glissant vers la droite. Une tactique pour voler du terrain à la CAQ et au PQ, dans les fines limites de la légalité. La preuve est toute simple: si réellement le gouvernement avait voulu assurer la neutralité religieuse de l’État québécois, il aurait retiré le crucifix trônant au-dessus du président de l’Assemblée nationale, juste sous les armoiries de notre monarque, un autre anachronisme douteux. Or non, on se drape dans l’argument alambiqué de l’identité historique.


Sans compter que cette loi est hypocrite et discriminatoire pour une autre raison; son effet réel est de cibler les minorités religieuses. Soyons réalistes: les chrétiens ne portent pas de signes religieux ostentatoires susceptibles de couvrir leur visage. Cette loi vise les personnes, principalement les femmes, de confession musulmane que l’on atteint avec le principe général de “visage découvert”, c’est purement scandaleux. Personne n’aurait l’idée saugrenue de se présenter au comptoir de la SAAQ pour prendre sa photo de permis de conduire vêtu d’une cagoule, sauf peut-être quelques illuminés. Faut-il légiférer pour les illuminés, au risque de violer les droits des autres? Franchement, si telle est la logique du gouvernement, il est clair qu’elle est à dessein et que ce dessein est de plaire à un électorat intolérant, sous le prétexte d’une norme objective.


Que faut-il penser de l’argument sécuritaire dans ce cas? Que répondre, par exemple, à ceux qui avancent qu’il est justifié de limiter la liberté de religion pour assurer l’identification des gens, dans une perspective sécuritaire? C’est un argument rationnel. Il se défend. Or, est-ce que tous les services de l’État nécessitent une identification absolue et à visage découvert? Serait-il terriblement dangereux qu’une femme portant le voile intégral emprunte un livre à la BANQ sans retirer son voile pour que le commis s’assure qu’il s’agit bien d’elle? C’est vrai que la fraude de carte de bibliothèque est un crime grave…


Ensuite, dans l’espace limité qui se défend réellement, notons ici le témoignage devant un tribunal en matière pénale, l’identification par un policier sur la route, l’identification par le personnel médical, l’identification par un commissaire électoral, il doit y avoir des accommodements. Un constitutionnaliste vous répondra assurément que tout ne peut être noir ou blanc. Cependant, cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à poser des balises, bien au contraire, mais une loi doit être applicable et cohérente. On doit pouvoir l’appliquer et elle doit donner suffisamment de latitude aux acteurs pour adapter leurs actions, tout en protégeant le cœur des droits protégés. Ce n’est pas en écoutant les auditeurs remontés d’une ligne ouverte de fin de soirée que le gouvernement doit décider de ses orientations, c’est ridicule.


Enfin, je conclurais sur ce point, légiférer en matière religieuse est inutile. D’abord parce que dans le contexte canadien, notre Charte protège la liberté de religion de manière si large et libérale que toute loi pourrait être attaquée. (Insatisfait? Essayez donc de changer la Constitution. C’est ça, bonne chance.) Bref, l’intolérance d’une poignée de citoyens très bruyants masque, à mon avis, l’indifférence d’une majorité qui a bien d’autres chats à fouetter que de voir les politiciens débattre pendant une éternité à savoir si une femme musulmane pourra ou non prendre l’autobus avec son voile. Mon père, grand sage, à ce sujet avait les mots d’esprit suivant en lisant son journal l’autre jour: “Si elle paye son billet, a peut ben prendre l’autobus comme a veut, qu’est-ce que tu veux que ça me fasse”. Au final, un sujet de si peu d’importance, utilisé pour attiser les braises de l’intolérance. Simplement décevant.

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