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Mollie Poissant

Top 5 des albums rap de 2017



Partout à travers le monde, le hip-hop et le rap se font entendre. En passant par Rich Chigga en Indonésie, LAY au Brésil ou Keny Arkana en France, les rappeurs et rappeuses ont une force d’expression extraordinaire visant souvent à dénoncer les réalités sociales et les multiples revendications identitaires s’y rattachant. Le rap actuel, outil parfois violent, parfois fortement stéréotypé, parfois incompris, mais souvent bien populaire, fut particulièrement remarqué sur la scène musicale tant locale qu’internationale en 2017. Deux-mille-dix-huit se pointe le nez et semble pleine de rebondissements, de spectacles magiques et d’un futur musical plus que prometteur. Pour célébrer en grande pompe ce début d’année, voici un récapitulatif - loin d’être exhaustif - de ma sélection personnelle des 5 albums de rap et hip-hop les plus marquants de 2017.


1992 Deluxe, Princess Nokia • Production Rough Trade Records

Date de sortie: 8 septembre 2017


Princess Nokia est un produit hip-hop de la contre-culture alternative New Yorkaise. C’est Destiny Frasqueri qui écrit les textes sous le mystérieux pseudonyme de Princess Nokia. Elle nous livre ici un puissant témoignage sur les conséquences du colonialisme en Amérique du Nord et des questions identitaires perçues par les générations futures. Tout au long de l’album, de la première piste à la seizième, elle nous transporte dans son East Harlem natal où se mêle un bouleversant récit autobiographique de ce qu’est la vie d’une jeune fille noire dans le système américain de la protection de la jeunesse. Malgré l'apparente lourdeur du sujet, Princess Nokia demeure drôle et authentique, et surf sur la positivité d’avoir une famille éclatée (ABCs of New York). Princess Nokia dépeint celle qu’elle était jadis, la jeune Destiny « [...] in New York growing up in the city, being a skater, being a comic book head, being a rapper, and being a really androgynous kid »[1]. Avec détachement et aplomb, la rappeuse se présente telle qu’elle est, notamment dans la seconde pièce de l’album où elle clame haut et fort « My little titties/ My phat belly/ Who that is hoe ?/ That girl is a tomboy »[2]. Sur une note plus personnelle, j’ai particulièrement apprécié de cet album que Princess Nokia ne possède pas une voix excessivement juste et harmonieuse. Au contraire, son timbre de voix est "raw" et parfois faux, ce qui rend l’album d’autant plus revendicateur pour une femme qui tente sa place dans le milieu du rap américain assez hermétique et difficilement accessible pour les femmes rappeuses de cette trempe.


DAMN. , Kendrick Lamar • Production Top Dawg Entertainment

Date de sortie: 14 avril 2017


Ai-je vraiment besoin de présenter cet album que tout le monde semble déjà connaître ? Tout juste remise de mon analyse quasi sociologique de son précédent album To Pimp A Butterfly (2015), voilà que Lamar récidive avec un chef-d'oeuvre appelé DAMN. La pièce DNA aura convaincu même les plus sceptiques que Lamar s’impose bel et bien comme le roi du rap. L’oeuvre de Lamar, qualifiée de « conscious rap »[3] est, à mon avis, tellement complète, léchée et bien produite, tout en portant un message actuel et rationnel pour les communautés noires et les groupes socio-économiques stigmatisés. Il est tout à fait cohérent que les magazines comme Pitchfork et Rolling Stones l’aient couronné grand numéro un de leurs tops albums de 2017. Avec un son plus lent que l’album précédent, Lamar vient se questionner et nous questionner sur des concepts comme l’introspection, la popularité et la créativité, ainsi que la pression lorsque l’on est adulé par tant d’admirateurs et l’icône d’une génération nouvelle de rappeuses et rappeurs. En devenant le porte-étendard musical des milléniaux, il va sans dire qu’une grande charge lui est imputée concernant celles et ceux qu’il dit représenter dans ses chansons. En effet, en adoptant un message « féministe » dans certains de ses textes, notamment dans la populaire chanson Humble « I'm so f**kin' sick and tired of the Photoshop/Show me somethin' natural like afro on Richard Pryor/Show me somethin' natural like ass with some stretch marks/Hello bitch sit down/Bitch be humble », bien que fier défenseur de la cause féministe et des stigmas associés aux femmes afro-américaines, il me semble un peu inapproprié de mentionner quatorze fois les mots « bitch sit down » tout en légitimant uniquement sa propre conception de la « vraie » beauté naturelle des femmes racisées et le "self acceptance" version Lamar. Il affirmera par la suite que ses intentions n’étaient pas là et que les mots s'adressaient davantage à ses rivaux[4]. Il demeure qu’un rappeur comme Kendrick, étant investi dans plusieurs luttes, a la charge d’être conséquent avec les valeurs multiples qu’il chante sur plusieurs fronts. Autrement, la musique de Kendrick est nécessaire et remet sur la sellette un nouveau style de rap mêlant jazz, funk et trap tout en propulsant les questions de disparité, de profilage racial et de violences policières. Pour faire écho aux écrits de Pitchfork et Rolling Stones, DAMN. est sans contredit le meilleur album rap de l’année.


Scum Fuck Flower Boy, Tyler, The Creator • Production Columbia Records

Date de sortie: 21 juillet 2017


Découvert au public lorsqu’il était avec le groupe Odd Future, Tyler, The Creator a depuis produit plusieurs albums solos dont le fameux Goblin (2011) et l'étrange Cherry Bomb (2015). Malgré l’engouement grandissant, je n’avais jamais vraiment pris intérêt à la musique de Tyler jusqu’à son dernier opus Flower Boy. La première track, toute suave et en duo avec Rex Orange County annonce d’emblée un album au style éclectique parsemé de rythmes inouïs. À mi-chemin entre le R&B et le rap, Tyler vient retrouver un son plutôt classique au rap, mélangeant synthétiseur et piano, plutôt que de s’orienter vers le trap qui prend de plus en plus de place sur la scène rap. La voix juste et douce de Tyler engage un album tout en longueur. Rien ne semble se presser et l’enchaînement des pistes se fait fluidement, ce qui est bien contraire à son esthétique antérieure parfois stressante, violente et "fast track". Les "featuring" multiples et inusités, incluant Jaden Smith, Kali Uchis, Frank Ocean et A$AP Rocky, viennent teinter l’album d’un son neuf, frais et sincèrement excellent. C’est beau comme album, ça bounce de vrai groove sans être rushant ni précipité. En plus, celui qui a été critiqué à maintes reprises pour avoir tenu de virulents propos homophobes lance cet album tout en faisant une sortie du placard complètement inattendue. Ce personnage haut en couleur et en marge de la scène rap traditionnelle est, depuis ses débuts, à la limite du rappeur stéréotypé misogyne, machiste et homophobe et de l’honnête "sweet guy". La diversité des personnages qu’il campe et le questionnement de l’auditoire quant à la personne qu’il est vraiment vient rendre l’album encore plus pertinent considérant le virage à 180 degrés qu’il opère ici. On sent qu’il a quelque chose à dire, à partager et il le partage en grand avec des rythmes surprenants, voire irréguliers, et des refrains, du type Who dat boy/Who him is ? et I rock/ I roll/ I bloom/ I glow (I glow)/I rock/I roll (what you say?), qui restent en tête longtemps. Scum Fuck Flower Boy est un album rempli de sections rythmiques funky et de rythmes de feu qui vous fera affronter avec assurance le retour à la réalité post-vacances à la Fac de droit.


Saturation II, BROCKHAMPTON • Production Question Everything Inc./Empire

Date de sortie: 25 août 2017


Une amie mélomane m’a parlé de ce groupe dont je ne connaissais strictement rien, pas même le nom. À ma grande surprise j’ai découvert un excellent groupe composé de quatorze membres qui s’auto qualifient de « first Internet boys band » puisque la naissance du groupe vient d’une simple publication sur un site de rap spécialisé. « Anybody wanna make a band ? » [6] fut la première invitation à la création sur mesure d’un "méga band" rempli de musiciens et de rappeurs accomplis s’étant rencontrés via la chance aléatoire qu’offrent les médias sociaux. Une fois réuni, le groupe de musique s’est fait fortement remarquer sur la plateforme Tumblr lorsqu’il a publié candidement « One Direction died so Brockhampton could live. »[5] Actifs depuis 2012, ils sont encore confinés à la scène moins traditionnelle, mais aspirent indéniablement à être davantage connus sur la scène internationale. Sur le monde virtuel de la plateforme Reddit, ils sont étonnamment populaires auprès de la communauté queer et des jeunes de couleur. Plus spécifiquement les bases de données montrent un nombre important de jeunes femmes utilisatrices de Reddit qui les "repost". Ils adoptent une vision lucide de leur art en déclarant dans une entrevue pour le site d’actualité technologique The Verge : « What is pop music right now? It's hip-hop »[5]. Aussi, ils tendent à redéfinir le concept de typiques "boys band" en confrontant avec franchise les consciences : « We're not white and some of us rap and like dick and dye our hair. That’s it »[5]. Leurs revendications, bien que plurielles et nombreuses en raison notamment du nombre de membres du groupe, concernent la diversité, autant musicale que culturelle, et les possibilités de créer quelque chose de tout à fait nouveau. BROCKHAMPTON réussit avec brio le pari d’un album plein d’énergie et d’idéaux qui font sang neuf dans le monde du rap. Cela semble bien être la première fois qu’un groupe de rap aussi prolifique et musicalement novateur naisse de nulle part. Ayant produit eux-mêmes leurs deux premiers albums - dont le son est impeccable par ailleurs - l’amalgame des différentes compétences et capacités de chacun est mis de l’avant lorsqu’on entend chaque membre du groupe et leur apport, tantôt à l’esthétique visuelle des clips, tantôt aux rythmes, tantôt à la création des couplets. L’album est si efficace qu’on saisit l’esprit de camaraderie et de plaisir qui les unit tous : « These are all my best friends and my favorite artists. We're giving y'all the best days of our lives right now. That's the truth. We’re sharing the best times of our lives with y’all in real time » [5]. Si vous ne les connaissez pas, les pièces JELLO et SWAMP sont à écouter avec grand déhanchement !


Before I wake, Kamaiyah • Productions maison Kamaiyah

Date de sortie: 7 novembre 2017


Rapidement, Kamaiyah Jamesha Johnson nous transporte dans son soul typiquement californien. Celle qui est inspirée depuis son plus jeune âge par Missy Elliott arrive avec fracas dans le milieu du rap américain. Acclamée dans le top des 50 meilleurs albums de 2016 par Pitchfork, The Guardian et Rolling Stones pour son "mixtape" A Good Night In The Guetto, elle livre ici un plus court "mixtape" que le précédent. Cependant, les neuf pistes ont de quoi étonner, faire danser et, surtout, de quoi être appréciées pour l’atmosphère "chillax" qu’elles propagent. Un son hip-hop plus traditionnel émane des arrangements et de la voix nonchalante de Kamaiyah, ce qui nous fait remonter un peu le temps à l’époque du rap des années 90 comme au temps de Rappin 4-Tay. Malgré sa popularité grandissante, sa visibilité et sa reconnaissance parmi les gros noms du hip-hop, la rappeuse demeure fidèle à ses textes "smooth" et ses rythmes détendus. Rien de trop "bling-bling", du type m’as-tu-vu, dans les arrangements, et le style reste grandement fidèle à la plus qu'entraînante décennie 1990-2000. Par contre, malgré la sympathique vibe qu’elle dégage, elle continue toujours son éternelle attitude "sassy" dans ma pièce préférée The Wave : « Which one of y’all gon’ top me ?/Cause ain’t nobody fucking with the wave/The coldest bitch alive ». Personnellement, le personnage est tellement attachant par son style vestimentaire et son humour que ces éléments permettent d’autant plus d’accrocher à l’album. C’est vraiment un album décontracté et cool qui est selon moi très accessible pour les personnes n’étant pas friandes de musique rap ou hip-hop. Sur un plateau d’argent, voici une compilation musicale exquise pour une incursion toute en douceur dans le monde du rap. Un conseil: commencez par la pièce intitulée Therapy.


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[3]Récupéré le 23-01-2018 de

[5]Récupéré le 23-01-2018 de

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