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Frédéric Quintal

Les ratés de nos politiques environnementales universitaires

C’est le premier février dernier que se tenait la marche de solidarité, où une cinquantaine d’étudiantes, étudiants, professeurs et employés de l’Université de Montréal se sont réunis pour encourager le désinvestissement de leur université dans le secteur des énergies fossiles. Par la tenue de cet événement, un message clair est envoyé aux gestionnaires du fonds de dotation en ce qui a trait à leur politique de financement des activités de l’université. Plusieurs personnes sont mal à l’aise avec la façon dont l’université renfloue ses coffres. Beaucoup d’informations sont tues : l’ensemble des sociétés dans lesquelles notre institution est actionnaire, à hauteur de quel montant elle est intéressée dans les activités de telle pétrolière, minière, gazière, banque ou entreprise de divertissement et de jeu et un plan concret concernant le choix et la gestion de ces investissements. Aux dernières nouvelles, la très grande majorité de ces informations demeure top secrète. La transparence n’est pas, comprend-on, une valeur primordiale dans cette enceinte.


Nous aurions bien aimé, hélas! vous donner plus de détails en ce qui a trait à l’application en temps réel de la politique en matière d’investissement responsable du Régime de retraite de l’Université de Montréal (RRUM) (ci-après « la politique »), plus particulièrement quant au respect de cette politique quand on la compare à la nature véritable des placements effectués pour faire fructifier les sommes engrangées.


Pour vous situer, le RRUM est le fonds servant à fournir les prestations de retraite au personnel de l’UdeM (totalisant en 2017 plus de 13 000 personnes). Ce fonds est constitué de cotisations provenant de l’employeur en question et de retenues sur les paies de ses employés.


Adrian Burke, professeur titulaire de la faculté d’anthropologie à l’UdeM et membre du Comité de retraite, a réussi à grand-peine à obtenir le rapport de vote de 2017 faisant état des sociétés dans lesquelles l’université est partie prenante et de ses positions face aux propositions en assemblées annuelles. Il devrait pourtant facilement (et légitimement selon nous) y avoir accès du fait de son rôle de fiduciaire élu du fonds du RRUM. Malheureusement, ces informations sont confidentielles, pour des raisons de réputation, doit-on en présumer. L’image de l’université, en effet, est à risque face à la divulgation de telles données. Pourtant, l’UdeM devrait selon nous laisser de côté l’autruche et assumer ses implications actionnariales. Il en retournera une plus grande estime générale envers la gouvernance, la stimulation d’une prise de position plus éclairée sur le sujet par les membres de l’enceinte, de forums de discussion et, au possible, une orientation tangible (pas seulement sur papier) vers des décisions tenant compte de la position réelle de la communauté universitaire.


Parlant de politique sur papier, notons des efforts dignes de mention déployés par les rédacteurs de la politique pour faire miroiter une considération accrue de l’université envers les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) tout en s’assurant qu’aucune opportunité d’investissement dans quelconque secteur ne soit exclue. Par exemple, en page 4, la politique spécifie que son application peut varier selon le type d’investissement, ce qui laisse comprendre que les investissements en eux-mêmes prévalent sur la politique encadrant le choix de ces investissements… Concernant la reddition de compte (en page 5), on nous affirme que l’université use de transparence en ne divulguant au public que ses bons coups en matière d’investissement responsable et son approche dans l’exercice du droit de vote en assemblée.


Ne serait-il pas moins opaque de s’intéresser davantage aux investissements s’écartant de la politique en s’efforçant de concilier positions et décisions pratiques plutôt que d’échouer dans une tentative de duperie en faisant étalage de paravents? À ce titre, l’université se targue d’être signataire des Principes pour l’Investissement Responsable des Nations Unies (PRI), « certifiant » ainsi son approche écoresponsable dans le choix de ses investissements. Permettez-nous de vous confirmer qu’avec une politique manquant cruellement de mordant et en constatant la réfraction continue au retrait des énergies fossiles de l’UdeM, ce genre d’adhésion nous a tout l’air d’une façade. Pratiquement, mise à part la considération envers le meilleur rendement possible des actions, nous assistons à une représentation en direct de la maxime « grand parleur, petit faiseur ». L’UdeM use d’hypocrisie, ou greenwashing, dans son approche face aux considérations environnementales.


Le nœud vient du fait que l’on soit particulièrement intéressé, comme nous l’indique le Rapport annuel de 2016 du RRUM, dans les pratiques des plus grands pollueurs de la Terre (tels Suncor ou Canadian Natural Res. Ltd à l’échelle canadienne), de compagnies usant de manœuvres illégales ou fiscalement discutables pour prendre de l’expansion ou de sociétés, comme Total S.A., ayant promu dans les années 1990 la perpétuité du régime militaire, des violations des droits de l’Homme et du recul de l’éducation en Birmanie (soulignons au passage qu’Aung San Suu Kyi, malgré ses récentes positions concernant le sort des Rohingyas, avait reçu le Prix Nobel de la paix pour s’être levée pacifiquement contre le régime militaire birman en 1991). Le non-respect des territoires autochtones dans le cas de minières voraces et l’intérêt financier considérable (selon le même rapport) de l’UdeM dans General Dynamics, spécialisée dans la fabrication de matériel de guerre, sont aussi des situations emportant leur lot d’interrogations.


Il s’agit aussi du fait que les votes de l’université lors d’assemblées générales, assimilables à des coups d’épée dans l’eau, permettent néanmoins d’exhiber son soutien aux propositions encourageant plus de transparence chez des sociétés restant vagues quant à leurs émissions de gaz à effet de serre. Ces propositions n’étant jamais adoptées (ou n’enclenchant aucun changement véritable), l’université peut-elle se faire du capital sur la base de prises de position futiles? S’ensuit une autre question insoutenable : est-ce que l’université, après coup, désinvestira de cette compagnie n’écoutant pas les propositions légitimes de ses actionnaires, ou va-t-elle s’accrocher et attendre le prochain versement de dividendes? C’est un dilemme sur lequel ses gestionnaires financiers pourront tergiverser, tandis que l’UdeM continuera à nous convaincre de la qualité de ses pratiques et de l’impact bénéfique de ses politiques.


***


L’étudiant moyen s’intéresse forcément (ou devrait s’intéresser) à la destination de ses frais de scolarité et à la façon dont son institution scolaire gère ses finances. Quand on s’y attarde un peu, ce sont les salaires des employés de l’institution et les sommes engrangées pour la retraite de ceux-ci, le financement de chaires de recherche, les bourses et aides financières remises aux étudiants, le financement de projets d’initiative étudiante, les nouvelles infrastructures, bref, pas mal tout, qui émane de la fructification des avoirs conservés dans d’innombrables fonds de tous noms et types. Il nous semble, personnellement, que nos collègues juristes en devenir, défendeurs de la justice, militants pour des causes diverses leur tenant à cœur, enclins au progrès et aux façons de le générer, soient en faveur d’un accès adéquat à de l’information les concernant de près.


Peu importe la proportion d’actifs rangés dans les énergies fossiles, nous n’en voulons plus. Il n’existe pas d’arguments suffisants, certainement pas à l’ère de la multiplication effrénée des catastrophes naturelles, pour justifier sur le long terme la conservation de tels placements nuisant à la réputation d’une institution y tenant pourtant beaucoup. La période de transition énergétique est déjà mise en branle, comme nous l’indiquent, à titre d’exemples, le déclin progressif de la production d’électricité au charbon aux États-Unis ou la popularité croissante des voitures électriques. Concernant l’avenir de l’industrie des combustibles fossiles, le Carbon Tracker Initiative est une institution parmi tant d’autres nous informant des dangers de préserver nos investissements dans ce secteur, du fait qu’ils soient tout à fait inconséquents avec les cibles de réduction d’émissions de GES à l’échelle mondiale. Des immobilisations trop nombreuses dans ce secteur combinées à un recul prochain de la demande (calqué sur les engagements de réduction en matière d’extractions) rendront les plus lents à désinvestir des victimes de l’éclatement de la « bulle du carbone ». Une baisse de popularité du secteur rendra dès lors ses titres déficitaires pour l’investisseur et jettera l’avantage économique de ses apports aux oubliettes!


La situation actuelle représente ni plus ni moins un musèlement de la part des hauts placés, la censure de ses pratiques, le moyen de ne pas être pris la main dans le sac, ou plutôt de cacher le sac. Il s’agit d’un message fort que de voir des établissements éducationnels, où la liberté de pensée, la circulation légitime d’opinions divergentes et leur considération ainsi que l’accès à l’information sont censés représenter un point d’honneur, faire à leur tête et suggérer poliment à ses usagers de regarder ailleurs en se comptant chanceux d’avoir des conditions d’étude privilégiées.


Sources

La politique :

http://www.rrum.umontreal.ca/wp-content/uploads/2017/08/Politique-en-matie%CC%80re-dinvestissement-responsable.pdf


Rapport annuel de 2016 du RRUM :

http://www.rrum.umontreal.ca/wp-content/uploads/2012/07/Rapport-annuel-2016.pdf


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