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Xavier Desrosiers

Illusion


Ça y est. Illusion Ça y est. Après avoir passé 3 ans à accumuler les B-, à jouer les profiteurs pendant les évènements professionnels (le vin) et à m’éreinter à parler du cas Turcotte dans les partys de famille, on me donnera un papier sur lequel on parlera de moi comme étant bachelier en droit. Je pourrai (mais ne le ferai pas) inscrire « L.L.B. » à côté de ma signature. Si j’ai un jour mon propre bureau, je pourrai encadrer mon papier et l’afficher sur le mur (ça, peut-être que je vais le faire). Mais au-delà de tous ces atouts de carrière, j’aurai pu créer des souvenirs immémoriaux et gagner 1001 richesses.


Et pourtant, j’aurai chialé. Pendant 3 ans, je vais m’être plains ; un enfant ingrat. Maudite courbe ! Maudite AED ! Maudite gang de corpos ! Maudits cours d’habiletés en ligne ! Pour clore comme j’ai commencé et continué, je me permets ici de chialer une dernière fois.


Quand je suis entré au bac, j’étais pompé, motivé, gonflé. À 18 ans, tout ce que j’avais c’était une grosse cote R et une jeunesse à vivre en « région. » Néanmoins, j’avais l’impression de pouvoir devenir le roi du monde et ainsi le meilleur closer du centre-ville. J’ai frappé mon premier mur quand j’ai réalisé que le centre-ville, c’était pas le coin Côte-des-Neiges/Queen Mary. Pas grave ! J’allais toujours pouvoir me trouver un droit qui m’intéressait et dans lequel j’allais trouver un sincère plaisir à travailler. Il y en avait, des options ! Puis ma collection de cours a commencé à grossir, et j’ai dû me l’avouer ; je trippais pas trop trop sur ça, le droit. Pas grave ! J’allais toujours pouvoir devenir un vrai superhéros, me servir de la justice pour aider les moins chanceux, faire une différence en faisant quelque chose comme un stage en milieu communautaire. Mais j’ai dû me rendre à l’évidence ; la piqûre, je l’avais pas assez. Ainsi, en l’espace de quelques années, je suis passé du petit bonhomme qui croit le doyen lorsqu’il lui dit qu’il est « l’élite » de la société au gars pas trop sûr d’être à sa place. Comment ça ?


C’est peut-être un peu parce que j’ai évolué dans un environnement qui a chaque jour défié mes acquis. Jamais je n’avais eu le malheur d’évoluer dans un milieu où la performance, l’individualisme et le culte de soi étaient si importants. Bien sûr, la réalité est bien loin d’être comme dans Royal (ce qu’on raconterait pour vendre des livres). Non ; c’est bien plus subtil, vicieux la manière dont vous êtes poussé à vous aliéner pour quelque chose dont vous ne voulez pas vraiment. Trop souvent j’ai ressenti de grands malaises dans des situations où des valeurs fondamentales comme le respect et l’intégrité semblent disparaître. Que celui qui ne s’est jamais impliqué dans un Comité pour son CV lance la première pierre. Paradoxe : l’environnement de pression ne s’arrêtait pas là. J’ai également eu à subir un nombre irréel de cochonneries bien-pensantes qui semblent prêtes à tout pour s’attirer du capital de sympathie. Merde. Mais qu’est-ce qui se passe ici ?


Je ne pense pas que ces effets pervers soient le fruit du programme d’étude lui-même, mais plutôt de ce qu’il représente et des personnes qui l’entreprennent. Cette fameuse profession « bourgeoise et libérale » qu’est celle d’avocat fait miroiter une glorieuse image de richesse, de succès, d’intelligence, un peu comme celle de médecin. Et pourtant l’avocat d’aujourd’hui est loin d’être celui d’hier. La profession est saturée, les salaires pas si fameux que ça. Et puis, il y en a tellement de juristes ; peut-on encore légitimement les qualifier sans condition d’intellectuels ? Ajoutons à cela de rares stages du Barreau souvent sous-payés et des conditions de vie pas très reluisantes et on s’approche plus des infirmières que des médecins. Donc, à moins de mener la grande vie dans la grande tour (ce que bien peu d’entre nous auront la chance de faire), pourquoi vouloir devenir avocat ? Par passion du métier, oui. Par contre, plus ce saint bac avançait, plus je constatais que rares sont ces collègues qui bouffent et dorment de droit. La plupart d’entre eux se sont plutôt gavé de la chose parce que la société leur a toujours dit que c’était bon de le faire. Peu trouveront une bonne justification à ce sacrifice.


Le bac en droit de l’UdeM est un sale endroit où vivre pendant 3 ans. On y subit une aura de pression horrible (voir statistiques sur la santé mentale) et les débouchés n’ont rien de fantastique si on compare proportionnellement aux autres programmes. L’illusion de la profession est bien réelle. Et pourtant, je referais la même chose demain matin.


J’y ai rencontré des personnes incroyables avec qui j’ai eu la chance d’avoir des discussions enrichissantes sur tous les sujets du monde. Des gens ouverts d’esprit, prêts à dépasser le monologue moralisateur et/ou égocentrique par amour de l’apprentissage, de l’ouverture. Ils ont défié mes acquis, m’ont fait réfléchir sur des choses auxquelles je n’avais jamais pensé. D’autres semblaient sortis droit d’un film ; des personnalités ultra-charismatique, de merveilleux fuckés, des jambons monumentaux. J’ai également eu la veine d’avoir des enseignants passionnés qui m’ont appris des choses objectivement intéressantes et qui vont m’outiller durant toute ma vie.


Mais par-dessus tout, j’aurai eu l’immense privilège d’écrire ici, dans ce papier. Le Pigeon Dissident est une plateforme essentielle à la richesse de la vie étudiante. L’Oiseau permet à tous et toutes de s’exprimer en parfaite liberté ; émettre une opinion (peu importe sa nature), faire découvrir quelque chose de nouveau, critiquer. C’est un vecteur de liberté d’expression. Je ne décrirai pas la passion que j’éprouve pour ce journal, car aucun mot ne pourra rendre justice à l’amour éternel que j’éprouve envers lui. Il m’a tant apporté.


Pour finir tout ça, j’aimerais remercier ces gens qui ont fait de mon 3 ans une époque mémorable. Merci à tous les exécutants du Pigeon que j’ai eu la chance de côtoyer durant ces deux belles années ; vous avez rendu le tout bien mieux. Un merci particulier à William Fradette, prince du Lac St-Jean, pour sa patience et sa passion. Aux Dawgz, grâce auxquels mon GPA est monté ou descendu (je ne sais plus) et qui ont eu le formidable pouvoir de me donner confiance en moi. Et surtout, merci à tous les étudiants de la Fac de droit, sans exception. Vous formez un tout capricieux, mais m’avez tout donné.

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