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Laurent Rioux-Boivin

Larry Kidd, la voix malséante du « rap queb »



Lary Kidd s’est fait connaître dans le monde du rap québécois comme « front guy » du collectif Loud Lary Ajust, groupe présent sur la scène montréalaise depuis 2010. Sa touche agressive, acerbe et très choquante est d’une particularité propre à son style lyrique, contrastant avec son affidé Loud, usant d’un style plutôt posé. Ce mélange propre à créer un genre de rap créatif et innovateur, comme en témoignent les albums Blue Volvo et Ondulé, s’est malheureusement (ou heureusement) dissocié. Les deux artistes font maintenant front en solitaire dans le « rap queb ».


Cette dichotomie de style entre les deux paroliers est encore marquée dans leur travail respectif. Loud se veut toujours d’un rap plus planant et dansant, allant jusqu’à frôler le « pop », tandis que Lary prône un genre plus invectif et choquant. Quoique moins accessible, sa marque n’en reste pas moins intéressante.


Son plus récent album, contrôle, relate l’histoire évolutive et intérieure d’un rappeur qui met au grand jour ses interrogations, ses vulnérabilités face au monde de plus en plus violent et dénué de substance qu’est le « trap ».


Le personnage se situe donc dans cette atmosphère sans morale, sans principe; un monde cru et brut, dans lequel la drogue, l’objectification de la femme, la violence et l’hédonisme effréné s’entrecoupent constamment. Le rappeur de l’époque LLA se voulait comme tel, n’hésitant pas à utiliser rimes et assonances choquantes sans aucune retenue. Une brève écoute des chansons Ondulations et La Grande Beauté permet de saisir cette idée du personnage arrogant et irrévérencieux qu’est Lary Kidd. Mais si le compositeur se veut ambitieux et explosif, une écoute de sa plus récente trame relate l’épuisement, l’inquiétude et le questionnement. La recherche artistique du rappeur en est donc maintenant à cette autocritique, à cette angoisse d’être attiré par ce genre musical si vulgaire. Il expose ainsi, de manière moins personnelle et subjective, la fabulation de mœurs déplorables et le manque de contenu dans le « hip-hop » actuel, genre bénéficiant d’une grande poignée d’auditeurs.


« Cet album, c’est un gros paquet de confusions lucides (…) J’me sens comme une victime de ce que je déplore: l’objectification des femmes dans le rap, la fascination pour les armes à feu, tous ces concepts qui m’attirent dans la musique des autres, j’ai jamais su comment me positionner par rapport à ça. À quel point est-ce que j’ai tort d’aimer ça? Pis comment est-ce que je le véhicule à mon tour? » (1). C’est ce qu’en dit lui-même le rappeur, parlant de son album lors d’une entrevue pour la revue Urbania.


Les tourments plus propres au monde artistique, à la frénésie et à la performance stimulée par la demande ne sont pas non plus manquants. L’ambiance funeste et très névrotique de certaines pistes éclate d’intensité glauque et de noirceur; pensons à Les palmiers brûlent dans la nuit ou encore Les fleurs bleues.


L’artiste en vient aussi, avec une rétrospective très lucide, à éreinter les déboires de jeunesse qui l’ont mené à faire le rap qu’il a fait et à idolâtrer cette culture si chétive. « Je trouvais ça intéressant de mettre au clair tous les problèmes que j’ai eus par rapport à la rue, aux drogues, à tous ces choix conscients d’une jeunesse bien aisée qui a volontairement voulu se mettre dans la marde. (…) On venait d’une communauté blanche aisée, et nos idoles, c’étaient des gens qui l’avaient pas eu facile, alors on essayait de recréer un certain mode de vie et on écoutait du rap qui glorifiait tout ça. ». (2) C’est l’analyse qu’il fait lui-même de la chanson Ce monde là, d’un rythme plus lent et souple, d’un instrumental moins saccadé, rappelant l’ancien Kendrick Lamar.


Apparaissant donc aux premiers abords comme un artiste sec, agressif et sans message précis, Lary démontre en fait une représentation sensée d’une folie psychotique dans laquelle il arrime parfaitement style lyrique, « flow » et instrumentales. La deuxième édition de son plus récent album, Contrôle V2, en vaut la deuxième écoute, plus attentive et sérieuse, lors de laquelle on peut cerner ce questionnement. A priori considérée comme une recherche personnelle, la réflexion développée dans l’album peut facilement s’étendre dans le monde « trappiste » actuel, se questionnant ainsi sur un style proche des populaires Lil Pump et 21 Savage.


Ses vidéoclips méritent aussi une mention spéciale. Dans l’ensemble du « rap queb », ils sont sans doute les plus recherchés et intéressants. Loin d’un style plutôt classique et conventionnel comme ceux de Koriass ou d’un côté plutôt « rapcaviar », dans lequel se donne les Dead Obies avec Monnaie, Lary s’entoure de réalisateurs talentueux et créatifs. La grande variété de styles dans ses courts métrages musicaux ajoute à sa valeur artistique. Passant de petit jésus, présentant des effets visuels et des cadres surprenants, à contrôle, clip tourné dans le style plan-séquence, en une seule prise, et terminant avec FTSL, dans lequel le rappeur se gâte en rappant autour d’une auto de luxe entouré de sa « gagne », il n’hésite pas à représenter visuellement son style par différentes manières.


Contrôle V2 n’a sûrement pas reçu la tribune qu’il se devait d’avoir, contrairement à ce qu’est habitué LLA ou Loud, mais il mérite d’être reconnu et écouté pour sa grande valeur créative et artistique.


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1) Lary Kidd : plus incisif, moins réfléchi, très brut., Urbania, Simon Albert-Boudreault, Vendredi 2 juin 2017.

2) : Rap local : Lary Kidd, chercher l’équilibre., Voir, Olivier Boisvert-Magnen, 25 février 2018.




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