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Jonathan Allouch

Le droit en jeu vidéo: un secteur diversifié et en plein essor


1. Le jeu vidéo : un phénomène de société en plein essor


Il est indéniable que le jeu vidéo est désormais une forme d’art à part entière, mais aussi une industrie de plus en plus puissante et influente. Ainsi, 19 millions de Canadiens jouent aux jeux vidéo régulièrement et on évalue à plus de 18 milliards la valeur de l’industrie vidéoludique uniquement aux États-Unis ! Des réalisateurs comme Steven Spielberg ou encore Guillermo Del Toro ont créé ou collaboré au développement de plusieurs jeux. Par ailleurs, contrairement à la croyance populaire, on estime qu’autant d’hommes que de femmes jouent aux jeux vidéo.


De plus, c’est une industrie qui se diversifie : il existe désormais de véritables compétitions de jeux, les fameux eSports, retransmis en direct à la télévision (sur RDS ou encore ESPN) et sur internet (Twitch), et suivis par des millions de personnes à travers le monde. Bref, bien que le jeu vidéo soit toujours un bouc émissaire pour certains politiciens ou médias traditionnels, ce médium de divertissement est en pleine expansion et fait partie de notre quotidien depuis plus de 20 ans. Il existe d’ailleurs une mineure en études du jeu vidéo qui est offerte à l’Université de Montréal où on analyse le jeu vidéo à la lumière de ses influences cinématographiques, de son esthétique ou encore de son histoire.


2. Montréal : pôle majeur du jeu vidéo

De plus, nous avons la chance de nous trouver dans un pôle majeur du jeu vidéo. Effectivement, on trouve à Montréal des studios extrêmement réputés au sein de l’industrie tels Ubisoft Montréal, qui a notamment créé la série des Assassin’s Creed (plus de 10 jeux développés depuis 2007 ainsi qu’une adaptation cinématographique avec Michael Fassbender, Marion Cotillard et Jeremy Irons) ou encore Eidos Montréal (responsable du reboot de la série des Deus Ex). On trouve également, à travers tout le Québec, de nombreux studios de développement indépendants tels que Red Barrels qui a créé les jeux d’horreur Outlast. Cette présence importante de l’industrie vidéoludique à Montréal (et plus généralement au Québec) s’explique par la politique fiscale du gouvernement québécois, qui permet à de nombreux studios de s’installer dans notre province, ainsi que par le nombre important d’écoles québécoises qui proposent des formations dans la programmation informatique et vidéoludique.


Ainsi, plus de 10 000 personnes travaillent dans l’industrie du jeu vidéo au Québec, au sein de plus de 230 entreprises. On estime que Montréal, « the Hollywood of video games » d’après le Montreal Gazette, est la 5ème ville la plus importante dans l’industrie vidéoludique, après Tokyo, Londres, San Francisco et Austin.


3. Le droit du jeu vidéo : un secteur diversifié

Comme toute industrie du divertissement, le jeu vidéo a affaire au droit. Effectivement, le jeu vidéo est avant tout une forme d’art mélangeant des images, des musiques (souvent composées expressément pour le jeu), mais aussi différents moteurs informatiques permettant de gérer la physique dans le jeu, les graphismes ou encore les effets de lumière. Des technologies novatrices, comme la fameuse VR (la réalité virtuelle), ont d’abord été pensées et développées pour le jeu vidéo et il est évident que ce savoir-faire et ces créations doivent être protégés : c’est là où entre en jeu la propriété intellectuelle avec les brevets, les droits d’auteur, les marques de commerce ou encore les dessins industriels qui permettent de protéger l’aspect visuel de produits comme les consoles, les manettes, etc.


Il faut toutefois savoir que la propriété intellectuelle dans le domaine du jeu vidéo est extrêmement complexe à définir. Qui est l’auteur d’un jeu : le directeur créatif ? Les développeurs ? Ceux qui ont financé le jeu ? La Cour supérieure a apporté une réponse, dans Seggie c. Roofdog Games Inc. en décembre 2015, lorsqu’elle a parlé d’« œuvre créée en collaboration ». Que doit-on protéger ? Le jeu dans son ensemble ou chaque composante de ce jeu (direction artistique, musique composée pour le jeu, gameplay, graphismes, histoire du jeu) ?


Par ailleurs, le droit des affaires est également omniprésent dans cette industrie : c’est ainsi qu’en 2014, Microsoft a acquis les droits sur le jeu Minecraft pour un montant estimé à 2.5 milliards de dollars. Au-delà des fusions-acquisitions, les studios de développement doivent faire affaire avec ce qu’on appelle les éditeurs de jeux, ces derniers devant souvent s’occuper de l’aspect marketing et de la commercialisation du jeu vidéo. Cela entraîne donc la rédaction de nombreux contrats pour régir tous les aspects de ces associations essentielles à la commercialisation des jeux vidéo.


Finalement, on trouve aussi dans le droit du jeu vidéo du droit du travail. Effectivement, un studio de développement de jeu vidéo va avoir tendance à employer des programmeurs informatiques, mais aussi des directeurs créatifs, des artistes chargés de mettre en image les différents concepts proposés par les équipes de développement. On peut aussi y trouver des historiens, des anthropologues et autres experts qui vont permettre de fournir aux développeurs leur expertise pour assurer un certain réalisme au jeu. Bref, un studio emploie une multitude d’individus avec des formations diverses et il s’agit de faire des contrats adaptés à chacun et prévenir les litiges qui pourraient survenir. Comme on peut le constater, le droit du jeu vidéo est donc un secteur extrêmement diversifié et ce dernier commence à être étudié. C’est ainsi que The University of British Columbia propose depuis 2005, dans sa faculté de droit, un cours de Video Game Law. De même, l’Association du Barreau canadien a offert en juin dernier une formation sur le droit du jeu vidéo de manière à mieux en saisir les différents aspects. Dans la même veine, la division du Québec de l’Association du Barreau canadien a présenté une conférence sur la propriété intellectuelle et son importance pour l’industrie vidéoludique québécoise en mars 2016. Finalement, il existe depuis février 2011 un Video Game Bar Association, regroupant des avocats du droit du jeu vidéo du monde entier.

4. Dans la pratique, ça donne quoi ?

Pour répondre à cette question, je me suis adressé à deux avocats ayant une grande expertise dans ce domaine. Me Vincent Bergeron est spécialisé en propriété intellectuelle et a notamment été le conférencier de la présentation organisée par la division québécoise de l’Association du Barreau canadien dont j’ai déjà parlé. Me Michael Shortt, membre du Video Game Bar Association, a également une grande expérience dans le domaine de la propriété intellectuelle, mais fait aussi du droit commercial dans le domaine du jeu vidéo.


Comme me l’expliquait Me Bergeron, les acteurs de l’industrie vidéoludique s’adressent surtout à eux pour « toutes les questions de marques de commerce (pour le nom des jeux, des franchises, pour les produits dérivés), pour des questions en matière de brevet touchant les aspects hardware (contrôleurs, casques, objets connectés (IoT), etc.), pour l’aspect software (développement du code, des graphiques, licences sur des moteurs ou modules externes, outils de développement, etc.), pour l’aspect droit d’auteur relié à la musique, aux personnages, à l’utilisation d’éléments appartenant à des tiers sous licence, pour des questions contractuelles reliées à la publication/distribution des jeux, pour des questions touchant les conditions d’utilisation ou licences pour le joueur (EULA) ou encore pour des questions touchant la vie privée. » Bref, comme on le constate, la propriété intellectuelle dans l’industrie vidéoludique est extrêmement variée et touche à chaque aspect possible et imaginable du jeu vidéo : chaque élément de ce dernier est identifié, décortiqué et, si possible, protégé pour éviter qu’on ne se l’approprie sans autorisation.


Les acteurs de l’industrie du jeu vidéo vont également s’adresser à des avocats pour tout ce qui touche à l’aspect commercial. Ainsi, Me Shortt négocie et rédige les contrats de développement entre ceux qui vont concevoir le jeu (les développeurs) et ceux qui vont l’éditer et le commercialiser (l’éditeur). Il faut prévoir la répartition des risques, l’allocation des revenus, mais aussi qui sera le « propriétaire » du jeu une fois le développement terminé.


Me Shortt et Me Bergeron travaillent avec différents acteurs de cette industrie. Les gros studios de développement internationaux ont, en général, un contentieux interne et vont donc avoir recours à leur expertise pour des questions plus pointues alors qu’à l’inverse, les studios de développement indépendants vont faire appel à des avocats pour s’incorporer, mettre au point les différents aspects de la propriété intellectuelle ou encore pour des questions fiscales. Ainsi, les entreprises de jeu vidéo ont donc tendance à utiliser l’expertise légale des avocats de façon différente.


Finalement, Me Bergeron et Me Shortt ont la même analyse quant à l’avenir du droit du jeu vidéo au Canada. L’importance de l’industrie vidéoludique sur notre économie ne fait que croître [1], il est donc évident que la loi devra bientôt prendre en compte l’énorme complexité de cette forme de divertissement et s’adapter pour mieux la définir et surtout la protéger. Le jeu vidéo a mené à de nombreuses avancées technologiques (dont l’intelligence artificielle dont on entend tant parler) et il devrait prendre de plus en plus de place au Québec et au Canada dans les années à venir.


Je clos cet article en remerciant infiniment Me Michael Shortt et Me Vincent Bergeron d'avoir pris le temps de répondre à mes (très) nombreuses questions et de m’avoir permis de mieux saisir l’incroyable diversité du droit du jeu vidéo.


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Références

[1] 596 studios de développement actifs sur le territoire canadien employant à plein temps près de 22 000 personnes et rapportant plus de 3,7 milliards de dollars au Produit Intérieur Brut canadien


Légende de l’image

La conférence de Sony lors de l’E3, le plus grand salon annuel de jeu vidéo


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