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Marwa Lamkinsi

Lumière sur...le rap français!

En mettant les pieds à la Fac de droit, je me doutais bien que le rap français ne serait pas un sujet de discussion que j’aurais l’occasion d’aborder fréquemment avec mes nouveaux camarades. Encore aujourd’hui, je me demande souvent si je suis la seule à me rendre aux conférences juridiques et aux 4@7 avec du Booba dans les oreilles.


Mais comment une jeune étudiante montréalaise, loin des ghettos français et de la culture hip-hop, peut-elle bien développer une passion pour le rap français ? Je vous partage aujourd’hui mon amour pour cet art jugé à tort !


Ce qui me lie de prime abord à cet art dénonciateur, c’est sans aucun doute l’amour des mots. Eh oui ! C’est ma passion pour les figures de style et les procédés stylistiques en général, la poésie et l’écriture dans son ensemble qui développe mon sentiment d’appartenance pour ce style musical. Plus que la rythmique engageante, ce sont les paroles des rappeurs, ou plus communément, les punchlines, qui ne cessent de renforcer mon amour pour le rap français. Histoire vraie, lorsque j’étais plus jeune, je consignais dans un même carnet, d’une part, des vers de Guy de Maupassant et d’Alfred de Musset, et d’autre part, des couplets marquants de mes rappeurs préférés. Alors que je n’étais qu’au primaire, je m’amusais à rédiger de courts poèmes amateurs en ayant, déjà à l’époque, du Rohff ou du La Fouine dans les oreilles. J’ai donc toujours associé les rappeurs français à des poètes en leur genre. Je voyais en leurs écrits de réelles œuvres littéraires. D’ailleurs, à ce sujet, le rappeur français du nom de Medine – que j’ai eu l’occasion d’aller voir à son passage à Montréal alors que je n’avais encore que 16 ans – n’aurait su mieux s’exprimer, dans sa chanson « Prose élite » :


Je cause comme un bouquin, je n’suis pas écrivain Mais j'décris la vie urbaine en alexandrins


Dans la même optique, en parlant de l’art qu’ont les rappeurs de manier les mots, Medine scandait dans son morceau « Biopic » :

Usine à valeur, fabriquant de contenu Artisans du slogan et ouvriers d'la grande plume


Autre histoire vraie, c’est avec une référence au rap français qu’il m’est arrivé de clore une dissertation sur l’œuvre de Jean-Paul Sartre, « L’enfer, c’est les autres », à ma dernière session de cégep. En effet, un des titres du rappeur Youssoupha, qui d’ailleurs est le tout premier artiste que je suis allée voir en concert, porte le nom de cette œuvre. La chanson dénonce le réflexe qu’ont les humains de s’opposer les uns aux autres sur la base de barrières mentales, pointant du doigt autrui avant même de prendre le temps de s’autocritiquer :


On a des ghettos dans la tête qui nous rendent solitaires Comment changer le monde si on n'est même pas solidaires ? On fait des erreurs, mais on préfère rejeter la faute Et on se contentera de dire que « L'Enfer, c'est les autres »


Vous pensiez donc que le rap français était automatiquement synonyme de déscolarisation et de débauche ? Qu’on y trouvait nécessairement un contenu hypersexualisé et un éloge de la drogue et de l’argent ? Disiz la Peste, un de mes rappeurs préférés – et auteur de deux romans ! – dénonce souvent l’image du rap qu’on associe à tort à un certain niveau d’éducation. De plus, il arbore fièrement son style rédactionnel plutôt riche, même si ce dernier s’avère moins rentable que la culture musicale qui met de l’avant des écrits peu réfléchis :

Hé Hé, ils m'disent, Ils Ils m'disent « Tes rimes sont trop complexes pense à ton public » « Sérigne* tu t’entêtes à quoi bon ? Fais-toi du fric ! » Et qu'est-ce que je dois comprendre ? Que mon public est bête ?

Et je suis censé faire quoi, dis- moi ? Leur vendre du rêve ? Du rap vaporeux ? Non trop peu pour moi; […]

Et puis d'abord, c'est quoi mon public, hein, dis-le-moi ? Des "Wesh Wesh" des racailles; des arabes et des noirs ? C'est ça le public rap ? C'est bien celui qui est bête ? [1]


(* Sérigne étant son prénom.)


Et puis, la culture y est non seulement riche, mais elle y est aussi enrichissante! Le rap français m’a permis à maints égards de rester à l’affût de réalités socio-politiques, d’enjeux sociétaux importants, de sujets d’actualité d’envergure… Dans ce domaine, je ne pourrais passer outre une des plus belles plumes du rap français, c’est-à-dire le rappeur Kery James. Par exemple, avec sa « Lettre à la République », il dénonce la dure réalité que confrontent les jeunes banlieusards qui grandissent dans les ghettos français reclus, sans espoir d’intégration à leur terre d’accueil :


Vous avez souhaité l'immigration Grâce à elle vous vous êtes gavés, jusqu'à l'indigestion Je crois que la France n'a jamais fait la charité Les immigrés c'n'est que la main-d'œuvre bon marché Gardez pour vous votre illusion républicaine De la douce France bafouée par l'immigration africaine

[…]

Mais pensiez-vous qu'avec le temps

Les Négros muteraient, finiraient par devenir blancs ? Mais la nature humaine a balayé vos projets On ne s'intègre pas dans le rejet On ne s'intègre pas dans les ghettos français, parqués Entre immigrés, faut être censés

Le morceau est empoignant, les mots y sont durs, mais le témoignage n’en est pas moins révélateur d’une sérieuse réalité sociétale.


Enfin, mon instinct philanthrope a aussi trouvé chaussure à son pied au sein du rap français. À titre d’exemple, c’est de punchlines que j’ai parsemé mon « Guide du jeune philanthrope » que j’ai conçu dans le cadre de mon projet personnel au terme de mes années au secondaire. C’est donc dans ce petit guide que vous pouviez trouver, aux côtés de conseils et de directives pour donner intelligemment aux organismes caritatifs, des passages tirés tout droit de morceaux de rap français :


Besoin de changer les belles paroles en de belles actions Besoin de tourner les paraboles de nos cœurs vers la réflexion Besoin de changer l'état du peuple et l'État de sa condition Besoin de faire construire des écoles, pour mieux démolir des prisons [2]


C’est donc dire que beaucoup d’artistes de ce milieu sont porteurs de messages emprunts d’humanité et d’une volonté d’aider le monde.


Les perles de ce style musical sont nombreuses, et les connaisseurs de ce monde sauront qu’elles le sont trop pour pouvoir être citées en un seul article. Je vous ai partagé quelques-uns de mes coups de cœur dans l’espoir d’initier les amoureux des mots, mais sachez que ce qu’on qualifie de plus belles plûmes du rap français est relatif à chacun ! Qui sait si, à votre tour, vous ne découvrirez pas votre coup de cœur ?


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[1] Disiz la Peste. « Mon amour ».

[2] Medine. « Besoin d’Évolution (Rélovution) ».


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