Albums d'été 2018
- pigeondissidentweb
- 28 août 2018
- 6 min de lecture
Pour une raison ou une autre, l’été est la saison pendant laquelle nos écoutes musicales sont les plus marquantes. Deux mélomanes se sont donc assis pour discuter et proposer les albums ayant marqué leur dernier été.
Cardinal・Pinegrove・Run for Cover Records
Date de sortie: 12 février 2016
CEO: Un album de roadtrip de qualité. Avec ses guitares aux cordes ouvertes et ses grands refrains rappelant les vastes paysages du continent nord-américain, on peut facilement se perdre dans les sons méticuleusement produits de cet album d’indie rock aux tendances alt-country. Les thèmes de l’anxiété et de la confiance en soi y sont largement dépeints, qu’on y chante sur le simple fait d’apprécier chaque moment passé avec ses proches sur Old Friends, sur le besoin de se dire les « vraies affaires » sur Cadmium ou sur l’incompréhension relationnelle de Visiting. Mais la pièce phare de cet album, la cathartique et sublime Aphasia, relatant la fin d’un épisode de syndrome de la page blanche, s’avère mélodiquement impeccable. D’ailleurs, la cohésion de l’album en est à donner la chair de poule. Chaque chanson réussit si bien à s’imbriquer dans la dynamique globale de l’œuvre qu’on a l’impression, même après une écoute, que l’album nous a habité, sans le savoir, depuis des années. La chanson Size of the Moon peut nous donner un semblant de réponse à ce sujet, révélant un individu tracassé par une relation lui permettant de vivre, dans un court laps de temps, une panoplie d’émotions diamétralement opposées; une métaphore parfaite pour l’écoute de cette collection de tounes.
Lost & Found・Jorja Smith・Famn Limited Records
Date de sortie: 8 juin 2018
MP: La jeune londonienne de 21 ans arrive ici en grande pompe avec un album fort attendu et fort remarquable. Avec brio, Jorja Smith et ses musiciens livrent un album sensuel et éloquent. Après plusieurs EP, duos et bandes sonores - notamment celle du film Black Panther - Smith nous présente enfin son premier album complet. Ces douze titres merveilleux ont définitivement agrémenté la bande sonore de ma vie en période estivale. L’effet Jorja Smith a créé un buzz médiatique suite à la sortie de son EP et des vidéos de Colors Session et du Tiny Desk Concert disponibles sur YouTube. Au mois de mai, curieuse et fan girl malgré moi, je suis allée voir son spectacle au théâtre Corona. J’ai été amèrement déçue et laissée sur ma faim puisque l’énergie n’y était pas et qu’il y a eu un léger abus de tracks préenregistrées, alors même que tout le band était sur scène. Malgré cela, j’ai donné une seconde chance à Jorja Smith. La vocaliste exceptionnelle ne m’a pas déçue. Lost & Found est un album exquis, bien ficelé d’un bout à l’autre et réellement agréable à écouter. Des sons groovy de la chanson Where Did I Go ? aux mélodies romantiques de Blue Lights en passant par la soul de On Your Own, Jorja Smith réussit le pari de s’imposer comme nouvelle artiste montante de la scène RnB. Somme toute, ce sont les premiers accords de February 3rd qui viennent le plus me toucher, notamment grâce à la présence de solides riffs de guitare. Si vous n’êtes pas assez convaincu.e.s, allez écouter l’hymne Tyrant (ft. Jorja Smith) de l’artiste Colombienne Kali Uchis.
The Money Store・Death Grips・Epic Records
Date de sortie: 24 avril 2012
MP: ÉPIQUE. C’est l’unique mot qui me vient en tête lorsque je parle de ce bijou d’album. J’ai découvert Death Grips cet été lors d’une ride d’auto post-caniculaire. La pochette d’album avait d’abord attiré mes yeux, puisque le art work y est particulièrement choquant. Première écoute, premier doute. Death Grips n’est pas facile à écouter et encore moins facile à aimer. Cependant, dès la première écoute, j’ai eu la ferme impression qu’une boîte de Pandore avait été ouverte. Les sons sont tellement singuliers et peu conventionnels qu’une simple écoute négligée ne peut permettre l’appréciation de cet album. C’est rough, ça crie et c’est violent, mais oh combien satisfaisant ! C’est le premier album n’ayant pas été autoproduit par les membres de Death Grips. Par conséquent, la sonorité est léchée, limpide et pro, ce qui est frappant vu la violence des textes et l’esthétique rap-punk-ish fidèle au groupe. La pièce Get Got est ma «toune» de l’été 2018. Mêlant des beats pseudo K-pop avec une console Atari et la violence revendicatrice des textes de Stefan Burnett, cet album est tellement complet et logique. Les pièces s’enchaînent les unes à la suite des autres avec une aisance remarquable. On se sent tout de même essoufflé.e. au bout du compte. C’est un album lourd, pesant de revendications contre le système étatique et pour un militantisme sur tous les fronts. Les genoux écorchés et les yeux révulsés, on arrive à une de mes pièces favorites qui est Double Helix, qui n’est qu’à la moitié de l’album. Le titre System Blower suit et vient encore plus peser sur le bobo. Un beau grand amalgame de rap, punk, électro et musique expérimentale à la sauce trash style Death Grips. Qu’on aime ou non la «musique-qui-crie», il est indéniable que cet album fait sentir l’auditeur.trice vivant et les pieds bien vissés sur Terre !
Lush・Snail Mail・Matador Records
Date de sortie: 8 juin 2018
CEO: Qu’est-ce que l’été sans une histoire d’amour éphémère vouée à l’échec? Snail Mail, tout juste âgée de 19 ans, a pris le dessus sur cette tradition adolescente en nous proposant au tout début de l’été son propre journal intime d’une histoire d’amour avortée en plein été. Documentant les relations tissées avec les ami(e)s de son ex-amoureuse, la vague de chaleur frappant son été et ses opportunités de sortie, la jeune chanteuse nous propose un album indie typique, mais particulièrement rafraîchissant lorsqu’on s’accroche aux mélodies. Et celles-ci s’avèrent particulièrement sournoises, s’agrippant aux oreilles de l’auditeur alors même qu’il écoute cette triste fresque romantique.
Le fil des événements tel que défini par l’album nous permet de bien disséquer les moindres sentiments et rengaines de l’auteure-compositrice-interprète. Tout au long de l’album, Snail Mail jongle avec un style de chant monotone sur le couplet et un phrasé nettement plus senti sur le refrain, question de toujours marquer le crescendo émotionnel des pièces.
A New Place 2 Drown・Archy Marshall ・True Panther Sounds
Date de sortie: 10 décembre 2015
MP: Il y a les projets de King Krule. Et puis ceux de Zoo Kid ainsi que ceux d’Edgar the Beatmaker. Ici, le jeune londonien renaît sous le nouveau nom d’Archy Marshall. Nouveau nom, nouveau son. Dès le premier titre intitulé Any God of Yours, la voix de ténor d’Archy Marschall résonne longtemps dans nos oreilles. A New Place 2 Drown est un bel album à écouter tranquillement lors d’une soirée entre ami.e.s. Les beats sont assez uptempo, mais toujours dans une atmosphère planante et mystérieuse. Certes, les bases musicales de cet album qualifié de dark wave sont simples, voire même génériques, mais faites tout de même avec grande finesse. Thames Water, la dernière pièce est, selon moi, la plus complète par son hétéroclisme et ses changements constants. La bass est lourde, les drops sont parfaits et les ascensions musicales plus que bien écrites. Pour les friand.es. de rap, chill wave et électronica, c’est un album que je qualifierais de facile d’écoute et de facilement appréciable. Il faut savoir qu’initialement, le projet de A New Place 2 Drown était une bande sonore accompagnant un livre de collages, photos et petits mots de près de 200 pages. N’ayant pas réussi à mettre la main sur ledit livre, je n’ai pu voir l’essence finale du projet. Cependant, la musique nous transporte sans peine malgré l’absence de l’esthétique visuelle et on effectue tout de même un long voyage immersif et pluridisciplinaire de près de 40 minutes. Pour les amoureux.ses de Mount Kimbie, Caribou et Nicolas Jaar, vous serez définitivement servi par ce projet d’Archy Marschall resté trop longtemps dans l’ombre. L’enjouée Ammi Ammi et la très industrielle pièce The Sea Liner MK 1 sont d’exquises mélodies pré-soirée.
Everything Everything ・Get To Heaven・Sony Music UK
Date de sortie: 22 juin 2015
CEO: J’avoue tricher avec cet album qui n’est pas en fait la trame sonore de mon été 2018… Mais il fut omniprésent en 2015, 2016 et 2017. Non mais, quelle œuvre pleine d’énergie, de finesse, de cohésion, de couleur et d’une forte dose de folie! Maniant élégamment pop, math-rock, gpop-progressive et même des éléments de glitch, cet album se distingue par son mélange des genres inusités, la voix nasillarde de Jonathan Hiigs, et sa trame narrative caustique. Prenant une fascination pour la mort et ceux qui tuent, l’album demeure tout de même ensoleillé de par son usage de fin sarcasme et de lignes hilares. ”Oh baby it’s alright to feel like a fat child in a push chair old enough to run, old enough to fire a gun”. On pense aussi au protagoniste de la pièce titre qui, alors que ses concitoyens meurtris au sol prient pour se rendre au ciel, se demande inopinément où il a garé sa voiture. Malgré ses airs momentanément clownesques, l’album se veut un miroir de la grossièreté d’idéaux véhiculés pendant des siècles. En passant par la religion, la richesse et l’universelle crise existentielle, l’écoute de Get to Heaven semble, par moment, être un peu chargée. Même après une quinzaine d’écoutes, on peut trouver des perles en matière de lyrisme. Pile le genre d’album nécessitant une lecture monastique pour être bien dégusté.
Même la version Deluxe de l’album en vaut le détour. Le solo apocalyptique de President Heartbeat, ses paroles qui pourraient faire ravaler la langue de bois de n’importe quel politicien de carrière, ou encore les thèmes de cupidité et de népotisme de Habsburg Lipp justifient à eux seuls l’écoute de cette version.
PS: La session commence et les études nocturnes tout aussi, on vous conseille grandement l’émission radiophonique Afterdark animée par Odario Williams sur les ondes de CBC 93.5 FM de 20h à minuit.