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Alexandre Hamel

Démantèlement du discours populaire

La Fac de droit, c’est pour beaucoup la représentation ultime d’un lieu de discussions, de débats, d’échanges sur des idées. Nous nous vantons de notre journal étudiant, où tous les articles soumis sont publiés – politique d’ailleurs très louable – et où la liberté d’expression est ainsi mise en valeur.


Toutefois, le climat politique, médiatique et académique actuel ne laisse qu’apercevoir une destruction quasi-complète de notre capacité collective à échanger et débattre sur des idées d’actualité. Le sujet change mais la dynamique reste la même : deux camps se forment; l’un d’eux représente le politiquement correct, l’acceptable, et démonise l’autre; les positions se font extrêmes; le dialogue est impossible; l’apprentissage de la position de l’autre et la convergence des points de vue est un rêve lointain et utopique.


Lentilles idéologiques : des prismes nocifs pour l’échange constructif


Tout d’abord, l’érosion du discours collectif est selon moi causée par l’interprétation des problèmes sociaux à travers des concepts prédéfinis : par « lentille idéologique », je réfère à l’observation de notre société, dans toute sa complexité, à travers un prisme tel que le « patriarcat » ou le « racisme institutionnalisé ». Cette lentille, en plus d’avoir l’effet pervers de totalement déformer et brouiller la réalité, obscurcit de nombreux problèmes qui passent donc sous la loupe. Elle est aussi source de division : l’emploi de concepts tels que la « masculinité toxique » et le « mansplaining » est loin d’être la solution à la polarisation sociale actuelle. Les catégorisations – entre divers comportements, paroles ou attitudes – deviennent superflues; dans les mots de Louis-Jean Cormier qui, plus tôt cette année, écrivant un message d’excuses suite à des commentaires supposément choquants – il avait osé affirmer se considérer « contre » la parité hommes-femmes imposée dans les festivals de musique, préférant faire passer l’art avant tout –, « l’heure n’est pas à la nuance ». L’heure n’est pas à la nuance? Ceci expliquerait pourquoi les noms d’Aziz Ansari et Patrick Brown sont mis dans le même panier que celui d’Harvey Weinstein, alors qu’il suffit de prendre connaissance des faits reprochés à chacun pour comprendre l’absurdité évidente d’une telle comparaison.


L’outrage, l’outrage et l’outrage – signé « les porte-paroles » de communautés stigmatisées


L’annulation récente des deux spectacles de Robert Lepage, Kanata et SLAV, est l’exemple parfait du climat actuel. Les « représentants » de communautés stigmatisées dépeignent leurs opposants comme « racistes », sans creuser sur leurs intentions réelles – qui étaient, dans le cas de Lepage, de faire deux spectacles racontant les innombrables difficultés vécues par deux groupes historiquement ostracisés. La liberté d’expression cesse de comprendre la liberté d’offenser – sans que quiconque n’y remarque l’illogisme et l’ironie évidentes. Des supposés représentants de communautés sont appelés à donner leur avis et l’on s’imagine qu’il est, dans les faits, possible de représenter une communauté ethnique en entier, qui doit nécessairement penser de façon uniforme. L’existence de divergences au sein même du groupe stigmatisé est balayée du revers de la main; tous les Autochtones du Québec sont nécessairement visés par le terme « communauté autochtone », mais qu’en est-il des Autochtones ayant une conception différente de la liberté d’expression artistique et trouvant outrageante la campagne d’intimidation menée conjointement par les médias, personnalités publiques et mandataires auto-proclamés de la communauté? Mystère.


Impact des médias sociaux et effet d’echo chamber


Finalement, les médias sociaux sont souvent vantés pour leur capacité de permettre des échanges à l’international, sans barrière, dans un forum de discussion ouvert et sans limites. Or, leur impact sur la destruction continuelle de notre capacité collective à échanger ne peut être nié. On ne follow que les gens ayant des positions semblables aux nôtres, et on n’est par le fait même que très rarement exposés à des points de vue différents et variés. On ne retweet que les commentaires avec lesquels nous sommes en accord; quand l’on tombe sur un tweet adoptant une position opposée à la nôtre, il nous semble tout à coup avoir devant soi le point de vue d’un extraterrestre. Il en est ainsi pour tous les enjeux où de sérieuses discussions pourraient avoir lieu et porter fruit : les armes à feu, l’avortement, la religion, l’immigration, les enjeux ethniques, ou le mouvement #MeToo.


Somme toute, l'interêt de notre genération envers les questions sociales, politiques et économiques de toutes sortes est source d'espoir considérable. Nous sommes engagés, intellectuellement et émotivement, dans de nombreuses causes. Toutefois, c'est le dialogue entre partis opposés qui ne peut que s'améliorer, et je souhaite que nous puissions, au sein même de notre faculté, y contribuer.




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