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Anne-Frédérique Perron - Comité Droit autochtone

Et si l’on redonnait aux Autochtones leur justice ?



Pierre Rousseau est un procureur de la poursuite qui, au cours de sa carrière, a travaillé au sein de multiples communautés autochtones, entre autres lorsqu’il était coordonnateur fédéral pour la Stratégie de la justice applicable aux Autochtones. Interrogé le 21 janvier dernier à la Commission Viens, son message était clair : « Le système judiciaire canadien est un échec pour les peuples autochtones » [1].


Bien que saisissant, son témoignage fait écho à un discours qui n’est pas nouveau. Il ne faut que regarder les chiffres montrant la surreprésentation des Autochtones dans les prisons pour constater la présence d’un problème : en 2016-2017, les adultes autochtones représentaient 4,1 % de la population au Canada, tandis qu’ils constituaient 30 % des détenus dans les établissements provinciaux et 40 % des établissements fédéraux. Chez les jeunes, 50 % des détenus étaient autochtones, bien que ceux-ci ne représentent que 8 % de la population canadienne [2]. Le nombre de détenus autochtones a aussi connu une augmentation de 40 % depuis 2006. Au cours des dernières années, certains groupes autochtones ont manifesté un manque de confiance envers la justice canadienne, un système à travers lequel ils sentent leur réalité incomprise et souvent mal interprétée [3].


L’ancien procureur Rousseau dit lui-même avoir longtemps cherché la source du problème. Ainsi, il en est venu à la conclusion que la solution ne réside pas dans notre système de justice, mais se trouve à l’extérieur de celui-ci : dans la création d’un système de justice autochtone indépendant [4].


Nul ne sera surpris d’entendre que le système de justice d’une société se construit à travers sa culture ainsi que ses valeurs. Ayant une identité culturelle indéniablement distincte, les Autochtones, avant l’arrivée des Occidentaux, avaient leurs propres systèmes de justice basés sur des principes de rétablissement de l’équilibre plutôt que sur la punition comme moyen de réhabilitation. On associe ces systèmes à leur conception des individus comme étant interdépendants les uns des autres. Malgré qu’un individu eût commis une faute, celui-ci pouvait tout de même occuper une fonction utile dans la communauté. On cherchait alors un moyen de rétablir l’équilibre à la suite d’une faute plutôt que de chercher une conséquence pour le fautif, car l’équilibre est essentiel à la survie de la communauté.


Les Autochtones se sont fait imposer un système de justice qu’est le nôtre, avec une administration dans laquelle ils restent sous-représentés.


C’est dans ce contexte que l’idée de tribunaux autochtones prend tout son sens. Et si l’on redonnait aux Autochtones leur justice ?


Il faut dire que des modèles très inspirants de tribunaux autochtones ont vu le jour dans les dernières années au Canada. Pensons notamment au tribunal de la bande mohawk d’Akwesane créé en 2016 ou encore celui de la nation Mi'kmaq de Wagmatcook inauguré en juin dernier [5]. Ces tribunaux se basent sur les valeurs, la tradition et la culture de la communauté. On met ainsi de côté la punition pour trouver une sanction basée sur le principe de justice réparatrice dans le but de retrouver une harmonie. Le décideur est aussi un élément clé de ce type d’organisation, car il s’agit d’un Autochtone de la communauté, ce qui permet ainsi d’éliminer certaines problématiques entourant de possibles barrières culturelles. En effet, le justiciable autochtone se retrouve devant quelqu’un qui comprend davantage sa réalité ainsi que sa culture, une formule gagnante pour obtenir sa confiance. Rajoutons à cela le fait que l’individu chargé de trancher le différend parle la même langue que ce justiciable autochtone. Effectivement, la langue est souvent perçue comme un handicap devant les tribunaux pour des Autochtones maîtrisant moins bien le français ou l’anglais puisque leurs déclarations ont tendance à être mal interprétées, incomprises et même moins prises au sérieux [6]. De plus, ces systèmes comportent généralement des cours gladue, un nom qui fait référence au jugement de la Cour suprême disant que les tribunaux doivent tenir compte des circonstances propres aux accusés et contrevenants autochtones. [7]


Les propos de l’ancien procureur Rousseau au sujet d’un système de justice autochtone ne sont pas nouveaux : plusieurs commissions canadiennes dans les dernières années ont posé un regard sur les relations entre les Autochtones et la justice et en sont venues à des conclusions semblables [8]. Est-ce qu’il serait possible de voir dans un avenir rapproché la création d’un système juridique distinct chez l’ensemble des communautés autochtones du territoire ? À entendre les propos du procureur Rousseau, qui considère la chose comme essentielle à un rapprochement entre les communautés autochtones et allochtones [9], nos gouvernements devraient se pencher davantage sur le sujet s’ils souhaitent réellement une réconciliation prochaine avec les Autochtones du pays.


[1] « Enregistrement vidéo du 2018-01-25 », (2018), Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics, [En ligne].


[2] « Statistiques sur les services correctionnels pour les adultes et les jeunes au Canada, 2016-2017 », (2018), Statistique Canada, [En ligne].


[3] « Justice Autochtone : entre méfiance et incompréhension », (2016), Radio-Canada, [En ligne].


[4] Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics, préc., note 1


[5] « Un premier tribunal autochtone au Canada », (2018), Radio-Canada, [En ligne] ; « Un premier tribunal autochtone au Canada », (2016), Radio-Canada, [En ligne].


[6] La justice canadienne pour les Autochtones, (2018), Radio-Canada, [En ligne].


[7] Id.


[8] « Autochtone: justice », (2018), l’Encyclopédie canadienne, [En ligne].


[9] Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics, préc., note 1.



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