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Camille Rochon

Ma génération est tannée


Photo par Randy Colas sur Unsplash

Lors de la parution de cet article, l’élection provinciale sera chose du passé. Nous aurons un peut-être pas si nouveau gouvernement et la crise écologique ne fera sûrement pas partie de ses priorités.


Mais il y a quelque chose que j’ai observé et vécu, et je ne suis certainement pas la seule, durant cette campagne électorale et qu’on ne peut se permettre d’oublier : le discours réducteur posé sur les jeunes, leurs convictions et leur engagement politique. Beaucoup de chroniques, de commentaires laissaient entendre que les jeunes ne sont pas en mesure de faire des choix politiques, qu’ils manquent d’expérience ou d’information. Gabriel Nadeau-Dubois, « jeune » à être au cœur de la campagne par son rôle de porte-parole de Québec solidaire, s’est fait ridiculiser ou du moins a été moins pris au sérieux que d’autres en raison de son âge et de son inexpérience. Et de ça, ma génération est tannée.


Prenons, par exemple, la sortie de François Gendron quant à la popularité de Québec solidaire auprès des jeunes. Il avançait que la raison pour laquelle les jeunes se rallient derrière Québec solidaire, c’est l’appât du rêve : comme tous les jeunes, ils veulent rêver, ils veulent y croire… Pour terminer sur cette idée amère et réductrice : « Ils rêvent dans l’idéalisme total ». Ce genre de commentaire, qu’on entend trop souvent, laisse entendre que les jeunes ne sont pas au fait des enjeux politiques d’aujourd’hui, qu’ils ne savent pas faire preuve d’esprit critique. Qu’ils avalent n’importe quoi, qu’ils ne sont encore que des enfants naïfs, guidés par leurs émotions et leur désir de « rêver ». Qu’ils sont trop jeunes, ces jeunes, pour comprendre. Mais c’est exactement là que les tenants de ce genre de discours se trompent. La plupart des jeunes adultes de mon âge sont drôlement intelligents et informés. J’en côtoie tous les jours et j’en vois écrire des choses extrêmement brillantes et nuancées su les réseaux sociaux. Comment ne pas l’être, alors que nous sommes la génération pour qui l’information de tout type est disponible en un seul clic ? Nous sommes bien au fait de la « non-neutralité » des sources et nous en profitons pour diversifier les médias que nous lisons ou écoutons, critiquer les articles et les chroniques que nous voyons passer. Plusieurs d’entre nous avons des opinions, des convictions politiques extrêmement nuancées et éclairées. Mais, étrangement, on ne nous entend pas beaucoup. Pourquoi ?


C’est ironique pourtant, parce que les décisions politiques d’aujourd’hui, c’est bel et bien nous qui allons devoir vivre avec, non? C’est nous qui devrons ramasser les pots cassés du refus triste à en pleurer de s’attaquer à la crise environnementale, ce plus grand défi du siècle. C’est nous qui vivrons avec les conséquences d’une société qui vit moins en harmonie qu’elle ne le pourrait en raison d’une mauvaise intégration de nos immigrants, d’une acceptation tiède des différences. C’est nous qui devrons encore consoler nos filles victimes de sexisme dans 20 ans, qui devrons expliquer à nos enfants que tous ces enjeux n’étaient pas prioritaires pour nos politiciens, n’étaient pas assez vendeurs au sein de l’électorat québécois.


Ainsi, les décisions politiques nous concernent, c’est indubitable. Mais la politique, nous touche-t-elle, nous intéresse-t-elle vraiment? Aux dernières élections, c’est environ 55% des 18-34 ans qui sont allés voter. Peut-être justement que plusieurs jeunes ne s’intéressent pas à la politique, car ils sentent que la politique ne les concerne pas ? Qu’elle ne tient pas compte de leur voix, de leurs priorités, qu’elle ne les écoute pas? Malheureusement, plusieurs enjeux politiques discutés lors de la campagne sont dépassés ou du moins beaucoup trop discutés. Prenons comme exemple le débat des chefs, où une bonne partie du débat s’est résumée à se lancer des reproches sur des décisions prises dans les années 1990, à accuser tel ou tel ancien gouvernement et surtout à ne presque pas parler d’environnement (au premier débat; pas du tout au deuxième) et à ne pas du tout parler de la place des femmes dans la société, des conclusions à tirer du #moiaussi, dont l’écho semble être totalement disparu de la cacophonie politique. Comment sommes-nous censés nous sentir interpellés par des débats et des enjeux comme ceux-là ? Et c’est ainsi que le cercle vicieux se met en branle : la meilleure (et la seule façon) de changer la politique, de se sortir du vieux discours gris, aigre, hyper pragmatique et en sérieux manque d’ambition, c’est de participer à la discussion, d’émettre son opinion et d’aller voter. Mais si la politique ne s’intéresse pas aux jeunes, alors les jeunes ne s’intéresseront pas plus à elle… et n’iront pas voter.



Les commentaires ou les chroniques d’opinion laissant entendre que les jeunes ne savent pas où se trouvent les priorités, les réels enjeux et qu’ils vivent dans l’illusion ne mènent absolument nulle part. Prenons, par exemple, le commentaire de Jean-François Lisée : « C'est une période [sa jeune vingtaine] de confusion intellectuelle dont je suis très content d'être sorti il y a très, très longtemps ». Ou encore celui de Richard Martineau : « Mais pensez-vous vraiment que les jeunes se font ce genre de réflexions ? Croyez-vous qu’ils lisent les chroniques économiques des grands journaux ou que leurs profs de philo discutent régulièrement des dangers du surendettement avec eux ? […] Cela dit, peut-on demander aux jeunes de penser à l’avenir ? Quand tu as 20 ans, tu vis dans un éternel présent ».


Les gens qui parlent ainsi ne comprennent-ils pas qu’à force d’infantiliser les jeunes adultes, de leur donner l’impression que leur voix n’en est une que de naïveté inconsciente, ils les découragent complètement d’exprimer et d’affirmer leurs convictions? À force de taper sur un clou, il finit par s’enfoncer. Ma génération est franchement tannée.


Ce que j’ai envie de dire, c’est que ce ne sont ni l’âge, ni le nombre d’élections auxquelles on a participé, ni l’expérience qui forgent l’intelligence ou la capacité à prendre des décisions politiques éclairées. C’est l’esprit critique, le fait de s’informer, le fait de s’intéresser à l’Histoire, le fait d’être conscientisé, le fait de discuter, d’argumenter, de nuancer ses opinions et d’être ouvert à la discussion, le fait de lire, de regarder des documentaires, de suivre l’actualité. Et OUI, c’est le fait de rêver. Si certains disent de ma génération qu’elle est déconnectée, je dis de la leur qu’elle est désillusionnée et dégonflée. La preuve : que répond-on à propos de la crise écologique ?


« Il est trop tard, de toute façon » Le rêve est positif et bâtisseur tant qu’il demeure informé, vérifié, argumenté, éclairé. Personnellement, je rêve d’un Québec plus ouvert aux différences, où le sexisme n’est même plus un enjeu discuté tant il est chose du passé, d’un Québec vert qui a pris les mesures pour se sortir de la crise environnementale, qui a vu plus loin que les idées politiques vendeuses et efficaces. Je sais que plusieurs jeunes de ma génération en rêvent comme moi. Et ce rêve est noble, alors cessez d’enfoncer notre clou et de réduire nos propos, d’exhiber l’expérience comme passeport vers les propos réfléchis. Exprimez votre opinion, échangez avec nous – le choc des générations est frustrant, mais il demeure nécessaire pour faire avancer nos idées, pour faire évoluer nos rêves, ça, je le concède. Mais ne méprisez pas nos opinions et nos idées, prenez la peine de les écouter. C’est à nous que vous léguez cette société et ce monde, il serait bien qu’il soit un tant soit peu à l’image de nos priorités.


Cet article et les idées qu’il présente n’est pas parfait. Il a simplement été rédigé dans une totale exaspération de constater le désintérêt de certains jeunes de ma génération de la politique et d’assister à un discours réducteur sur les opinions politiques de ma génération. C’est tout.


J’ajouterais pour terminer que le manque d’intérêt de ma génération pour la politique prend également source dans l’éducation que nous recevons. Les sciences humaines sont encore extrêmement négligées et banalisées et un seul cours de « Monde contemporain » à seize ans ans n’est absolument pas suffisant. À quoi s’attendent-ils de nous s’ils ne nous donnent pas les outils nécessaires ?



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