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Asma Medjedoub

Le voile est au banc des accusés


Non, je vous préviens. Il ne sera pas question de la clause dérogatoire, puisque, de toute façon, il y a manifestement une divergence d’opinions parmi les spécialistes du droit.


Je ne croyais pas me prononcer sur la question des signes religieux qui provoquent des propos parfois incendiaires menant à des débats sans fin. Or, l’annonce de la CAQ le 24 octobre dernier sur l’interdiction du port du tchador à tous les fonctionnaires de l’État fut la goutte qui a fait déborder le vase.


D’abord, parce que j’ai eu une impression de déjà-vu. Le port du tchador a fait l’objet de débat en France qui a interdit, en 2010, le port du niqab et de la burqa, par l’entremise de la Loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. D’autre part, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a rendu sa décision le 23 octobre dernier, à la demande, en 2016, de deux françaises de confession musulmane qui ont été condamnées à une amende pour leur port du voile intégral. Le Comité a jugé que l’interdiction totale est trop radicale et qu’elle brime la liberté des citoyennes de confession musulmane. Quand bien même que la nature non contraignante de cette décision, il va sans dire qu’elle fait mauvaise presse à la France.


Je profite au passage pour donner une leçon de sémantique aux nombreuses personnes qui ignorent sans doute ce qu’est le tchador. Il s’agit d’un habit traditionnel iranien qui prend la forme d’un long voile noir couvrant l’entièreté du corps d’une femme, à l’exception de son visage. Une chose fort intéressante à noter est que le port du tchador n’est pas obligatoire dans la République islamique d’Iran, seulement celui du hidjab, qui est aussi le type de foulard le plus porté au Québec. Je me permets de faire cette précision, car j’ai l’impression que ce terme risque d’être galvaudé. Sérieusement, combien de Québécois savent ce qu’est le tchador?


Ce n’est pas anodin de parler de tchador. Il n’existe pas de chiffres exacts démontrant le nombre de personnes qui le portent actuellement au Québec. Toutefois, selon une étude menée en 2016 au Canada, 48% des femmes musulmanes canadiennes portent un voile, dont 3% portent le tchador [1]. Si l’on transpose ces chiffres au contexte québécois, une chose est sûre, les femmes musulmanes qui le portent ne courent pas les rues. Pourtant, Legault a affirmé être mal à l’aise avec le port du tchador. Il doit manifestement croiser de nombreuses femmes qui le portent. Je me permets d’émettre quelques réserves sur ses propos, à moins qu’il lui soit arrivé de confondre les rues de Téhéran pour celles de Montréal.


Je vais vous dire les choses telles que je les pense : puisqu’il ne doit pas y avoir beaucoup de femmes qui portent le tchador au Québec, celles qui le portent en travaillant pour la fonction publique constituent un cas imaginaire. Imaginez-vous le scénario suivant : une femme portant un tchador se présente pour un poste au sein de la fonction publique. Croyez-vous réellement que le département des ressources humaines l’embauchera, sachant que d’autres personnes qui n’arborent pas de signes religieux ont également postulées pour ce même poste? J’en doute fort… Or, à quoi servirait cette interdiction si elle ne vise concrètement personne?


Peut-être que le gouvernement caquiste veut narguer le gouvernement libéral qui, après avoir tergiverser, s’est finalement déclaré favorable au port du tchador pour les fonctionnaires, éducatrices et enseignantes, au moment du dépôt de son projet de loi 62. Peut-être qu’il se permet d’interdire n’importe quelle forme de voile, en ouvrant une brèche à l’éventualité d’interdire totalement d’autres types de signes religieux. Peut-être qu’il veut démontrer qu’il a respecté une promesse et ce, en tout début de mandat. Non, Legault, Jolin-Barrette et compagnie, nous ne vous laisserons pas casser du sucre sur le dos des femmes voilées, sous prétexte que vous voulez rassurer monsieur et madame Tout-le-monde sur leurs préjugés à l’égard des musulmans.


Chaque fois qu’on débat de la laïcité, une questions subsiste : Pourquoi tant d’acharnement sur le port de signes religieux ostentatoires, et surtout, sur le voile? Pourquoi est-ce que dans une société qui prône l’individualisme, nous avons une vision aussi réductrice des personnes qui en portent?


Ici, comme ailleurs en Occident, le voile fait l’objet de débat.


Lorsque le débat sur les signes religieux a commencé cet automne, j’ai songé à une polémique provoquée en mai dernier en France par l’élection d’une étudiante portant un hidjab à la tête du syndicat étudiant de l’Union Nationale des Étudiants de France (UNEF) à l’Université de la Sorbonne. Malgré son élection démocratique, plusieurs personnes, incluant le Ministre de l’Intérieur et des militants de la lutte ouvrière, s’insurgeaient. Ils se demandait comment un syndicat qui a eu des combats féministes et laïques pouvaient permettre l’élection de cette jeune femme. Le voile était pour eux un symbole de soumission de la femme et un instrument politique contraires aux valeurs prônées par le syndicat. Ils prêtaient à cette étudiante voilée des intentions de prosélytisme.


Lorsque j’ai vu cette étudiante à la tête d’un syndicat étudiant, la première chose qui m’est venue en tête n’est pas le fait qu’elle soit soumise ou qu’elle souhaitait répandre l’islamisme. C’est sans doute ce que les étudiants qui ont voté ont également pensé lorsqu’ils l’ont choisie pour les représenter. Ils ont décidé passer outre les idées reçues sur le voile. Pourtant, des personnes non concernées se sont permises de faire des suppositions sur l’intention de la jeune femme.


C’est drôle, mais, on semble toujours s’inquiéter du sort de ces femmes. On voulait courir sauver les femmes en Afghanistan dont le port de la burqa leur avait été imposé par les Talibans. Pauvres femmes voilées. Ici, on leur dit qu’à Rome, il faut faire comme les Romains. Sinon, il vaut mieux qu’elles restent chez elles. Oh non, surtout, on ne veut pas te voir la face, tu n’as donc pas le droit d’exister dans la sphère publique.


Lorsqu’on voit une femme voilée en Occident, on s’affole en se disant qu’il s’agit d’une volonté de propager l’islam politique. On s’insurge en se disant que, bientôt, l’Occident sera transformé en République islamique d’Iran ou encore, en Arabie Saoudite. (Notez qu’on utilise toujours les extrêmes à titre d’exemple, alors que le monde arabo-musulman est loin de constituer un bloc monolithique.)


On se retrouve donc déboussolé à la vue de ces femmes qui portent un voile et semblent, contre toute attente, épanouies. Elles vont à l’université et travaillent. Elles semblent avoir, à la fois, intégrées les codes de la culture occidentale, tout en pratiquant leur foi. On est choqué, parce qu’on ne veut pas se remettre en question. On ne veut surtout pas se dire que leur décision de porter un voile constitue précisément un choix libre et éclairé. On ne veut pas se dire que leur voile n’est pas un symbole politique, qu’il représente simplement l’aboutissement de leur cheminement spirituel. On ne veut pas se dire qu’il s’agit peut-être d’une manière pour elles de se rattacher à leur culture d’origine. On ne veut pas non plus se dire qu’il existe des possibilités infinitésimales qu’elles le portent en Occident, bien parce qu’elles possèdent cette liberté de culte qui leur permet de le faire sans contrainte. Eh oui, surprise! Les raisons qui poussent une femme à se voiler sont multiples. On choisit pourtant de parler à leur place.


Il n’y a rien de mal à désirer que le Québec soit un État laïque. D’abord, parce qu’il l’est déjà. Je crois également que, lorsqu’on débat de cette question, il faut garder en tête qu'il y a des personnes dont la vie se retrouvera affectée. Ne laissons pas un gouvernement opportuniste chasser cette idée de nos esprits.


[1] « Muslim Identity and Practice », Environics Institute, 2016.


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