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Simon Lacoste

Cannabis et inégalités sociales déguisées


Photo par Rick Proctor sur Unsplash

Depuis l’arrivée du jour M (marijuana pour les comiques), la principale promesse électorale de Justin Trudeau est finalement remplie.


Loin d’être une simple réforme, le Parti libéral amenait ambitieusement un projet de décriminalisation qui résonnait dans l’univers collectif canadien et surtout aux yeux du précieux électorat. À la suite d’un règne interminable du parti de Harper, cette idée diamétralement opposée à la politique de renforcement de la législation criminelle des conservateurs fut accueillie à bras ouverts par la population canadienne et québécoise. Finalement, le 17 octobre 2018, la marijuana fut décriminalisée, permettant enfin à tous et à toutes d’acheter, de consommer et de posséder une telle substance en territoire canadien. Mais attendez, est-ce vraiment le cas ?


Outre le problème lié à la permission de produire jusqu’à quatre plants de cannabis par la Loi fédérale sur le cannabis, alors que la Loi québécoise encadrant le cannabis l’interdit, on entend aussi des problèmes liés à l’accessibilité du produit, aux effets différents des nouvelles dispositions sur les groupes les plus vulnérables ainsi qu’aux diverses opinions très contradictoires concernant la dangerosité de la marijuana. La première question sera débattue devant les tribunaux, mais pour ce qui est de la différence de traitement concernant des groupes plus vulnérables, il est temps d’ouvrir un débat sur la place publique.


Accessibilité et Inégalité, ouin pis ?


Pour ma part, ce sont particulièrement les inégalités sociales qui sont venues m’intéresser. Certains diront : « Simon, tu vas encore une fois nous sortir un discours selon lequel le droit n’est qu’un véhicule de reproduction des classes sociales dominantes afin d’augmenter les inégalités sociales en place de génération en génération et de maintenir la domination des mieux nantis ? » Évidemment, je ne veux qu’introduire le sujet, alors laissez-moi donc !


Le sociologue Pierre Bourdieu en aurait eu long à dire. Dans son œuvre Les héritiers (1964), coécrite avec Jean Claude Passeron, il énonce un paradoxe selon lequel les enfants des classes sociales favorisées héritent d’un capital social et culturel grâce au mécanisme même des institutions scolaires, celles-ci étant pourtant dédiées à la réduction des inégalités entre les classes.


De la même manière, le droit n’étant ni accessible ni décryptable pour tous, on y creuse un écart entre deux groupes. Les reproducteurs de la législation, souvent plus au courant du droit en place, disent représenter les intérêts démocratiques du peuple. En face, les gens dépourvus de connaissance judiciaire ne peuvent qu’obéir. Dans ce contexte, l’Université en tant qu’institution produit un effet double. Elle est une institution permettant la diffusion du savoir juridique, un instrument de transmission de la connaissance vers la liberté, tout en reproduisant des inégalités sociales de classe.


Enfin, on peut faire un parallèle avec ce double effet, puisque la loi peut créer des inégalités sans apparence dans sa lettre. Ces effets nous viennent avec l’entrée en vigueur et l’utilisation de cette loi. La législation sur le cannabis nous vient de loin, on en a parlé pendant plusieurs années, avant même le règne de Trudeau. Les intérêts des investisseurs sont exclusivement liés à leur portefeuille. Ceux-ci ont créé des entreprises de production de cannabis et ils ont fait pression afin d’avoir une législation qui allait les favoriser, au détriment d’enjeux sociaux cruciaux entourant la décriminalisation.


Pour teinter la réalité, quoi de mieux qu’une bonne vieille définition du dictionnaire. Par « égalité », le Larousse définit cela par l’« absence de toute discrimination entre les êtres humains sur le plan de leurs droits ». Chaque humain doit être traité de la même manière et soumis au même droit. Évidemment, l’égalité face à la législation décriminalisant le cannabis n’est qu’utopique.


On n’a qu’à penser à la différence entre les locataires et propriétaires en matière de logement face à la légalisation. Mon cousin Jérôme vient donc me voir et me dit : « Ben là Simon, moé j’pouvais fumer dans mon logement la cigarette, mais là j’ai reçu un avis de mon propriétaire comme quoi la partie de plaisir était finie. PAF ! Pas le droit de fumer de la mari dans mon trois et d’mi! J’fais quoi ? »


À la suite de la loi, le locateur peut modifier unilatéralement un bail pour interdire au locataire de pouvoir fumer dans son logement (va voir l’article 107 de la loi québécoise encadrant le cannabis si t’as envie, mon Jérôme). À première vue, on y voit là un argument logique, on veut empêcher les locataires d’incommoder les autres résidents. Le rapport de force est tout autre si vous habitez dans une ville où la réglementation municipale empêche aussi de fumer du cannabis dans les lieux publics, comme Montréal-Nord, Saint-Léonard, Saint-Laurent, Hampstead, Mont-Royal et bien plus. Ça devient tout un casse-tête juste pour faire un geste supposément rendu légal pour tous ! Si tu ne peux consommer ni chez toi ni dans ta ville, qui bénéficie de cette légalisation ? Les propriétaires d’un logement, une maison avec un terrain, eux, ils n’ont pas à se soucier de cette problématique.


En extrapolant, imaginez si Ville-Marie décidait d’interdire la consommation de cannabis dans les lieux publics demain. Les individus en situation d’itinérance peuplant les rues du Centre-ville se verront attribuer une facture très salée, en plus des constats d’infractions et des refuges qui interdisent déjà de consommer à l’intérieur de leurs murs. Bref, une nouvelle législation a un effet variable pour la population.


Évidemment, même Trudeau le dit (t’sais) : des ajustements sont à faire. C’est une nouvelle législation qui brasse pas mal de sable et qui crée des eaux troubles dans pas mal de sphères de notre société pour un bon moment. Mais qui va écoper durant ce temps ?



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