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Sofia Panaccio - rédactrice en chef

Légalisation sans stigmatisation

Le 17 octobre dernier, le Canada est devenu le premier pays du G7 à légaliser l’usage récréatif du cannabis. Cela a non seulement permis d’encadrer la consommation personnelle du cannabis sur le territoire canadien, mais également d’assécher en partie le marché noir géré par le crime organisé. La légalisation a-t-elle pour autant aidé à mettre de côté les stéréotypes associés à la consommation de drogues dites douces ? La consommation récréative du cannabis, désormais formellement légale, est-elle moralement acceptable pour autant? Comme le droit n’est pas neutre d’effets sociaux et qu’il exprime plutôt les attentes et les valeurs de notre société, force est de constater que ce n’est pas parce qu’un comportement est légal qu’il est systématiquement accepté d’un point de vue social.


« Nous nous sommes engagés à améliorer notre système pour mieux protéger nos jeunes et priver d'argent le crime organisé », a déclaré cet été le Premier ministre Justin Trudeau, lors d’une période de questions à la Chambre des Communes portant sur la légalisation du cannabis. Le gouvernement du Canada a ainsi pris la décision de légaliser l’usage récréatif du cannabis et non seulement le décriminaliser. Bien que la simple décriminalisation permette de réduire les stigmates liés à la consommation de cannabis, elle ne retire pas les profits liés à la distribution et à la production des drogues qui restent aux mains du crime organisé. Le choix de légaliser la consommation du cannabis permet donc d’encadrer davantage la qualité des produits tout en portant un coup au crime organisé.


Encore un tabou


Or, même si l’usage récréatif du cannabis est désormais légal, seriez-vous à l’aise de croiser votre patron dans une SQDC ? Certains comportements et habitudes de vie ont été socialement catégorisés par la masse comme étant bon ou mauvais. Ainsi, même après la légalisation du cannabis, les consommateurs continuent d’être jugés, voire même stigmatisés, en raison notamment du risque qu’ils prennent pour leur santé et celles de leurs proches. Qu’elle soit délibérée ou non, la stigmatisation de certains comportements jette une ombre sociale sur les personnes visées et cela peut conduire à leur disqualification sociale. Comme le droit est un processus dynamique influencé par son contexte, ce n’est pas parce que l’usage personnel du cannabis est légal qu’il est moralement acceptable de consommer pour autant. Afin de réduire la stigmatisation liée à la consommation de drogue comme le cannabis, il faut d’abord que ces comportements deviennent une norme sociale en étant acceptée par un bon nombre d’individus de la société.


Qu’en est-il des compagnies qui désirent interdire la consommation de cannabis à leurs employés? Air Canada, à titre d’exemple, souhaite interdire pour des raisons de prudence la consommation de cannabis à certains de leurs employés comme les pilotes, les agents de bords et le personnel chargé de l’entretien des avions. Bien que ce soit pour des raisons de sécurité, ce genre d’interdiction influence la manière dont les individus perçoivent la consommation de cannabis. Une telle interdiction envoie un message à connotation négative alimentant la stigmatisation liée à la consommation de drogues. Par conséquent, l’État n’est pas le seul à créer du droit; la manière dont les personnes, qu’elles soient physiques ou morales, se servent des lois est créatrice de droit en soit. Ainsi, en interdisant la consommation de cannabis à certains de leurs employés, Air Canada crée des normes sociales en marge du droit étatique formelle.


La peur plutôt que la compréhension


Le jour de la légalisation, Trudeau a déclaré : « On n’est pas en train de contrôler le cannabis parce qu’on pense que c’est bon pour la santé. Au contraire, on est en train de contrôler le cannabis parce qu’on sait que ce n’est pas bon pour nos enfants. » En d’autres mots, il a voulu rassurer les Canadiens en affirmant que le cannabis n’était ni un produit recommandé, ni bon pour la santé. Le gouvernement du Canada ne visait donc peut-être pas à éliminer les stigmates reliés à la consommation de drogues en légalisant le cannabis, mais bien à encadrer strictement sa production, sa distribution et sa consommation tout en continuant de réprimander les consommateurs. Aux yeux du gouvernement, les stigmates peuvent s’avérer être une autre forme de contrôle des consommateurs : la peur d’être étiqueté comme un stoner. L’alimentation des stéréotypes reliés à la consommation de drogue permet, dans une certaine mesure, d’effectuer un contrôle social sur les consommateurs.


La bonne vieille stigmatisation à l’égard des consommateurs de cannabis semble tout bonnement inutile à l’ère de la technologie. Ayant accès à une mine d’or d’informations en ligne concernant autant les dangers que les bienfaits du cannabis, les jeunes, comme les moins jeunes, ne sont plus autant intimidés et intimidables qu’avant. Il faut être conscient d’une chose : les milléniaux ne sont pas dupes. Par conséquent, il serait préférable que le Gouvernement du Canada se concentre davantage sur une meilleure diffusion de l’information à l’égard de l’usage des drogues plutôt que de stigmatiser les consommateurs. Il faut favoriser la compréhension plutôt que de cultiver la peur.


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