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Mahdi Saoula

Un bien mauvais rêve…

Cette nuit-là je me suis réveillé d’un cauchemar que je ne souhaite à aucun étudiant de premier cycle : un examen intra dont le sujet correspondait bien à celui du cours mais où les questions portaient sur des notions qui n’avaient aucunement été abordées en classe. Ce n’est qu’après un long supplice à retourner mes feuilles dans tous les sens et à regarder autour de moi que je me suis rendu compte que j’avais reçu un questionnaire rédigé par un professeur qui n’était pas le mien. L’horreur ! Bien que j’eusse été extirpé de mon sommeil, je ressenti le soulagement d’apprendre que ce n’était rien de plus qu’un mauvais rêve et que le souci des intras était bel et bien derrière moi…


Incapable de retrouver le sommeil, il me fallait à présent occuper le fil de mes pensées qui s’égrainait à ce moment-ci. Après une brève pensée pour ceux qui pourront enfin fumer leur calumet en paix, mes réflexions nocturnes se sont arrêtées sur les droits de la défense à notre époque.


Dans un contexte d’immédiateté et de sensationnalisme, où le procès est vite fait d’avance pour ceux qui auront le malheur d’effleurer la chronique judiciaire, il y a lieu de rétablir (trois fois plutôt qu’une) les principes et droits de la défense qui relèvent d’une société juste, libre et démocratique – en rappelant que ces prérogatives s’appliquent tant dans une cour de justice que dans la sphère publique.


Vous êtes-vous déjà demandé quel serait l’intérêt pour un avocat de défendre un violeur d’enfants, un terroriste international ou un prédicateur de la haine ? L’argent ? Si vous voulez. Mais encore ? Qu’est-ce qui fait en sorte que cet avocat peut bien dormir la nuit, lui ? Lors de son premier cours, un de mes professeurs a prononcé avec nonchalance cette phrase que je trouvais d’une beauté parfaite : « On ne défend pas des bandits, on défend des principes ». Dans cette simple phrase se cachent toutes les réflexions à avoir face au nœud complexe que la fainéantise du clic de souris de notre ère ne saura jamais dénouer.


L’infraction caractérise la société humaine et la distingue de la société animale. L’ordre établi dans une ruche ne sera jamais remis en cause par une abeille décidée à faire la grève ou une reine voulant se faire avorter – perpétuant ainsi sur des millions d’années un ordre stable et répétitif. La règle de droit et la norme juridique sont des notions totalement étrangères à ce type de société. L’infraction serait donc la remise en cause d’un ordre établi. Elle est ce qui fait en sorte que la société humaine change et évolue au gré du destin qui lui est tracé. D’où l’importance de former des juristes aguerris et consciencieux, capables de comprendre la complexité de cet ordre et d’en défendre les fondements. Nous assistons à une ère de changements où les luttes sociales prennent une nouvelle ampleur. Au cœur de ces évolutions, ne doivent pas être reléguées au second rang les règles et principes de droit encadrant la résolution de conflits.


La société peut bien percevoir un vilain criminel comme un produit défaillant de notre collectivité, il n’en demeure pas moins un produit issu de notre société – un individu, comme vous et moi, mais dont le destin aura pris la déroute. Au même titre qu’Hippocrate qui disait qu’il ne soignait pas la maladie mais le malade, l’avocat ne soigne pas le crime mais le criminel, en tentant d’éclairer le chemin l’ayant conduit à commettre un acte que nous réprouvons tous. Rien de subversif ici aux yeux de la société, puisqu’il s’agit d’aider cette dernière à produire les mesures préventives au crime. Se faisant, la défense en matière criminelle serait plutôt une mise à l’épreuve de la force et de l’efficacité d’un État de droit plutôt qu’un exercice vicieux visant à en saper les fondements.


D’autre part, tenter de comprendre le geste d’un criminel n’implique pas d’excuser ce geste, mais simplement de le comprendre. L’auteur d’une future tragédie meurtrière pourrait bien se trouver assis dans l’un de nos cours à la faculté. Je pense à Alexandre Bissonnette qui a le même âge que moi et avec qui j’aurais pu aller à l’école, ou à Guy Turcotte dont le parcours professionnel ne laissait peut-être pas présager un destin aussi tragique. De même, dans l’intérêt de prendre les mesures préventives à la protection de l’ordre public, il aurait été intéressant de questionner face à l’histoire des personnages qui n’auront pas eu droit au procès qui aurait permis de sonder l’abîme du cœur humain.


À la lumière de ces quelques réflexions, il incombe aux [futures] juristes de réitérer, au cœur du débat public, le principe de la présomption d’innocence ainsi que l’ensemble des droits de la défense qui en découlent et qui fondent un État démocratique. La démocratie, un système qui ne se résume pas seulement par des élections libres aux 4 ans, rappelons-le, mais aussi par la séparation des pouvoirs, la liberté d’expression et la stabilité d’institutions fortes et indépendantes. Cette tâche semble être de plus en plus ardue face à l’utilisation que nous choisissons de faire des outils de communication publique et des médias sociaux, dressés à broyer un individu mis en cause avant que celui-ci ne puisse être entendu.


Nul besoin de faire preuve de cynisme pour convaincre. Les très récentes déclarations de Denise Bombardier à l’encontre de Simon Durivage lors de son dernier passage à TLMEP témoignent de cet état de fait. La réponse de ce dernier ? « Je ne répondrai qu’en présence de mon avocat ». Vous faites bien, monsieur. Cela vous éviterait de croire vivre un bien mauvais rêve…



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