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Jad Elmahboubi

De l’identité


Complexe sujet qu’est l’identité.


Toute tentative de la définir exhaustivement ne rend que plus apparent l’impossibilité de la tâche. L’entreprise est largement complexifiée par la dichotomie entre les tendances à nous définir par ce que nous sommes (identité positive) et par ce que nous ne sommes pas (identité négative). En effet, de nombreuses caractéristiques ne se définissent que par opposition et par comparaison. La gentillesse, à titre d’exemple, ne peut véritablement s’évaluer qu’en contraste avec le comportement d’autrui.


Dans une société dans laquelle vous êtes le seul à dire bonjour aux passants, vous êtes assurés d’être considérés comme une personne fort aimable. Dans une autre où cette attitude est la norme, vous êtes banal, ne pas saluer pourrait même être perçu comme discourtois. Enfin, dans une société où chacun se livre à la flagornerie, votre simple « bonjour » sera vu comme insuffisant, et n’espérez pas alors pouvoir échapper à la médisance. Les actes ne sont ni bons, ni mauvais ; ils sont, tout simplement. Le degré d’identification à nos qualités respectives (bonté, intelligence, beauté, humour) ne peut se faire que par rapport à autrui. À tout le moins, nul ne niera que leur valorisation, tant personnelle que sociale, n’est possible qu’en raison de leur rareté.


Autre drame de l’identité : celle-ci nous est largement imposée.


Nul ne choisit sa génétique ou sa physionomie, et cette dernière n’est que marginalement modulable ; outre l’alimentation, les bonnes habitudes de vie et l’entraînement physique, rien ne peut naturellement modifier notre apparence. Toutes nos actions ne sont en réalité que des réactions aux contraintes initiales qui nous ont été imposées ; ce que d’aucuns appellent le libre arbitre n’est que la capacité d’agir dans un cadre très restreint, de choisir parmi un nombre limité d’options. La différence entre nos « choix » passés, présents et futurs ne tient pas tant à notre libre arbitre qu’aux différentes forces qui bataillent en nous et triomphent les unes sur les autres. Ce qu’on appelle « choix » n’est que le triomphe circonstanciel d’une force supérieure sur une force inférieure. La plupart d’entre nous définissons notre identité sur la base de l’acceptation de caractéristiques imposées qui peuvent s’avérer aussi bien favorables que défavorables. Notre propre naissance s’est produite hors de notre volonté, notre mort, si elle est autre qu’un suicide, connaîtra le même sort. Notre sentiment d’identification peut changer, notre identité réelle n’est que rarement modifiée. Il n’est pas nécessaire de s’épancher trop longuement sur le regard d’autrui et comment nous internalisons les jugements des nôtres pour se définir largement selon l’image que l’on renvoie aux autres, tant les sociologues de gauche ont déjà tout dit sur le sujet.


Je m’autorise une digression pour tenir quelques propos sur l’époque fascinante qu’est la nôtre. Certains rejettent entièrement toute identité imposée à laquelle ils sont renvoyés. Une telle position n’est possible que dans une société libérale, qui sacralise la liberté individuelle au point de l’ériger comme le plus fondamental des droits. Se voir imposer une apparence, une taille, une identité sexuelle ou ethnique est pour certains une insoutenable injustice, inconciliable avec le mensonge selon lequel chacun est libre d’être tel qu’il le souhaite. Ces révoltés contre la Nature désirent se définir entièrement, quitte à s’attirer l’incompréhension de tous. À n’en pas douter, demain sera le jour où les ainés désireront une réduction d’âge officielle suite à une opération de lifting – voire même sans – et où le syndrome Michael Jackson poussera certains à demander un changement d’ethnicité. Tout n’est qu’un sentiment. Mais il existe une différence insurmontable entre ceux qui sont, et ceux qui se sentent. Dès lors qu’on doit se justifier outre mesure de ce qu’on estime être, on peut être sûr qu’on ne l’est pas. Car celui qui est n’a jamais eu à se justifier, la question de ce qu’il était n’a dû que rarement effleurer sa pensée. Il est ce qu’il est, et personne n’a ne serait-ce que songé à le contredire. Fin de la parenthèse.


Après avoir dressé les difficultés les plus évidentes entourant l’identité, vient le moment d’en discuter en tant que force motrice, en tant qu’élément indispensable à tout type de réalisation. J’aimerais débuter par reprendre en la modifiant l’idée initiée par Thomas Hobbes et popularisée par le philosophe politique John Rawls, à savoir le voile de l’ignorance. Cet exercice de la pensée consiste à se placer dans une position originelle en faisant abstraction de ses intérêts personnels afin de décréter les grands principes devant dicter l’organisation de la société. J’aimerais proposer un concept plus modeste, le voile de l’existence, qui peut se résumer en la situation antérieure à notre existence, la période précédant notre arrivée dans ce monde. Si nous avions eu le choix d’être, qui aurions-nous été ?


Je suspecte chez la majorité des lecteurs une réponse que je partage, que j’estime souhaitable, qui est presque inéluctable : nous aurions choisi d’être nous-mêmes. Non pas que notre existence soit particulièrement préférable ou supérieure à une autre, mais elle est nôtre ; cela suffit. À la vie du plus heureux des hommes, je préférerais toujours la mienne, pour la seule raison qu’elle m’appartient et me définit. Je peux envier et admirer certaines qualités chez autrui, regretter de ne pas avoir développé celles qui me semblent estimables. Mais je ne peux désirer ces qualités suffisamment pour souhaiter être un autre que celui que je suis.


Le choix est déterminé par notre entrée dans ce monde ; nous existons déjà. Eussions-nous été derrière le voile de l’existence, le choix aurait probablement été différent. Délivrés du biais de notre propre existence, nous aurions alors choisi d’être la personne ayant une valeur objectivement supérieure : l’être le plus saint, le plus intelligent, le plus beau, etc. Mais ce choix, nous ne pouvons, nous ne devons plus nous y plier, à moins que cet être exceptionnel soit nous-mêmes évidemment.


Je ne peux pas véritablement souhaiter être un autre que celui que je suis parce que je suis déjà. J’embrasse en mon sein chacun des traits de mon ipséité, des plus nobles aux plus infamantes, car en l’absence d’un d’eux je ne serais plus. Je ne me sens pas la force ni l’envie de rejeter, réduire ou oublier mon idiosyncrasie.

J’avoue ne jamais être parvenu à comprendre ceux qui avaient recours à la chirurgie esthétique. Non pas que le travestissement ne soit pas en soi déplorable, mais plus encore que le mensonge à autrui, c’est le péché contre soi-même qui m’a toujours accablé. La violence symbolique d’un tel choix est inouïe, c’est se résigner à ne pas suffire et, pire encore, à ne pas se suffire tel qu’on est déjà. Je persiste à penser qu’un tel acte n’est que trop criminel contre sa personne, en dépit de tous les bienfaits subséquents qui peuvent en découler.


De la même manière, je ne peux pas véritablement souhaiter ne jamais être venu au monde, parce que j’y appartiens déjà. Si ma conscience avait précédé mon existence, j’aurais pu alors disposer d’un regard neutre sur la vie, juger de sa valeur et de l’intérêt de vivre. Mais maintenant que j’appartiens à ce monde, je ne peux plus le rejeter, ni désirer m’en libérer. Telle est l’intensité de son attrait. La vie peut être difficile, cruelle, inique ; voilà des épithètes que je peux admettre. Mais fausses sonneront toucheront à mes oreilles les paroles de ceux qui affirmeront que la vie soit laide. À titre personnel, ce n’est pas tant l’ordre auquel obéit l’Univers que le sentiment d’émerveillement qui me convainc de l’existence du Créateur. Un tel sentiment n’a aucune justification et l’argument rationnel qui me convaincra du contraire n’a pas encore été formulé. La vie ne désappointe jamais. Et ceux qui y renoncent ne sont pas tant déçus par la vie que par leur vie. Mais ce n’est là qu’impressions. La vie mérite-t-elle véritablement qu’on s’accroche à elle et de tels éloges ? Pour connaitre la réponse, quel autre choix avons-nous que de nous rendre au bout de la vie ?


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