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Béatrice Eng

La justice environnementale et notre responsabilité face à elle

La crise environnementale et les changements climatiques permettent une réflexion sur la nature humaine. Avarice et égocentrisme, voilà ce qui semble régner sur les rapports des États et des citoyens se développant dans les sociétés néo-libérales en contexte de mondialisation.


Pourtant, en tenant compte de l’existence des nombreuses recherches et constats scientifiques sur l’état de notre planète et la manière dont il affecte les plus vulnérables, nous sommes de plus en plus aptes et outillés à déceler nos propres failles, en tant qu’individus et en tant que nations. Il est connu que les effets et les conséquences de la crise climatique sont répartis de façon inégale au niveau international et national, en raison de considérations géographiques et géologiques, mais aussi politiques et juridiques. Pensons entre autres aux habitants des pays du Sud ou des pays moins développés, et aux communautés autochtones ou racisées, qui sont le plus affectées d’une part, par les déchaînements de la planète que nous ne cessons d’aggraver par nos actions (et paradoxalement, notre inaction), et d’autre part, par la manière dont nous gouvernons l’infrastructure de nos territoires.


Oui, dans notre culture du statut quo, de surconsommation, de paresse et de lâcheté politique, nous nous décevons nous-mêmes ainsi qu’aux autres. Ces autres, êtres humains ou pas, sont soumis à notre joug en raison des conséquences environnementales et sociales qu’ont nos caprices, notre confort, notre bonheur, notre bonne vie, quantifiables à la capitaliste. L’impact que cet égoïsme créé, véhiculé par les lois et les accords trop peu ambitieux, se traduit en injustices étouffées. Comment réaliser ce qui semble devenir utopie, soit l’idée selon laquelle tous devraient être garants de garanties fondamentales dans le contexte de la crise environnementale? En principe, cela est déjà chose acquise dans une démocratie respectable comme le Canada. Mais cet État et ses citoyens, en vérité, renient à plusieurs justice sociale et environnementale, par leur choix politiques et de consommation.


C’est une fois que l’on a réellement saisi l’urgence et la responsabilité que nous nous devons et que nous devons aux autres d’agir, que l’on peut progresser. Mais comment définir le progrès en cette ère où les accords composés de sanctions non coercitives et manquant d’ambition, sont félicités? Quand les projets de lois progressistes font encore face à de multiples résistances? Quand on se fait blâmer pour nos choix personnels de consommation pas assez verts? Quel est le rôle de nos gouvernements et quels sont ceux que nous pourrions avoir en tant qu’individus?


La justice environnementale en contexte nord-américain


La justice environnementale est « un paradigme émergent liant justice sociale et considérations environnementales (qui) repose sur trois postulats principales, soit que les minorités visibles aux États-Unis font face à plus de risques environnementaux, que les pauvres et les communautés socio-économiquement fragiles vivent dans un environnement dégradé et que (tout être) a le droit à un environnement sain, ainsi qu’aux ressources nécessaires à une vie saine, ressources manquant principalement aux plus démunis » [1].


Il faut donc d’abord admettre que la gestion viable et raisonnable de l’environnement (et ses enjeux tels que l’épuisement ou la surexploitation des ressources, les changements climatiques, les pollutions diverses) est aussi une question de justice et de droits humains. En effet, tous les phénomènes, causés par la nature ou la manière dont on gouverne, peuvent ultimement contrevenir à la jouissance de garanties juridiques telles que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, surtout lorsqu’on considère les effets sur la santé. Ce ne sont pas toutes les personnes qui ont un accès égal aux ressources fondamentales pour l’exercice de ces garanties telles que définies par le droit. En effet, dans certains cas, il y a même une discrimination explicite envers certaines communautés.


C’est ainsi qu’au début des années 80, la communauté Africaine-Américaine sort dans les rues pour dénoncer la décision de la ville de Warren, en Caroline du Nord, de faire de leur quartier un dépotoir acceptant de la terre contaminée au polychlorobiphényle (PBC), un polluant organique hasardeux et persistant qui, récemment, a été qualifié comme étant cancérigène pour l’homme. Le terme de « racisme environnemental » naît de cet évènement épistémique.


Au Canada, la communauté la plus meurtrie par nos décisions juridiques et politiques est la communauté autochtone. Dans les années 60, les débats concernant l’injustice environnementale qu’elle vivait tournait autour de la pollution engendrée par l’industrie du papier, de l’aluminium, de la coupe et de la manufacture, dont les effets probants sur la santé et les morts prématurées furent constatés. Aujourd’hui, on remarque de plus en plus que l’interprétation du droit permet aux Autochtones de regagner justice et de reprendre possession des libertés et garanties qu’on peut qualifier de fondamentales, grâce à l’interprétation large par les Cours, des droits décidés par le fameux législateur.


Pensons entre autres au projet de loi C-69 du fédéral, ou le jugement de la Cour suprême Nation Tsilhqot’in c. Colombie‑Britannique datant de 2014. Celui-ci confère un titre ancestral à la communauté des Premières nations de Tsilhqot’in de la Colombie-Britannique sur un territoire de 1750 kilomètres carrés près de Williams Lake et Alexis Creek, leur permettant d’avoir un mot à dire avant qu’une exploitation commerciale des ressources, qui pourraient porter préjudice à leur vie saine, puisse aboutir. On retrouve dans le jugement, que « les titulaires du titre ont droit aux avantages associés aux terres, de les utiliser, d’en jouir et de profiter de leur développement économique. Par conséquence, la Couronne ne conserve pas un intérêt bénéficiaire sur les terres visées par un titre ancestral [2]. » Cet exemple, parmi tant d’autres, illustre comment les lois et le gouvernement peuvent inhiber l’accès à la justice environnementale ou au contraire, la permettre.


Réflexions sur notre rôle dans le contexte de la crise environnementale


Cependant, l’inaction des gouvernements donne l’impression qu’il est du ressort des individus de combattre les conséquences des enjeux environnementaux divers. Cette idée fait deux choses : elle créé ces sentiments d’impuissance, de culpabilité et de cynisme que plusieurs ressentent face aux effets urgents des enjeux environnementaux qui semblent insolvables, mais elle permet aussi de créer de l’indignation et de la colère qui peut initier le changement.


D’une part, la charge est déplacée sur le citoyen qui se doit d’être responsable : il doit se sentir coupable pour son mode de vie qui n’est pas assez écologique et qui pèse sur la crise climatique, et donc tout ceux qui en sont affectés sont ceux qui n’ont pas les mêmes privilèges que lui. Il doit toujours moins consommer ou consommer végane, locale, organique, usagé, électrique, équitable… Or, ce discours en soi est préjudiciable et injuste, car ce n’est pas tout le monde qui a la facilité de faire ces choix de consommation souvent coûteux et inaccessibles (qui constitue une autre facette de la justice environnementale). Cependant, faire des choix éclairés et justifiés quant à ce qu’on achète et jette, c’est nécessaire. En effet, comme nous sommes des capitalistes (est-ce que je vous l’apprends?), nous sommes des consommateurs (de méchants consommateurs à part de ça). Dans ce système néo-libéral où l’offre et la demande est règle de nature, consommer c’est voter. En effet, consommer de façon plus responsable, c’est envoyer un message aux PME, aux artisans locaux, mais aussi aux grandes multinationales polluantes et aux lobbys tout-puissants concernant nos valeurs et ce à quoi on s’attend d’eux en tant que producteurs.


D’autre part, l’inaction peut nous rappeler notre pouvoir et notre force en tant que citoyens soumis à un système, oui, mais à un système qui s’avoue être de plus en plus muable. L’inaction nous rappelle qu’il faut prendre notre place car personne ne le fera pour nous. Un moyen intéressant pour agir, qui correspond à un vecteur complètement différent de la gestion de notre consommation, est la sensibilisation que l’on peut faire, qu’elle soit formelle ou informelle. Celle-ci peut se faire sous toutes les formes : par des discussions, des conférences, des rapports, des articles et même des œuvres artistiques. Je pense que nous sous-estimons notre rôle en tant que consommateurs, mais aussi en tant qu’interlocuteurs, écrivains et artistes. Rappelons-nous que l’art et les mots sont puissants, véhicule d’indignation et bâtisseurs d’empathie, des sentiments nécessaires pour le changement. Un véhicule des plus utiles est l’écriture, qui est un moyen de pouvoir planter de nouvelles idées, d’informer et donc d’aider à reconnaître les problèmes environnementaux et les injustices qui en découlent. Les articles et conférences à portée environnementale sont trop souvent factuels, rigides et non incitatifs. Ainsi, la sensibilisation, pourvu qu’elle soit habile, peut permettre de connoter les faits d’une manière beaucoup plus intéressante et touchante. En effet, les meilleures œuvres sont celles qui donnent une poussée d’adrénaline, le sentiment de vouloir se lever et de revendiquer, de vouloir changer les choses et de changer soi-même pour le faire.


Bref, force est de constater que notre part de responsabilité en tant que citoyens n’est certainement pas facile à définir dans la crise climatique, dont les conséquences mettent en danger, la vie de populations en particulier. Cependant, il faut continuer à considérer nos choix individuels et à utiliser notre voix pour se rapprocher de notre idéal sociétaire qui correspond à une société juste.


Sources :


[1] Lapointe, D., Gagnon, C. (2006). La justice environnementale : quelles perspectives pour le développement? Repéré à http://www.uqac.ca/portfolio/christianegagnon/files/2013/02/2006-05_ACFAS_EE.pdf

[2] Tsilhqot’in Nation v. British Columbia, (2014), 2 RCS 256


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