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Vicente Guzman Barra

La crise n’est pas environnementale


La cour brûle au feu. Les industries dérégulent la composition atmosphérique. Les gaz à effet de serre emprisonnent la chaleur solaire. La pétrochimie contamine les cours d’eau. La biomasse mondiale est en chute libre. L’écosystème planétaire se dérégule au complet. L’humain est un arbre dans la cour, mais trop loin du feu pour brûler.


Les feuilles de l’arbre (« milléniaux ») accusent le surplus de nutriments : « il n’y a pas de monde B! ». Elles se préoccupent de l’avenir. Il faudrait changer le cap. Il faudrait orienter les efforts vers la décroissance, sauver les organismes adjacents desquels l’arbre dépend. Un arbre sans voisins mourrait de solitude.


Les racines (« boomers ») crient à l’économie : « ce n’est pas réaliste! ». Il y a beaucoup trop de feuilles et le tronc est trop large. Cesser la croissance équivaut à la fin de leur vie de belles feuilles technologiquement adaptées, gâtées pourries.


Les feuilles, agacées, décrient la surdité, l’aveuglement, la turpitude des racines : « il n’y a pas de monde B là! ». Des millions d’entre elles se jettent aux rues et crient contre l’inertie des plus vieux. En effet, ce sont les racines qui détiennent les sièges de députés à l’Assemblée nationale.


Les racines, tracassées, répondent : « ce n’est pas réaliste! ». Des millions d’entre elles restent impassibles devant la télé-feu. En effet, elles y jettent même des petites branches. Le feu fascine les yeux.


Alors qui a raison? Les deux. Aucun des deux. Un arbre ne peut avoir raison sur lui-même. La crise est donc réelle. Elle est intergénérationnelle.


***

Au fond, c’est une crise généralisée de ce que Milan Kundera appelle la Litost. C’est un état tourmentant né du spectacle de notre propre misère, succédée d’un désir de vengeance. Le but de la vengeance est d’obtenir que l’autre se montre pareillement misérable. C’est l’état de nos racines et nos feuilles, se sentant dépourvues d’harmonie. L’humain est un arbre qui juge sa musique dissonante aux oreilles. Triste et déçu, il se venge sur lui-même, et poursuit son vacarme dissonant.


Autrefois, il n’y pas si longtemps de cela, lorsqu’il y avait un feu dans la cour (ou un grave danger), l’arbre s’y attaquait avec sagacité. Le sachant plus fort que lui, l’arbre se consultait et se mouvait avec humilité face à ce qu’il ne pouvait contrôler (rites, cultes). Des fois, il mourrait, résigné. Et, des cendres, un arbre poussait. Un jour, avec patience et créativité, l’arbre maîtrisa le feu. Il fit de belles choses (et des laides) avec ses connaissances et le feu. Aujourd’hui, il est maître de la cour – quels voisins sauver? – mais ne se maîtrise pas (plus) lui-même. Aujourd’hui, il n’a pas peur du feu, mais il a peur de lui-même, plus puissant que le feu.


Loin de moi l’idée d’idéaliser le passé. Car ce qui était vrai pour hier, nous le portons aujourd’hui. De génération en génération, des racines aux feuilles, les moyens de s’attaquer aux dangers qui guettent la cour sont transmis. Ils sont dans nos fibres. Il y a une continuité dans l’arborescence humaine. Les feuilles se hissent aux épaules des racines. La tradition – dans le sens véritable du terme et non pas dans le sens idéologique – nourrira toujours l’imagination de notre arbre solitaire. La tradition alimente le tronc, le commun, le langage et la culture.


***

Un arbre, c’est mélodieux. Il suffit de prêter l’oreille.


Et cesser d’expliquer aux racines en quoi elles n’ont rien compris. Elles sont sereines et s’attachent courageusement au sol, toujours plus profond.


Et cesser d’expliquer aux feuilles en quoi elles n’ont rien compris. Elles sont sensibles et s’agitent, traduisent par bruissement le vent volant au ciel.


Elles ont compris.


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