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Charles-Étienne Ostiguy

Épouvante politique

Si vous êtes un avide lecteur de ces pages, la triste réalité de l’anxiété rampante chez les universitaires ne vous sera pas étrangère. Certains événements facultaires tournent même autour de ce thème, offrant des conseils pour contrecarrer ses effets néfastes sur le bien-être mental et physique des étudiants. Or, avec la montée des nationalismes et des discours populistes, se pourrait-il que l’anxiété des jeunes électeurs devienne une redoutable arme de persuasion?


Cette théorie n’est pas particulièrement tirée par les cheveux. Il fut déjà prouvé, au cours des dernières années, que les cycles électoraux actuels affectent psychologiquement les jeunes. Aux États-Unis, une étude a démontré qu’environ 85% des jeunes ont été émotionnellement affectés par le cycle pré-électoral, ressentant stress et anxiété à des niveaux parfois alarmants, au point où certains affirmaient avoir un sommeil troublé pendant l’élection.


Peut-on cependant traduire cet effet tangible chez les jeunes en une tactique de persuasion politique? En fonction de l’angle avec lequel on aborde la question, la réponse peut largement varier.


À première vue, les partis ayant usé de tactiques politiques visant à tirer profit de la peur de la population vis-à-vis de certaines réalités comme l’immigration ou l’utilisation de drogues, ne sont pas les champions du vote des jeunes. Lors de l’élection de mi-mandat américaine, il est estimé que 68% des jeunes ont voté pour le Parti démocrate. À l’élection présidentielle de 2016, seulement 37% des jeunes ont préféré Donald Trump à Hillary Clinton. Au deuxième tour de l’élection présidentielle de France en 2017, 66% des jeunes électeurs y sont allés d’un vote pour Emmanuel Macron, tournant le dos à Marine Le Pen et ses positions polarisées sur les questions migratoires.


Ainsi, les politiciens préférant les tactiques de peur traditionnelles ne semblent pas être dans les bonnes grâces des milléniaux. Leur seule consolation à cet effet est le faible taux de participation des jeunes à toutes les élections du monde occidental, quoiqu’une participation inespérée des jeunes à une élection générale pourrait grandement renverser les succès des politiciens usant communément ces tactiques.


Pire encore, le recours à des raccourcis intellectuels provoquant la peur pourrait mener des jeunes à se liguer contre ceux qui daigneraient user de ce sentiment inopinément, créant un retour de balancier fort négatif pour ceux-ci. Ainsi, les partis qui voudraient se tourner vers de telles tactiques devraient éviter de trop en faire, question d’éviter de faire massivement sortir le vote contre leur position, ou encore de limiter la répulsion qu’auraient les générations plus jeunes face à leur organisation politique.


Néanmoins, les partis nationalistes de droite n’ont pas le monopole de la peur. D’ailleurs, les plus fins observateurs auront remarqué que cet article a librement interchangé les termes « peur » et « nationalisme », comme si ces deux concepts allaient main dans la main, comme plusieurs l’assument. Or, il en est tout autre. En fait, il serait plausible d’argumenter que la plus récente figure politique ayant usé avec succès de sentiments anxiogènes auprès des jeunes fut nul autre qu’Antonio Guterres, secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.


En affirmant en grande pompe en septembre dernier que si nous ne changeons pas nos pratiques d’ici 2020, nous risquons d’atteindre un point de non-retour quant au climat de la planète, Guterres a usé d’un argument particulièrement apeurant. De la sorte, il est possible de dire des récents discours alarmistes sur le climat que ceux-ci sont anxiogènes, en ce qu’ils provoquent un sentiment d’impuissance marqué chez son lecteur ou son spectateur.


Cependant, il faut distinguer les peurs suscitées par Guterres de celles des droites nationalistes. Alors que l’alt-right utilise des suppositions, des liens ténus et une grande part de préjugés négatifs pour dépeindre une pléthore de situations politiques, Guterres s’en tient aux faits et aux études. Les alarmes que celui-ci et ses collègues du monde scientifique tentent de faire retentir vigoureusement à travers le monde n’ont rien à voir avec les pseudo-faits utilisés par Donald Trump ou Marine Le Pen pour justifier l’éviction de familles et d’enfants migrants.


Mais au final, les jeunes électeurs sont, concrètement, fortement affectés par une certaine forme de politique de la peur. Cette peur parvient même à les mobiliser, menant à des montées surprenantes comme celle de Québec Solidaire ou à un taux de participation particulièrement élevé des jeunes américains aux élections de mi-mandat. La grande marche sur le climat du 10 novembre dernier est aussi, en quelque sorte, une résultante de discours apeurants.


Mettons néanmoins les choses au clair : nous avons bien raison d’avoir peur et de nous mobiliser pour une cause qui est garante de la survie même de notre espèce.



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