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Vincent J. Carbonneau

Ô Sainte Croissance

La crise climatique n’est plus à nos portes, elle a passé le portique, a déjà enlevé son manteau et ses bottes et s’est confortablement installée devant le poêle, bref elle est là pour rester. Il n’est maintenant plus question de mettre un terme aux changements climatiques, mais bien d’en limiter les dégâts et de préparer la population et les générations futures à vivre dans un monde bouleversé.


L’année 2018 a été marquée par cet esprit d’urgence, l’arrivée d’un nouveau gouvernement caquiste aux positions environnementales faibles, voire douteuses, a contribué à lancer cette mobilisation. Les artisans du Pacte pour la transition, tout comme les troupes solidaires, ont su utiliser ces inquiétudes populaires, pendant et après les élections, pour proposer des projets qui, selon leurs dires, pourraient résoudre la crise climatique.


Le Pacte et le mouvement écologiste ratent cependant complètement la cible, adoptant même un discours qui pourrait compliquer le combat à venir. Un élément crucial a été oublié : la croissance. Lorsque la nouvelle coqueluche solidaire parlait de notre dépendance à l’automobile, en la comparant à « une ligne de coke », je partageais totalement son point de vue, pas uniquement pour les automobiles, mais surtout pour un mode de vie qui exige toujours plus, et ce, rapidement. Pour fonctionner, le système économique mondial a besoin de cette croissance, c’est lorsque cette dernière n’est pas au rendez-vous que la catastrophe d’une crise économique se produit. Or, sur une planète où nous sommes de plus en plus nombreux, où nous exigeons de plus en plus, où nous consommons de plus en plus, mais qui est limitée par sa taille, par sa capacité à renouveler ses ressources, l’effondrement semble inévitable.


Cette croissance est même devenue une réelle religion, une foi indéniable envers un système économique qui, depuis la chute du bloc de l’Est, apparait intouchable, omnipotent, omniprésent et le seul à être viable. Nous pratiquons tous-tes ce culte, consciemment ou non. Nous travaillons tous les jour après jour pour cette croissance, nous nous achetons des voitures pour aller travailler, pour payer nos voitures, pour consommer, pour vivre, puisque c’est maintenant l’objectif suprême, celui d’espérer avoir plus. Le communautarisme a cédé sa place à un individualisme qui a donné un espace parfait à une consommation sacro-sainte : « J’existe parce que je consomme, je consomme parce j’existe ». Les grands gourous de l’économie, du haut de fortunes inimaginables et inatteignables, nous répètent à travers leur clergé de Wall Street et de la Silicon Valley que face à la menace, il faut consommer, que le divin marché s’autorégulera grâce à notre ferveur capitaliste, nous devons y croire. Amen !


Dans ce contexte de bouleversements climatiques, ce discours sacro-saint a évolué et a adopté une rhétorique qui s’impose désormais à la population. Un changement de structure économique demeure impossible, mais il faut travailler autour, sans réellement y toucher, il faut y introduire et échanger des éléments qui lui permettront de traverser la tempête. Les énergies fossiles, le pétrole surtout, sont devenues les boucs émissaires de ce changement.


Historiquement, c’est vraiment le pétrole qui a permis cette croissance, son potentiel énergétique, son abondance et l’aisance de le transporter, ont permis un puissant boum économique en Occident, qui aura lancé une prospérité phénoménale, portant nos sociétés à un niveau de confort inimaginable pour nos ancêtres. Nous en sommes devenus dépendants; plastique, voitures, agriculture, transport, nos sociétés modernes reposent sur l’or noir. On peut comprendre pourquoi plusieurs politiciens sont réticents, voire carrément opposés à toute attaque contre cette industrie, à l’origine d’autant de richesse. Dans leur déni de voir les limites de notre planète, plusieurs ont cependant vu l’arrivée imminente de la disparition du pétrole et des autres énergies fossiles. Des technologies vertes, qui étaient pourtant connues depuis plusieurs décennies, sont rapidement devenues les messies du modèle et servent maintenant à rassurer la population quant à son avenir.


Énergies vertes, voitures électriques, bioplastiques, intelligence artificielle, recyclage, notre avenir semble entre les mains de technologies qui se veulent miraculeuses. On nous promet qu’en tournant le dos aux énergies fossiles, en changeant les biens que nous consommons et en adoptant ce virage vert, nous pourrons enfin freiner, voire mettre un terme à notre dangereuse course vers le précipice climatique, sans avoir à changer notre mode de vie. D’autres technologies farfelues deviennent même des alternatives prises au sérieux, comme la fission nucléaire ou la collecte de ressources par la conquête spatiale, plutôt que d’envisager tout changement économique. Or, toutes ces inventions font face à plusieurs problèmes majeurs. Les ressources nécessaires à leur fabrication (métaux rares, lithium, etc.) sont disponibles en quantité limitée, sont souvent non-renouvelables et certaines sont mêmes carrément problématiques, en raison de la présence d’éléments radioactifs ou de l’immense volume d’eau qu’ils nécessitent pour leur extraction. La question du manque de ressources demeure problématique. Jusqu’à maintenant, l’humanité a réussi à ne pas frapper le mur en exploitant de plus en plus de territoires pour trouver plus de ressources et en augmentant sa capacité de production, mais nous atteignons aujourd’hui les limites de notre seule et unique planète.


Ce système est incompatible avec les mesures de réduction et de conservation, contenues notamment dans le Pacte, une technologie ou une habitude plus efficace ou qui utilise moins d’énergie mènera paradoxalement à une plus grande utilisation d’énergie et de ressources. Une réduction de notre consommation ne fera que ralentir l’arrivée de l’inévitable. Toutes nouvelles technologies posent un problème énergétique, puisqu’elles ne produisent pas d’énergie, mais en consomment. Une croissance « responsable » demandera aussi une quantité astronomique des ressources rares, en quantité limitée. La crise du recyclage au Québec démontre à quel point ce processus s’avère inefficace et même lorsqu’il est perfectionné, demande de l’énergie et demeure partiellement efficace, plusieurs éléments demeurent perdus à jamais et remplissent nos dépotoirs et ceux à l’étranger.


Alors, comment peut-on effectuer une transition verte au sein d’un régime économique qui exige une croissance infinie ? L’on ne peut pas, toute révolution écologiste dans un système économique basé sur la croissance sera vouée à l’échec. Les solutions doivent nécessairement s’accompagner d’un profond changement du système économique mondial.


La décroissance doit être une part importante de toute stratégie de transition afin que nous soyons logiques et cohérents dans nos actions, mais surtout pour que nous soyons honnêtes avec la population. Le mouvement écologique doit arrêter de promettre aux citoyens que leur mode de vie ne changera pas s’ils adoptent le style de vie vert qui leur est proposé. Il doit, de façon honnête, les préparer à une réalité où les ressources s’épuisent et où le niveau de vie est condamné à s’affaiblir, mais en expliquant que les conditions deviendront bien pires si ces mesures ne sont pas prises. Il est temps de prioriser une réduction des charges de travail, l’économie et la production locale, la communauté, la famille, vivre pour vivre et non pour consommer.


Le mouvement écologiste et les partis politiques sont-ils prêts à prendre cette direction ? Pour demeurer cohérents et réussir la transition qu’ils proposent, ils n’ont pas d’autres alternatives.


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