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Camille Rochon

La « propagande féministe » de Gillette et autres imbécilités


La semaine dernière, Gillette publiait une annonce qui ne mettait pas en scène des rasoirs, mais plutôt un message social. La publicité dénonçait la masculinité toxique et faisait la promotion d’une redéfinition du rôle de l’homme dans la lutte pour l’égalité des sexes. Le slogan de Gillette étant « The best a man can get », la pub de la compagnie déconstruit des clichés et des stéréotypes associés à la masculinité, reconnaissant qu’elle les a souvent elle-même véhiculés et entretenus au fil de ses campagnes publicitaires. Un message tout à fait approprié en 2019, non ? Un objectif louable, une réflexion intéressante. Or, quelques heures après la sortie de la publicité, les articles de type « Controverse autour de la pub de Gillette » et « Des hommes se disent insultés par la pub de Gillette » envahissaient Facebook. Au moment d’écrire ces lignes, un demi-million de « j’aime » pour plus d’un million de « je n’aime pas » sur Youtube. On assiste aussi à un mouvement #boycottgillette, avec des milliers de photos et de vidéos mettant en scène des hommes jetant aux poubelles leurs produits Gillette. Et pas seulement de la part de rednecks américains, non, des gens proches de nous se sont aussi sentis attaqués. Et je n’en crois pas mes yeux.


Non, on ne blâme pas, on n’accuse pas, on ne traite pas tous les hommes de violeurs dans cette pub de Gillette. Au contraire! On envoie un message positif. Un appel à la réflexion sur le rôle des hommes dans la crise #metoo que l’on vit, dans le monde malheureusement encore très sexiste de 2019. Rappelons que le féminisme, c’est pour tous, et par cette publicité, Gillette interpelle les hommes à prendre conscience du rôle qu’ils peuvent jouer pour faire avancer l’égalité des sexes. Rien de gros, rien de bien demandant, rien de bien révolutionnaire. Réfléchir à ses actes, dénoncer le sexisme ou le harcèlement sexuel dont on est témoin, amener ses amis à réfléchir à leurs gestes.


Pourtant, plusieurs se sont dits « attaqués » et « blessés » par cette publicité. J’ai rarement entendu quelque chose d’aussi stupide. On peut certes adresser certaines critiques à cette publicité et il n’y a évidemment pas lieu de louanger une grosse compagnie comme Gillette — malgré le « risque » pour une mégacorporation de se positionner sur un enjeu social, les retombées sont souvent positives sur le capital de l’entreprise, comme l’a démontré le cas de Nike et sa publicité avec Colin Kaepernick, et il est évident que, pour chaque choix publicitaire de grosses compagnies, on a bien évalué les retombées économiques —, mais les hommes qui se disent blessés par cette publicité m’épatent vraiment. Quel manque de tact, en cette période de dénonciation des agressions sexuelles, du harcèlement sexuel, des commentaires déplacés, du mansplainning, du cat calling et name it. Plusieurs hommes déplorent le manque d’humour des femmes à l’égard de « plaisanteries sexistes pas méchantes », leur « hypersensibilité » face à certains commentaires et gestes à caractère sexuel, et ensuite on viendra me dire qu’une publicité sur la masculinité redéfinie et positive comme vecteur de changement est « blessante »? C’est à la limite de l’insulte. Moi, je déplore un grave manque de jugement, d’introspection et de réflexion.


Certains disent que la publicité met tous les hommes dans le même panier, qu’elle les traite de misogynes et d’agresseurs sexuels. Certaines femmes ont même réagi en clamant « We love men! », comme si cette publicité démonisait les hommes et les traitait de monstres! Il n’y a rien de tel dans la publicité de Gillette, ni dans le féminisme moderne. Ce qu’on y voit, c’est, oui, des commentaires et des gestes déplacés, une réalité omniprésente, qu’on le veuille ou non (regardez l’actualité, posez des questions aux femmes autour de vous), mais ce qui est mis de l’avant, ce sont les gestes positifs d’hommes qui interviennent pour remettre un ami à sa place, pour s’assurer qu’une jeune femme est à l’aise, pour aider un petit garçon intimidé. Ce qu’on vend comme message, c’est que les hommes ont leur place dans la lutte féministe, qu’ils ont un rôle à jouer et qu’en 2019, la façon de devenir un homme, c’est d’être respectueux, à l’écoute, à l’affût des situations inacceptables et d’avoir le courage d’intervenir. Cette pub, c’est un espoir que peut-être 2019 saura voir une redéfinition de la masculinité (oui les hommes pleurent, oui les hommes ont peur, oui la maladie mentale, la dépression et l’anxiété peuvent les affecter, eux aussi), une participation plus active des hommes à la lutte féministe, une atténuation des stéréotypes genrés, le début de la fin de la mentalité désuète du « Boys will be boys », du « Boys don’t cry », du « Man up ».


De toute évidence, un objectif trop ambitieux pour les détracteurs de cette publicité. De toute évidence, je vois trop en rose. De toute évidence, les mentalités sont encore bien pathétiques. À tous les hommes sensés autour de moi, féministes et ne se sentant pas attaqués par cette publicité, faites-vous entendre, de grâce. Il est plus que temps que les hommes osent se mêler de la discussion, se disent féministes, dénoncent les injustices dont ils sont témoins. Beaucoup le font (je vous invite d’ailleurs à aller lire les très intelligents articles de mes collègues Marc-Antoine Gignac et Simon Lacoste dans le Pigeon à ce sujet parus récemment), mais il y a place à plus. Ce serait drôlement rafraîchissant, pour 2019.


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