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Alexandrine Lahaie

Un échec collectif


Le 20 janvier dernier, la ministre de la Justice Sonia Lebel, Véronique Hivon du Parti Québécois et les porte-paroles en matière de condition féminine du Parti libéral et de Québec solidaire, Hélène David et Christine Labrie, ont été invitées sur le plateau de Tout le monde en parle. Elles ont alors pu discuter de leur rencontre sur la création d’une chambre consacrée aux agressions sexuelles au sein de la Cour du Québec. Le projet est de créer des tribunaux spéciaux, tels que ceux présents en Afrique du Sud, de pair avec des centres intégrés pour les victimes, où elles bénéficieraient du support de psychologues ou de travailleurs sociaux.


Je me suis tout de suite réjouie de cette avancée. Après tout, on ne peut être contre la vertu et après la vague #moiaussi, presque tout le monde s’entend à dire qu’il y a des changements à faire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon Statistique Canada, seulement 5 % des victimes vont porter plainte à la police et parmi ce pourcentage, 12 % des cas se concluent par une condamnation.


Pourtant, autant je me dois de souligner cette initiative, tout comme celle du fédéral de réformer le Code criminel en matière de consentement, je me dois aussi de constater qu’il ne peut y avoir de solutions magiques à un problème juridique et social aussi complexe. En effet, ce débat fait écho au livre d’Elaine Craig, Putting trials on trial, qu’elle a présenté à McGill le 7 novembre dernier lors de l’annuel Patricia Allen memorial lecture. Cet ouvrage traite des problématiques présentes dans les procès pour agressions sexuelles au Canada, ainsi que de solutions concrètes pour améliorer la situation.


Lors de la conférence, Pre Craig a d’abord expliqué comment le poids était lourd pour les victimes d’agression sexuelle de raconter encore et encore leur trauma, tout en restant cohérentes et en ayant une mémoire indéfectible. Cette exposition, jointe à une stigmatisation, les mettent dans une situation de vulnérabilité incomparable. Une vulnérabilité exacerbée chez les femmes racisées, autochtones ou en situation précaire, qui sont d’ailleurs les groupes les plus touchés par ce type de crimes. Par exemple, pensons au déroulement de procès, qui peut être extrêmement intimidant et auquel les victimes ne sont souvent pas préparées adéquatement. Nous échouons à protéger et accommoder ces plaignantes. Deux citations de victimes de Toronto en 2016 illustrent ce déplorable état des faits :


« The bulk of my rape trauma is not the result of the sexual assault itself but of the brutality of the legal system. ».


« When they say you get raped again on the stand, I initially didnʼt believe it to be true but it absolutely is. »


Cette situation est inacceptable et c’est un échec de notre système judiciaire. Néanmoins, comme le souligne Craig, l’échec judiciaire est le fruit d’un échec social. En effet, le système judiciaire est influencé par des stéréotypes sur les femmes et sur la sexualité qui persistent; qu’une victime qui ne se débat pas est consentante, qu’une femme sexuellement active n’est pas digne de confiance ou encore que la consommation d’alcool rende une femme plus débauchée sexuellement.


Même avec des directives qui empêchent les avocats de faire référence au passé sexuel de la victime, à son habillement ou de l’humilier, ces pratiques continuent. Par exemple, dans le cas de Robert Simmonds, on a introduit en preuve les messages textes érotiques de la victime à son conjoint, qu’elle a dû lire tout haut en Cour. On voulait ainsi prouver la personnalité sexuellement perverse de la victime afin d’innocenter l’agresseur. Aussi, voilà un extrait troublant d’un procès de 2013 en Alberta où le rapport sexuel a été jugé consentant:


« Eventually you stopped saying no, and you opened up your legs and the sex act occurred, correct? Yes. You didnʼt scream? No. You didnʼt cry? No. You didnʼt lock yourself in the bathroom? No… Well you did let him have sex with you right? Eventually, yes. You stopped saying no. But I didnʼt say yes. ».


Donc, certes, il est urgent d’entamer une réforme sur le plan judiciaire. Néanmoins, à mes yeux, des mesures aussi urgentes sont à mettre en place parallèlement sur le plan social. Nous devons instaurer des cours d’éducation sexuelle qui vont spécifiquement porter sur le consentement. Nous devons revoir la représentation des rapports intimes que l’on fait dans les médias. Nous devons parler de ce sujet, il a été tabou trop longtemps. Enfin, comme le mentionnait la députée Labrie, penchons-nous à rendre les services psychologiques plus accessibles et moins stigmatisés; toutes les victimes ne veulent pas nécessairement aller en Cour.


Le vrai échec ne se trouve donc pas dans les palais de justice, mais dans la société elle-même. Il faut changer les mentalités, mettre fin à la culture du viol et s’assurer que l’on parle autant d’aide aux victimes que de prévention d’agressions. En effet, même avec un verdict de condamnation, les victimes auront quand même leur vie marquée, et ce, à cause de notre échec collectif.


Crédits de l'image : Mathilde Corbeil



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