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Marc-Antoine Gignac

Avec pas d’voix


Je ne veux pas décevoir mon lectorat, mais sachez que j’ai récemment écouté, malgré moi, la très célèbre émission La Voix. Je n’ai eu aucun plaisir à m’adonner à l’exercice et Charles Lafortune est toujours aussi désagréable que dans le temps où il animait – qu’animait-il déjà ? J’ai pu au moins en profiter pour me questionner sur ma société, et pour cela je suis content d’avoir regardé cette émission de grande écoute.


Un concept bien simple, que beaucoup de gens adorent, revient à asseoir ensemble quatre personnalités aussi disparates qu’Éric Lapointe, Alex Nevsky, Lara Fabian et un autre dont j’ai oublié le nom (Marc…?). Lesdites personnalités connues (ça, c’est très important) écoutent, à l’aveugle, des candidat.es chanter et font mine d’aimer ça. Si elles aiment vraiment ce qu’elles entendent (car on ne peut pas voir), elles recrutent dans leur équipe l’heureux.se candidat.e. Ma compréhension du concept s’arrête ici.


Avec des cotes d’écoute environnant les deux millions, je n’ai pas plus envie qu’il ne le faut de mitrailler cet insignifiant programme. Je pense au contraire pouvoir affirmer que cette émission est relativement représentative d’une partie du Québec, et je me permets d’en tirer des conclusions sociologiques. Outre le ridicule des personnalités (au lieu de musicologues ou d’autres experts en musique, par exemple), ce qui m’a le plus frappé était l’accablante présence de l’anglais. Je ne suis pas anglophobe. Je trouve tout à fait justifié pour un anglophone, au contraire, de chanter dans sa propre langue, qu’il maîtrise et dont chaque mot a pour lui une signification.


Je me questionne toutefois sur la raison qui pousse un artiste francophone à s’exprimer dans une langue seconde, qui, comme par hasard, se retrouve à être l’anglais. Certes, nous sommes entouré.e.s et bombardé.e.s de chansons anglaises, mais manquons-nous réellement d’un répertoire francophone ? Par ailleurs, avez-vous entendu à La Voix chanter en allemand, en arabe ou en espagnol ? Téléphonez-moi.


L’épisode que j’ai regardé était d’autant plus intéressant sur ce point : un artiste, que je félicite, a chanté une chanson de style trad, soit la musique traditionnelle de violoneux qu’on n’écoute que durant les fêtes. Son objectif, en effet, était de populariser ce style, bien de chez nous, pour en faire une réelle fierté. Or, de tou.te.s les candidat.es en lice, il fut le seul à n’avoir été recruté par aucun.e des coaches. Le seul à oser de la musique québécoise traditionnelle s’est vu refuser la porte du succès.


Je trouve foncièrement désolant que, pour avoir du succès à l’intérieur même du Québec, un francophone ait à chanter dans une autre langue que sa langue maternelle, à refuser ses origines. C’est avec notre première langue que l’on s’exprime. C’est à travers cette première langue que l’on conçoit le monde, que l’on pense et qu’on communique. Pourquoi se tourner vers une autre langue, moins maîtrisée, moins comprise, alors que la langue de Molière nous offre ses richesses, et que les paroles d’artistes comme Charles Aznavour, Gilles Vigneault, Ariane Moffatt, Diane Dufresne et j’en passe savent nous donner des frissons à chaque écoute ? Sommes-nous donc condamné.e.s, comme peuple, à nous détester, à ignorer notre culture? « Même Céline ne chante plus en français! » (Et, si je puis me permettre une réelle prise de position, ses chansons en français sont les meilleures, surtout Destin).


Peut-être ne s’agit-il que d’une coïncidence. Peut-être aussi n’avait-il pas une belle voix – qui suis-je après tout pour juger de cela ! Je souhaite simplement semer en vous le doute raisonnable, chères lectrices et chers lecteurs aguerri.e.s, afin que vous aussi remettiez notre société en question. Afin que notre riche culture continue à prospérer, afin que nous puissions tous parler d’amour.


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