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Samuel Lepage

La jeunesse face à l’inaction environnementale du gouvernement

Dans une ambiance politique et sociale caractérisée par la prise de parole de la jeunesse pour faire valoir ses intérêts et ses aspirations à un avenir vert et sécuritaire, l’organisme d’éducation relative à l’environnement, ENvironnement JEUnesse, a déposé en novembre dernier une demande d’autorisation de recours collectif contre le gouvernement canadien. Ce recours regroupe tous les jeunes Québécois de moins de 35 ans, soit 3,4 millions de Québécois, groupe qui vivra les dérèglements climatiques à leur quotidien si le gouvernement fédéral persiste à faire moins que le minimum nécessaire pour garantir un avenir de qualité à ces jeunes.


En effet, l’action collective, qui n’a toutefois pas encore été autorisée par la cour, vise à faire reconnaitre que le gouvernement fédéral, malgré ses nombreux engagements sur la scène internationale, ne respecte pas les barèmes qu’il s’est lui-même fixés, soit la limite d’augmentation de la température de 1,5° Celsius. On demande également des dommages punitifs en vertu de l’art. 49 al. 2 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne pour la faute intentionnelle du gouvernement canadien en violant le droit à la vie (art. 1 Charte québécoise des droits et libertés de la personne), mais aussi le droit à un environnement sain (art. 46.1 Charte québécoise des droits et libertés de la personne) en lien avec la responsabilité extracontractuelle (art. 1457 C.c.Q.) entre les citoyens et la Charte. Le groupe Environnement Jeunesse, représenté par le cabinet Trudel, Johnston et L’Espérance, avocats reconnus pour leurs nombreux succès en matière d’action collective, invoque aussi le droit à la vie (art. 7) et à l’égalité (art. 15(1)) de la Charte canadienne des droits et libertés pour prouver la négligence du gouvernement canadien en matière de changements climatiques et d’émissions de polluants [1].


La première étape d’une action collective est l’autorisation par la cour du bien-fondé de l’affaire, mais également de la composition et de la délimitation du groupe visé par cette action. Malgré qu’il y ait certaines chances que cette action ne passe pas cette étape introductive, les espoirs que celle-ci soit autorisée dans les prochains mois sont grands, surtout en considérant qu’une action collective en matière d’environnement par l’AQLPA (Association québécoise de la lutte contre la pollution atmosphérique) a reçu son autorisation en janvier 2018, soit le Dieselgate qui vise tous les Québécois ayant pu respirer la pollution illégale des véhicules Volkswagen en fonction du non-respect des normes environnementales sur les émissions de polluant et du droit à un environnement sain prévu à la Charte québécoise.


L’action collective d’ENJEU (ENvironnement JEUnesse), considérant ses grandes chances de réussite à l’étape de l’autorisation, n’est pas gagnée d’avance et le dénouement de cette affaire pourra prendre de longues années avant d’avoir des impacts positifs sur la société canadienne. Plusieurs embuches pavent la voie vers le succès de l’action d’ENJEU et assureront plusieurs maux de tête aux avocats de TJL. Pour mener l’action vers le succès, les avocats devront, en premier lieu, prouver la faute du gouvernement en lien avec les droits protégés par les chartes. Parmi les droits invoqués par ENJEU, celui du droit à l’égalité pourrait être une source importante de débat, puisque celui-ci requiert qu’un groupe, déterminé et déterminable, ait été traité d’une manière discriminatoire par rapport au reste de la société. L’avantage de plaider ce droit est qu’on ne met pas l’importance sur un lien de causalité puisque le seul traitement discriminatoire prouve un préjudice [2]. Cet avantage profite surtout aux poursuites en matière d’environnement. Par contre, il faut démontrer que le groupe est bien délimité. Dans le cas de l’action d’ENJEU, l’âge de 35 ans peut sembler arbitraire, étant donné que, dans l’actualité, ce sont principalement les personnes âgées qui souffrent le plus de l’augmentation des températures durant la période estivale, par exemple. Ensuite, pour le droit à un environnement sain dans la Charte québécoise, droit incorporé plutôt par stratégie politique que par réel souci de préservation de l’environnement, celui-ci reste un droit applicable seulement dans la mesure du manquement à une autre loi. Ce droit est alors symbolique, mais peut augmenter les pressions politiques sur ce sujet.


Si les juges reconnaissent la faute du gouvernement en lien avec les chartes, établir le lien de causalité entre la faute et le préjudice sera aussi complexe à démontrer, surtout en matière d’environnement où les préjudices sont parfois assez diffus et plus abstraits à percevoir. Par contre, avec l’avancée des technologies et les nombreuses recherches scientifiques, il est de plus en plus clair, et non plus seulement hypothétique, que l’inaction en environnement par les gouvernements cause l’accélération des changements climatiques et que ceux-ci aient des conséquences prévisibles qui causeront préjudice à des populations spécifiques [3]. Par contre, malgré l’atteinte aux droits protégés par les chartes, les juges devront également évaluer si les chartes peuvent imposer des obligations positives au gouvernement, surtout en lien avec le droit à la vie qui s’applique seulement dans le cadre de l’administration ou du système de justice, possibilité élaborée dans les propos de la juge McLachlin dans l’arrêt Gosselin [4]. Les juges, selon Me Hugo Tremblay, professeur de droit et expert en matière d’environnement, ne sont pas enclins à permettre des obligations positives par le droit à la vie, car cela reviendrait peut-être à diminuer la discrétion législative du gouvernement en permettant aux juges de faire de la politique, ce qui reviendrait à une grave atteinte à la séparation des pouvoirs. Évidemment, pour pouvoir imposer au gouvernement de respecter un certain objectif en élaborant un plan cohérent en matière de changements climatiques, les juges devront accepter que le droit à la vie, sous certaines conditions, puisse imposer des obligations positives au législateur. Au final, l’interprétation des chartes reviendra aux magistrats, mais une interprétation plus libérale des chartes pourrait mener à la création d’un fort précédent en matière de protection de l’environnement pour le bien-être de la population et, comme le précisent Mme Nathalie Chalifour, professeure de droit à l’Université d’Ottawa, et Mme Jessica Earl dans leur article sur les changements climatiques en lien avec la Charte canadienne des droits et libertés, « Canadians are already adapting to the realities of climate change, and judges should do the same » [5].


Dans tous les cas, que l’action collective soit ou non reconnue et triomphante par les tribunaux québécois, les retombées positives seront nombreuses. Dans le cas où l’action est accueillie, les juges pourront imposer au gouvernement fédéral d’adopter des cibles rationnelles accordées d’un plan d’action réalisable et ambitieux (solution adoptée par la cour des Pays-Bas dans l’affaire Urgenda), ce qui obligera le gouvernement à agir en fonction de la sauvegarde de l’environnement et de la prévention des changements climatiques trop rapides. De plus, « Le gouvernement ne pourrait pas faire constamment du backtracking, comme les gouvernements le font jusqu’à présent, parce que dorénavant la cour aurait mis la table » aux objectifs à respecter en matière d’environnement, précise Me Tremblay, mais aussi permettra de garantir qu’un changement de gouvernement à la suite d’élections n’aura aucun effet considérable sur le plan d’action gouvernemental en matière de diminution d’émissions de gaz à effet de serre, toujours selon Me Hugo Tremblay. Au contraire, si l’action est rejetée, elle fera tout de même partie de l’historique juridique en matière de changement climatique et pourra permettre à d’autres poursuites de s’inspirer de celle-ci pour construire la leur sur des bases plus solides. L’action donnera également beaucoup de publicité à la cause de la protection de l’environnement pour l’avenir des jeunes et permettra peut-être d’augmenter la pression populaire envers le gouvernement pour le presser d’agir, alors que le temps est encore favorable à l’action de réparation humaine, pour ne pas se retrouver avec un climat déréglé et dangereux auquel les jeunes seront les principaux à en être affecté dans les années futures. Dans tous les cas, ce genre d’action, enclenchée et menée à terme par la jeunesse, donne espoir, surtout «dans un contexte où il y a beaucoup de cynisme et où les jeunes sentent que peu importe leur avis, ils ne sont pas tellement entendus, alors ça [l’action collective d’ENJEU] donne de l’espoir que l’on peut se présenter devant les tribunaux, qui parait quand même comme un mode d’action très sérieux et très grave aussi et pris, à l’inverse, au sérieux par les gouvernements […] », précise Catherine Gauthier, directrice générale d’ENJEU et représentante de la présente action collective, à toute une génération que leurs voix peuvent être entendues et qu’elles résonnent grandement auprès des décideurs fédéraux qui ne pourront se fermer les yeux encore bien longtemps.


Une chose est certaine, comme l’exprime Me Tremblay, le droit n’est pas suffisant pour accomplir de véritables changements en matière de protection de l’environnement contre l’entêtement des gouvernements actuels, mais ce genre d’action juridique, en conjecture avec les nombreuses pressions populaires que sont le développement de projets écologiques et verts à petite échelle et dans le cadre de plus grandes entreprises ou en affirmant l’urgence d’agir lors de rassemblements et de grèves, peut mener la jeunesse à s’émanciper et à prendre les rênes de son avenir en imposant aux gouvernements d’agir pour assurer un futur aux générations d’aujourd’hui et de demain.


[1] Demande d’autorisation pour une action collective, Environnement JEUnesse c. Canada (Procureur général), 2018 C.S. [En ligne]

[2] Nathalie CHALIFOUR, « Justice and the Charter: Do Environmental Injustices Infringe Sections 7 and 15 of the Charter? » (2015) 28:1 J.E.L.P

[3] Nathalie CHALIFOUR et Jessica EARLE, « Feeling the Heat: Climate Litigation Under the Charter's Right to Life, Liberty and Security of the Person », (2017) 42 Vermont Law Review

[4] Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, par. 77, 82-83

[5] Nathalie CHALIFOUR et Jessica EARLE, « Feeling the Heat: Climate Litigation Under the Charter's Right to Life, Liberty and Security of the Person », (2017) 42 Vermont Law Review





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