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Jérôme Coderre

Le NPD, ou l’art de tout bousiller



S’il y a bien une chose que cette campagne électorale fédérale nous apprend, c’est que huit ans en politique c’est long. Une éternité même. Il y a huit ans, le Nouveau Parti démocratique de Jack Layton faisait élire 103 députés, un record du parti, et devenait l’opposition officielle à la Chambre des Communes, une première dans son histoire. Porté par la vague orange, le NPD pouvait alors légitimement aspirer à devenir une force politique d’importance au pays. Huit années ont passé et une triste certitude s’impose déjà : Jagmeet Singh ne deviendra pas le 24e premier ministre du Canada. Retour sur une descente aux enfers sans égal.


L’ancien premier ministre britannique John Major disait : « La première exigence en politique n’est ni l’intelligence, ni l’endurance, mais la patience ». Venant de la bouche d’un homme au parcours politique fascinant, il est difficile de s’y opposer, surtout que c’est précisément cette approche qu’a suivi Tommy Douglas pour créer le NPD en 1961.


Quand ce dernier est devenu premier ministre de la Saskatchewan en 1944, formant ainsi le premier gouvernement socialiste de l’histoire en Amérique du Nord, la province qu’il dirigeait faisait alors face à un déficit de 200 millions, soit près de 38 % de son PIB. Inutile de dire qu’une situation économique aussi précaire rendait difficile, voire impossible l’instauration de mesures sociales et progressistes. Pourtant, c’est exactement ce qu’il a fait.


On connaît surtout Tommy Douglas comme un pionnier de l’assurance maladie gratuite et universelle au Canada. On le connaît aussi pour ses nombreuses mesures d’aides aux fermiers de sa province. On le connaît même pour l’agrandissement du réseau d’électricité en région et pour la légalisation des syndicats dans la fonction publique saskatchewanaise. Ce qu’on ne sait peu, ou pas, de Tommy Douglas, c’est que c’est lui qui a effacé la dette provinciale en 1953. La clé ? 17 budgets équilibrés consécutifs entre 1944 et 1953.


Plusieurs ont reproché à Douglas son approche trop passive et lente. Nombreux étaient ceux dans ses rangs qui réclamaient des changements plus drastiques, quitte à s’endetter un peu plus. Douglas savait toutefois que la recette pour être crédible aux yeux des électeurs consistait, même pour un gouvernement socialiste, à se doter d’une politique économique stricte et pragmatique. Si Douglas, comme certains lui suggéraient, avait instauré ses programmes sociaux plus rapidement, sans toutefois équilibrer le budget, à la moindre occasion, le NPD aurait été chassé du pouvoir, et les mesures sociales nouvellement instaurées seraient probablement disparues. Pour Douglas, être un parti de gauche ne signifiait pas dépenser sans compter, bien au contraire.


Fort de son expérience provinciale, Douglas a fondé le NPD en 1961 et lui ont succédé plusieurs chefs charismatiques et doués, sauf qu’aucun n’a su en faire assez pour convaincre les Canadiens de passer à l’orange. Plusieurs raisons expliquent ces insuccès répétés, mais une s’impose, soit l’incapacité du parti à être reconnu comme un parti de gouvernement.

Depuis ses débuts, le NPD s’est forgé la réputation d’être la conscience du parlement, un parti formidable dans l’opposition pour critiquer ses adversaires, libéraux comme conservateurs, mais incapable de faire suffisamment de compromis sur des principes moraux de gauche pour aspirer à gouverner.

Cette tendance s’est stoppée en 2012 quand Thomas Mulcair, ancien ministre libéral provincial sous Jean Charest, est devenu le chef du NPD. Mulcair, inspiré par Tommy Douglas, s’est révélé être un politicien centriste, préservant les valeurs morales socialistes du parti, mais en promettant aussi un budget équilibré, une proposition audacieuse compte tenu du fait que Trudeau, lui, promettait des déficits pour financer ses projets. On connaît la suite, Justin Trudeau a gagné son pari et est devenu premier ministre. La question du niqab a certainement été un facteur pour expliquer la défaite néo-démocrate, mais essentiellement, le NPD a perdu parce qu’il a été dépassé à sa gauche par les libéraux.

Plutôt que de faire preuve de patience et laisser Mulcair tenter à nouveau sa chance en 2019, les membres du NPD se sont empressés de le chasser, sans pour autant savoir qui le remplacerait. Et c’est ainsi que Jagmeet Singh, un politicien sympathique, mais incapable de diriger un parti national se retrouve devant un défi qu’il ne pourra relever : redonner au NPD ses lettres de noblesse.


Une troisième voie jamais assumée


Le concept de troisième voie en politique réfère à une approche idéologique apparue au milieu des années 1980 pour offrir une alternative intéressante aux deux visions politique traditionnelles, le conservatisme à droite et le socialisme, à gauche. C’est Anthony Giddens, professeur d’économie à la prestigieuse London School of Economics qui en a théorisé les fondements. Pour lui, la troisième voie se voulait une façon pour les partis de gauche de gouverner au centre économique pour rejoindre un plus grand bassin d’électeurs, tout en ne renonçant pas à ses valeurs de changement et de justice sociale.

Plusieurs politiciens à travers le monde ont popularisé cette nouvelle approche, dont Bob Hawke en Australie, Tony Blair au Royaume-Uni, Bill Clinton aux États-Unis, et, d’une certaine manière, Jean Chrétien au Canada. Le Québec peut aussi se targuer d’avoir eu un politicien de la troisième voie en la personne de Lucien Bouchard. L’ancien premier ministre péquiste a réussi à la fois à atteindre le déficit zéro, tout en créant un programme de garderies gratuites, un véritable tour de force politique.

En rétrospective, bien que le concept de troisième voie n’existait pas encore dans les années 1940, on peut dire, en quelque sorte, que Tommy Douglas en a été un fier représentant. Et, à sa façon, Thomas Mulcair a dignement repris le flambeau de cette idéologie centriste, pragmatique et vectrice de changement. Malheureusement pour Mulcair, le parti qu’il dirigeait ne lui a même pas laissé le temps d’imposer cette nouvelle vision. Par manque d’audace, possiblement. Par manque de patience, assurément.


Le résultat de tout cela est que le Canada se retrouve aujourd’hui dans une impasse, pris à devoir choisir entre les deux mêmes partis, dont les lacunes sont plus qu’évidentes. D’une part, Trudeau, à qui quelques cours d’économie ne nuiraient pas. Et de l’autre, Andrew Scheer, qui souhaite occuper la fonction la plus importante au pays sans avoir le moindre plan sur la lutte aux changements climatiques… Difficile de ne pas s’ennuyer de Thomas Mulcair dans de telles circonstances.

Évidemment, se décourager n’est pas la bonne option. Un jour ou l’autre, un autre parti émergera pour offrir une alternative crédible et raisonnable aux libéraux et aux conservateurs. Entre-temps c’est le NPD qui regrette, mais c’est la politique canadienne qui en souffre.

Tommy Douglas disait : « Courage, my friends; it’s not too late to build a better world. ». C’est simplement dommage que ce ne sera pas le parti qu’il a fondé qui le bâtira.


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