top of page
Emma Hason

Le bilinguisme est un cadeau précieux et les Québécois le tiennent pour acquis


Il y a une bannière qui pend au-dessus de l’entrée de l’Université sur la Place Laurentienne, une bannière énorme qui proclame avec fierté : « J’ÉTUDIE EN FRANÇAIS. » Message reçu- l’Université de Montréal, c’est une université francophone, et une qui est fière de l’être. Personnellement, je n’ai aucun problème avec cela. Je l’applaudis, même. Mais en voyant une bannière aussi large affichée sur la façade de mon école de droit, je ne peux pas m’empêcher de penser à la toute première chose que l’on m’a apprise dans mon cours d’Intro ici à la fac- que le système juridique du Québec est unique au monde, car il contient à la fois des éléments de tradition civiliste et une influence venant de la common law. Notre système juridique, bien qu’il existe au sein d’une province où la langue officielle est le français, dépend de la compréhension de deux langues pour être entièrement compris. Quand je pense aux diverses tentatives de certains politiciens d’effacer toute trace de la langue anglaise au Québec, je me demande si, peut-être, nous ignorons un peu l’importance du bilinguisme au Québec, et si nous tenons parfois cet élément fort précieux un peu trop souvent pour acquis.


Le débat éternel qui tourne autour de la langue française au Québec est contentieux et controversé, c’est le moins que l’on puisse dire. J’avoue moi-même être peut-être mal placée, en tant qu’anglophone, pour donner mon opinion sur ce sujet délicat. Toutefois, je pense qu’on a tort d’ignorer que le bilinguisme est un élément essentiel qui circonscrit l’idée de ce qu’est la vie au Québec.


Mon école secondaire a toujours priorisé et valorisé l’apprentissage des langues, et a pris des démarches pour favoriser le bilinguisme, ce qui est vrai pour plusieurs autres écoles. Pourquoi les vertus du bilinguisme sont-elles si reconnues durant notre éducation secondaire, si c’est seulement pour qu’elles perdent leur importance dans le monde adulte? On passe notre temps à être mécontent que l’on ne s’adresse pas à nous dans telle ou telle langue, furieux que la caissière au Starbucks n’a pas deviné notre langue de préférence à première vue. Les lamentes viennent des deux côtés : des vieux colériques qui perdent la tête à chaque « bonjour-hi » aux Suzanne et Karine en ligne à l’épicerie se plaignant parce que « it’s like nobody even speaks English anymore. » On est tellement préoccupé par cette guerre linguistique qu’on oublie que le pouvoir de parler plusieurs langues, en plus d’être, évidement, très utile dans toute une gamme de situations, est aussi juste un attribut super, super cool. Il ne faut surtout pas oublier qu’être bilingue au Québec, c’est payant, les travailleurs parlant le français ainsi que l’anglais au travail sont mieux rémunérés que leurs compatriotes unilingues.


Mais le fait de pouvoir parler plusieurs langues va au-delà de simplement pouvoir parler avec un plus grand nombre de gens ou apprendre à vos cousins Américains à jurer en français. Quand on parle plus d’une langue, notre façon de penser elle-même change. Une personne unilingue voit le monde avec des délimitations très claires- eux, plus un monde à l’étranger, forment un tout. Mais dès qu’on apprend à sortir de cet enclos linguistique, on commence à mieux comprendre et connaître le monde, et à vouloir connaitre davantage. Nous utilisons notre langue pour nous orienter dans le monde qui nous entoure. Le fait d’être polyglotte nous offre une autre lentille à travers laquelle on peut voir le monde, et cette dualité nous ouvre la porte sur une plus grande capacité de compréhension culturelle, compétence qui est, selon moi, encoure plus précieuse pour un juriste. Après tout, comment peut-on soutenir un système de droit bijuridique sans vouloir soutenir un système de langue bilingue?


Nous, en tant que Québécois, naissons avec un cadeau plutôt rare en Amérique du Nord- le bilinguisme est déjà un outil de plus dans notre coffre de compétences de vie. Même si on a grandi dans une maison plutôt unilingue, on est tout de suite submergé dans une vie quotidienne où les gens passent avec aise et fluidité d’une langue à une autre sans aucune difficulté. C’est magique. La langue française sera toujours une partie intégrante et essentielle de l’identité québécoise, mais pourquoi ne pas aussi célébrer la nature multilingue de notre société ? Notre province, après tout, n’est pas un ensemble d’anglophones et de francophones dans lequel chacun tolère la présence de l’autre- c’est une tapisserie de fils entrelacés qui créent une image bien trop riche pour qu’on la détruise, même au nom de l’auto-préservation.


Alors, se faire accueillir par le redouté « bonjour-hi » au Café Acquis annonce-t-il le déclin complet et total de la tradition française au Québec? Heureusement, je pense qu’on n’est pas encore rendu là. Toutefois, je suis convaincue que, autant que nous serons au Québec, la tradition de bilinguisme le sera aussi.


Et ce n’est pas une si mauvaise chose.


____


Agence QMI. “Être bilingue, c’est payant ». Journal de Montréal. 18 novembre, 2019. https://www.journaldemontreal.com/2018/11/17/etre-bilingue-cest-payant


Boissinot, Jaques. « Au Revoir to ‘Bonjour-Hi’ »: PQ vows to clamp down on creeping bilingualism if it wins majority next election » National Post. 24 Février, 2014. https://nationalpost.com/news/politics/au-revoir-to-bonjour-hi-pq-vows-to-clamp-down-on-creeping-bilingualism-if-it-wins-majority-next-election


Kasia. « Être bilingue est idéal pour vous (et voilà pourquoi) ». Education First. https://www.ef.com/cafr/blog/language/etre-bilingue-est-ideal-pour-vous/


Slanisky, Lena. “The CAQ Says New Arrivals to Quebec Cannot Receive Government Services in English”. MTL Blog. 5 novembre, 2019. https://www.mtlblog.com/news/canada/qc/the-caq-says-new-arrivals-to-quebec-cannot-receive-government-services-in-english





171 vues0 commentaire
bottom of page