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Simon Dufour

L'art de réfléchir, épisode 1 - Embrasser la sagesse



Au cours de mon parcours scolaire, j’ai eu l’agréable occasion de me familiariser avec la philosophie. Par le fait même, j’ai malheureusement constaté que nombreux sont les jeunes gens qui renient cette matière sans vraiment y avoir porté une attention particulière ou même sans vraiment essayer de la comprendre. En effet, il est facile de prétendre que la philosophie ne « mène à rien », car dans les faits, ce domaine intellectuel n’a pas pour objet l’étude de sciences tangibles telles que le droit, la chimie ou la sociologie; force est tout de même de constater qu’une fois qu’un individu s’est imprégné de la philosophie, non seulement il ne peut plus l’ignorer, mais il accède à tout un univers intellectuel que nous concevrons comme l’ouverture de l’esprit. De plus, sans exagérer, même si l’on prétend que la philosophie ne « mène à rien », on constatera avec bonheur qu’elle s’applique à tout, en tout temps : la philosophie est l’intention de comprendre tant le monde que soi-même; c’est l’intention de poser les bonnes questions et d’ouvrir son esprit à la recherche des bonnes réponses.


En ce qui concerne cette humble série de cinq articles formant une suite logique intitulée L’art de réfléchir, elle constituera un vecteur pour aborder cette merveille du génie humain, assise de tout progrès, qu’est la philosophie. Je vous invite, cher(e)s étudiant(e)s, à utiliser ce vecteur philosophique pour prolonger la réflexion et nous permettre collectivement de devenir plus sages, ouverts d’esprit et critiques.


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Au fil de ce premier épisode, voyons en quoi le fait d’embrasser intellectuellement la sagesse, cachée en chacune de nos consciences, est, en soi, la science philosophique ainsi que l’outil permettant l’ouverture de l’esprit tant désirée.


Sachant que la philosophie, du grec ancien philein-sophia, consiste en un amour (philein) de la sagesse (sophia), considérons que cette discipline intellectuelle se présente comme une intention, un désir humain de tendre vers la sagesse. Ceci étant dit, en quoi consiste cette sagesse si fondamentale chez tout(e) philosophe, petit(e) ou grand(e)? La sagesse, c’est comprendre; la philosophie, c’est donc la volonté de comprendre et l’ouverture d’esprit, c’est l’activation de la volonté de comprendre. Comprendre quoi? Comprendre tout. Évidemment, il s’agit d’une volonté et non d’une capacité de comprendre. Le/la philosophe n’est meilleur(e) que personne; il/elle a seulement accepté que sa conscience lui permette de comprendre le monde et de se comprendre lui-/elle-même. En effet, tout humain peut accéder à la philosophie, car celle-ci n’est que volonté.


En ce qui concerne cette sagesse philosophique, Joseph Vialatoux, dans son petit bouquin L’intention philosophique, nous présente une brillante explication logique de celle-ci, explication que j’aimerais vous partager dans le but de l’embrasser collectivement. L’auteur distingue la sagesse spéculative (ou réflexive) de la sagesse pratique. En effet, la sagesse réflexive réfère à une action de la pensée tandis que la sagesse pratique réfère à une manière d’être, de se conduire. La sagesse réflexive est la source de la sagesse pratique : elle oriente la sagesse pratique qui, à son tour, permet à la sagesse réflexive de se concrétiser dans le monde. Ces concepts se complètent; l’un existe en vertu de l’autre. Abordons-les respectivement pour définir la sagesse, objet de la philosophie.


La sagesse spéculative (ou réflexive) : action de la pensée

La sagesse spéculative a comme outil l’action de la pensée; action intangible, transcendante. La finalité visée par cet outil est le savoir rationnel. Vialatoux décrit ce savoir rationnel comme étant le « savoir pourquoi » : «Savoir que n’est pas encore sagesse, mais savoir pourquoi. Savoir sans comprendre n’est pas savoir; ce n’est pas connaitre et dominer, mais subir. » Ainsi, la sagesse spéculative, c’est l’action de la pensée ayant pour but de comprendre. Facile à dire. Mais qu’est-ce qu’est cette finalité ultimement philosophique de compréhension? C’est à ce point que le raisonnement de Vialatoux est enrichissant. Une fois cette explication du mot comprendre acceptée, il n’est plus possible d’ignorer la philosophie.


Comprendre veut dire prendre avec. D’une part, pour comprendre, il faut prendre, saisir une réflexion, une idée (par exemple, un théorème mathématique ou une norme juridique). D’autre part, il ne suffit pas de s’arrêter à prendre pour prétendre comprendre. Pour comprendre, il faut prendre avec autre chose et avec soi-même. Je synthétiserais en disant prendre avec le monde. Pour prendre avec d’autres choses, il faut lier un objet de réflexion à tout ce qui s’y rattache. Comprendre un théorème, c’est le prendre avec les théorèmes antécédents qui lui servent de principes et d’assises. Comprendre un courant littéraire, c’est le prendre avec tous les autres courants auxquels il réagit. Pour prendre avec, il faut donc prendre une réflexion avec les variables pertinentes pour la compléter. Il faut prendre l’objet avec tout le contexte qui l’englobe.


Vialatoux conclut en expliquant que comprendre c’est unifier. La raison humaine permet d’unifier, c'est-à-dire qu’elle nous permet de saisir une réflexion avec tous les éléments qui semblent raisonnablement pertinents pour la compléter (unification). C’est ainsi que des syllabes ne prennent un sens qu’en formant un mot, à leur tour formant des phrases. Le/la sage mettra son esprit au travail pour s’assurer de posséder toutes les syllabes avant de prétendre comprendre le mot ou la phrase. « La philosophie, besoin de comprendre, est une intention d’unité. » Cette intention d’unité est une tâche colossale. L’objectif n’est pas de s’en rendre malade. Il est plutôt de faire au mieux de sa capacité pour embrasser cette volonté philosophique, sans prétendre réussir de manière absolue. L’objectif est de s’imprégner du processus. En activant concrètement cette intention d’unifier et de comprendre, un individu accomplit ce que je conçois comme l’ouverture de l’esprit. En effet, cette démarche de compréhension de notre monde et de notre propre personne, par l’unification, permet d’atteindre un état d’ouverture infinie, de curiosité et d’admirable intelligence.


Ayant accepté que l’intention de tendre vers la sagesse mène à l’unification des réflexions et des variables, unification à l’origine de la compréhension rationnelle tant du monde que de soi, je m’émerveille de conclure que l’activation de cette volonté philosophique, l’ouverture de l’esprit, guide directement l’être humain vers de nombreuses vertus. La compréhension du monde engendre l’acceptation de la différence, la tolérance, le respect et l’empathie; la compréhension de soi-même engendre celle de sa place dans la société, de ses passions, de l’amour, et la liberté intérieure. Cette ouverture de l’esprit, envers soi-même et le monde, permet aussi au/à la sage de poser des jugements éclairés et moraux, adaptés à un contexte précis. Au sujet de cette moralité, nous verrons dans le prochain épisode en quoi la sagesse se traduit concrètement chez un(e) philosophe. C’est la sagesse pratique, un mode d’être activé par la sagesse réflexive, qui sera abordée.

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