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Patricia Yao

Se mettre au diapason de la réalité



« Et je vous donne ma parole que nous allons renouveler et respecter cette relation » [1]. Lors d’une conférence offerte à Ottawa, Justin Trudeau fit son mea culpa avec cette déclaration auprès des communautés autochtones. Ce discours reflétait la triste et longue histoire d’une relation ô combien inégale!


Pour peu qu’on y réfléchisse, les Autochtones ont plus souvent qu’autrement été considérés comme les bons vieux sauvages qui vivaient sur les terres canadiennes. D’après l’Homme non-autochtone, un parfait autochtone devrait être vêtu d’une tunique et porter un casque parsemé de plumes. Fervent protocommuniste, la chasse, la pêche et la cueillette devraient également être ses domaines de prédilection. La vérité est que cette interprétation ne fait que renforcer cette folklorisation du statut d’Indien [2]. Bien évidemment, la théorie du conquérant et la règle de la res nullius [3] servent de planche de salut.


Et pourtant, le rapport de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada a non seulement fait couler beaucoup d’encre, mais a aussi démontré que le malheur des uns faisait le bonheur des autres. Dans une politique d’assimilation à la race blanche, on estime que plus de 150 000 enfants des Premières Nations, des Métis et des Inuits ont été envoyés dans des pensionnats dès le 19e siècle [4]. Rapidement, des abus physiques et sexuels à l’endroit des pensionnaires ont débuté dans l’optique de les contrôler et d’instaurer des mesures disciplinaires adéquates. Les chiffres ne mentent pas : entre 1941 et 1945, le taux de mortalité infantile autochtone était environ cinq fois plus élevé que celui de la population non autochtone, 38 000 plaintes de violence sexuelle et physique ont été faites alors qu’il y a eu moins de 50 condamnations et aujourd’hui, à la suite de ces traumatismes subis, le taux de suicide chez les Inuits est de 6 à 11 fois plus élevé que la population en général.


Comment se fait-il que le gouvernement canadien ne soit jamais intervenu en plus de 100 ans, alors qu’un génocide infantile se déroulait sous ses yeux? Pour ce faire, il est pertinent de faire un retour dans le passé.


La Proclamation de la race blanche

Nul ne peut nier que les peuples autochtones furent les premiers à s’être installés sur les terres du pays à la feuille d’érable. Il est vrai que l’on qualifie Christophe Colomb comme étant le découvreur de la nouvelle terre. Certes, le mot clé est bien « découvreur », puisqu’après avoir posé ses pieds sur le territoire de l’Amérique, il fit la rencontre des Autochtones. Contrairement à ce que l’on peut penser, ces derniers étaient considérés comme des alliés auprès des Français. Puis, la guerre entre la Grande-Bretagne et la France s’amorça, mais se termina en 1763. Les Anglais en sortirent grand vainqueur.


Que faire avec ces anciens alliés des Français? La Couronne britannique opta pour une conciliation et tenta de gagner leur amitié. Dans la Proclamation royale de 1763, une section fut exclusivement accordée aux nations autochtones. Elles sont présentées « comme des entités politiques autonomes vivant sous la protection de la Couronne et conservant leurs pouvoirs politiques internes et leurs territoires » [5]. Plus facile à dire qu’à faire, puisque ce document était teinté par les visées impérialistes de la Grande-Bretagne. Le sort des Autochtones en était jeté.


Deux ballons d’essai

Selon la loi de la jungle, une partie supérieure à une autre gagnera la lutte en question. Sur le plan économique et politique, le statut du gouvernement canadien était nettement avantageux. Sous l’effet conséquent de la loi du plus fort, les Autochtones se sont retrouvés à la merci du fédéral, et ce malgré qu’ils étaient les premiers sur les terres canadiennes.


Pour bien encadrer ces prétendus sauvages ornés de plumes bariolées, le gouvernement décida d’adopter une législation pour les protéger. La première et principale loi canadienne qui traite des Autochtones est la Loi sur les Indiens [6]. La Couronne admet que ces nations ont droit à certains avantages en comparaison avec la population en général. Ainsi, la règle est simple : si on est reconnu comme étant un Indien au sens de la loi, on peut obtenir notamment des avantages fiscaux. Puis, il y eut l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 qui constitutionnalisa les droits particuliers détenus par les Autochtones à son article 35 [7].


Le gouvernement canadien avait surement de bonnes intentions en instaurant ces deux lois, mais elles n’ont néanmoins pas eu le résultat escompté. La Loi sur les Indiens a par exemple forgé une discrimination à l’encontre des femmes pendant longtemps avant que la Cour suprême n’intervienne [8]. Un trou noir juridique règne de surcroit au sein de la qualification des droits existants pour les peuples autochtones [9].


Dans un ultime effort pour se sortir de l’ambigüité et de l’incertitude de la définition de ce qu’est un Autochtone, le fédéral s’est montré favorable à la création de pensionnats pour eux. Les Églises catholiques étaient celles qui avaient le mandat de prendre en charge l’éducation de ces groupes. Ce devait effectivement être l’enseignement des Blancs qui devait se faire, puisque les Autochtones seraient restés des sauvages non éduqués à leur sens. Avoir su, ils auraient dû montrer leurs griffes.


Damer le pion

« La Commission a entendu de nombreux exemples d’élèves qui ont été dans ces pensionnats pendant huit ans ou plus, et qui les ont quittés avec rien de plus qu’une scolarité équivalente à une troisième année, et parfois même sans savoir lire. » La Commission n’est pas allée par quatre chemins pour illustrer l’échec du gouvernement fédéral canadien.


Sous le postulat de la civilisation urbaine canadienne, la culture des Premières Nations, des Inuits et des Métis n’avait pas beaucoup de chance de perdurer. Les langues autochtones n’étaient pas permises à l’école, les pratiques spirituelles étaient bannies et les frères et sœurs étaient séparés à l’intérieur des institutions. Les missionnaires des pensionnats ont continuellement creusé le fossé entre les parents et leurs enfants pensionnaires, de sorte que les parents autochtones ont porté l’étiquette de parents inaptes et indifférents à l’endroit de leur propre descendance.


Les écoles manquaient en réalité de subventions. Ce faisant, les établissements étaient mal entretenus et insalubres. De plus, les conditions de vie étaient déplorables. Les enfants autochtones souffraient de malnutrition et la nourriture offerte était de piètre qualité. Comme les institutions étaient mal préservées, les corvées ménagères étaient valorisées au détriment des buts pédagogiques. Les enfants ont été négligés, et ce manque de supervision mena inévitablement à des évènements malheureux où des jeunes ont par la suite été victimes d’agressions sexuelles et physiques.


Bon nombre d’entre eux n’ont pas pu se sortir de la honte et la colère qui régnaient en eux. Dépassés par ces actes, aucun support ne leur était offert. Ainsi, ils se sont tournés vers l’alcool et les drogues pour noyer leur chagrin. Le désespoir et la dépression ont eu le meilleur d’eux-mêmes. Les gens qui les supervisaient préféraient de loin fermer leurs yeux et/ou rester dans l’ignorance.


Laisser à eux-mêmes, plusieurs survivants ont fini leur éducation tel que prévu. La consommation de substances illicites les a toutefois suivis à leur sortie de l’enfer. Ils n’étaient pas sortis de l’auberge. Ces anciens élèves ont toujours connu ce mode de vie et ils n’ont pu élever leurs enfants que dans les mêmes conditions. Un véritable cercle vicieux.


À la croisée des chemins

Rares sont ceux qui sont nés dans la pourpre et qui n’ont pas eu le malheur de vivre une infirme partie de ce que les pensionnaires autochtones ont souffert. Il est vrai que ces écoles n’existent plus depuis 1997 [10], mais il demeure sans dire qu’après tout le mal qui a été fait, le gouvernement doit faire feu de tout bois pour remédier au problème. Dans les circonstances, trouver la solution revient à chercher une aiguille dans une botte de foin.


Le Canada vient de tomber de son piédestal avec le dépôt de ce rapport, mais l’erreur est humaine. La Commission de vérité et de réconciliation du Canada croit fermement que cela commence par la réconciliation et que ce doit être un principe qui servira de fondement pour les relations futures entre le fédéral et les peuples autochtones. De nombreuses recommandations ont également été émises par la commission. Désormais, il sera intéressant de voir si le Canada prendra ses responsabilités en main à la suite de cette dérive pour redonner aux nations autochtones le respect qui aurait dû leur être accordé.



1. La Presse canadienne. (2015, 15 décembre). Trudeau veut aborder une nouvelle ère avec les peuples autochtones. Radio-Canada. Repéré à http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2015/12/15/003-autochtones-rapport-reactions-trudeau-commissaires-suivi.shtml.

2. Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, c. I-5.

3. La res nullius énonce la règle selon laquelle lorsque des terres vacantes sont complètement libres, les premiers arrivants prennent possession des terres qui sont découvertes. Ce seront eux qui seront les propriétaires du dudit territoire.

4. Commission de vérité et réconciliation du Canada. (2015). Les principes de la vérité et de la réconciliation. Repéré à http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/2015/Findings/Principes%20de%20la%20verite%20et%20de%20la%20reconciliation.pdf.

5. Commission royale sur les peuples autochtones. (1993). Partenaires au sein de la Confédération : les peuples autochtones, l'autonomie gouvernementale et la Constitution : Les peuples autochtones, l’autonomie gouvernementale et la Constitution. Ottawa (Publication no MAS Z1-1991/1-41-2F).

6. Loi sur les Indiens, préc., note 4.

7. Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.), art. 35.

8. Jacobs c. Mohawk Council of Kahnawake, [1971] R.C.S. 92.

9. R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507.

10. Commission de vérité et réconciliation du Canada. (2015). Les principes de la vérité et de la réconciliation. Repéré à http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/2015/Findings/Principes%20de%20la%20verite%20et%20de%20la%20reconciliation.pdf.

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