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Simon De Andrade

Immondice délibérée



Frappes aériennes sur des hôpitaux, bombardements de convois d’aide humanitaire, assassinats délibérés de médecins, tel est le quotidien pour quiconque travaille dans le domaine humanitaire en Syrie.


La situation est telle que le 28 septembre dernier, Evita Mouawad, conseillère en affaires humanitaires pour Médecins Sans Frontières (MSF), a témoigné lors de l’émission Gravel le matin, sur les ondes de Radio-Canada (1), que l’organisme pourtant spécialisé dans les interventions en zone de conflit avait retiré tout son personnel du territoire syrien et ne pouvait, pour des raisons de sécurité, que soutenir à distance les médecins locaux. La même journée, à New York, sa collègue, la médecin québécoise Joanne Liu, présidente de MSF, lançait un véritable cri du cœur au Conseil de sécurité des Nations Unies pour que cessent les bombardements d’installations médicales, comme ceux qui ont eu cours à Alep en Syrie ces dernières semaines.


Pourtant, une norme juridique datant du XIXe siècle soutient que « les ambulances et les hôpitaux militaires seront reconnus neutres, et, comme tels, protégés et respectés par les belligérants » (2). En effet, l’article 1er de la Convention de Genève de 1864, rédigé par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR), mis sur pied par Henri Dunant en 1863, et ratifié par 12 États européens, s’avère être la première tentative de règlementer les agissements des diverses parties d’un conflit armé et de protéger le personnel médical lors d’un tel conflit.


Au lendemain de l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire de l’Humanité, à l’initiative du gouvernement suisse et du CICR, 59 États se réunirent à Genève afin de mettre à jour les Conventions de 1864 et de 1906. On décida simultanément d’étoffer le corpus des Conventions de Genève en mettant sur pied les Conventions III et IV qui portent respectivement sur les prisonniers de guerre et les personnes civiles. Ces conventions et leurs protocoles additionnels constituent aujourd’hui la pierre d’assise du droit international humanitaire.


De son côté, l’Organisation des Nations Unies (ONU) a toujours soutenu l’action du CICR et le respect des Conventions de Genève. En effet, dans sa résolution 237, le Conseil de sécurité de l’ONU mentionne que toutes les parties à un conflit armé se doivent de respecter les droits humains ainsi que toutes les obligations qu’elles ont acceptées dans les Conventions de Genève (3). Cette position fut réitérée maintes fois par l’Assemblée générale de l’ONU.


Plus récemment, l’avènement de la Cour Pénale Internationale (CPI), avec le Statut de Rome de 1998, a renforcé la crédibilité du droit international humanitaire et le respect des Conventions de Genève, entre autres grâce à l’article 8 du Statut de Rome, qui soutient à son alinéa 2a) que la violation grave des Conventions de Genève constitue un crime de guerre. Pour la première fois de l’histoire, un tribunal permanent avait pour mandat de traduire en justice un individu pour ses actions lors d’un conflit armé.


Néanmoins, tout comme sauver des vies au milieu des obus et des balles, faire respecter le droit humanitaire dans son intégralité n’est pas chose facile et malgré la ratification par 196 États des quatre Conventions de Genève, la réalité est bien différente que la situation sur papier. D’autant plus que l’évolution de la typologie des conflits lors de la seconde moitié du XXe siècle, l’émergence des acteurs non étatiques et la complexification des alliances rendent encore plus difficile l’application de normes juridiques lors de conflits armés.


Depuis récemment, nous assistons à un recul alarmant des principes fondateurs du droit humanitaire international qui menace grandement l’héritage légué par les Henri Dunant, Florence Nightingale et autres pionniers de l’action humanitaire, ainsi que l’œuvre des fondateurs de MSF, dont Bernard Kouchner, ancien ministre des Affaires étrangères de France.


À l’heure actuelle, des installations humanitaires et médicales partout dans le monde sont prises pour cible lors de conflits armés. Cet ignoble phénomène a pris de l’ampleur ces dernières années. Signe de l’intensification de cette situation, Joanne Liu expliquait sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle en mars dernier, qu’à l’été 2015, alors qu’elle était au Yémen, c’était la première fois en une décennie qu’elle n’arrivait pas à dormir à cause des bombardements à proximité des installations médicales (4). En tout, depuis 2012, le CICR dénombre plus de 2 400 attaques de toutes parts contre des installations médicales ou du personnel soignant à travers la planète (5).


Or, ces bombardements ne peuvent qu’être issus d’actions concertées et délibérées destinées à effrayer les populations civiles et à les faire fuir en les privant d’un de leurs droits les plus élémentaires, soit l’accès aux soins de santé. Certes, l’erreur n’est pas entièrement impossible dans le feu de l’action comme en fait foi le décès de soldats américains tués par des tirs fratricides lors de l’invasion de l’Afghanistan. Néanmoins, l’erreur ne peut exonérer ni servir d’excuse à ceux qui ciblent les installations médicales. 


C’est particulièrement le cas dans le cadre du conflit en Syrie, alors que l’armée du Président Bachar el-Assad, qui, triste ironie du sort, est ophtalmologue de formation, a pour stratégie de cibler les centres médicaux afin de faire fuir les populations des zones qu’elle convoite. Directe conséquence de cette affreuse tactique, on dénombre plus de 750 décès au sein des différents corps médicaux civils en Syrie depuis le déclenchement des hostilités (6). Pire encore, en l’état actuel de la situation, rien ne permet de croire que les troupes d’El-Assad ne cesseront de viser les installations médicales puisque leur tactique semble fonctionner. En effet, depuis l’intensification des campagnes de bombardements aériens des forces loyales au Président et des forces russes, l’armée nationale syrienne gagne de plus en plus de terrain, notamment dans le fief rebelle d’Alep, où de nombreux hôpitaux ont été rasés par les bombes.


Bien que l’armée syrienne semble être celle qui a le plus visé les installations médicales au cours des dernières années, elle n’est pas la seule à avoir perpétré ce type d’attaques en violation flagrante des Conventions de Genève. Les États-Unis, avec le bombardement d’un hôpital de MSF à Kunduz en Afghanistan dans la nuit du 3 octobre 2015, ayant fait 42 victimes, l’Arabie Saoudite, avec ses frappes répétées sur des hôpitaux au Yémen depuis le début de son intervention chez son voisin de la péninsule arabique, et la Russie, qui a elle aussi frappé des hôpitaux syriens et possiblement un convoi d’aide humanitaire de l’ONU en septembre 2016, se retrouvent tous au banc des accusés.


Tous ces tristes exemples permettent de constater que l’humanité est capable de repousser ses bas-fonds et à quel point les efforts pour établir et faire respecter le droit humanitaire semblent vains. Pire encore, certains pays osent adopter, en tant que membres du Conseil de sécurité de l’ONU, des résolutions, comme la résolution 2286 du 3 mai 2016 ayant pour but de protéger les travailleurs médicaux en zone de conflit, alors qu’ils sont parmi ceux qui commettent ce type de bombardements.


Il est facile de regarder de haut nos ancêtres qui s’élançaient, il n’y a pas si longtemps, au champ d’honneur, baïonnette au poing, et d’y voir une pratique barbare et digne d’une véritable boucherie. Mais les actuels gouvernements de ce monde et leurs chefs militaires sont-ils vraiment mieux? Jadis, alors que le canon de 75 mm constituait la principale pièce d’artillerie dont la précision était soumise aux intempéries et aux calculs humains, l’erreur, bien que tout aussi fatidique, était une justification plus réaliste du bombardement de centres de soins. Or, il n’en est rien à une époque où l’on nous vend la guerre comme étant propre avec ses missiles guidés, ses drones et ses F-22 Raptor et autres machines à semer la mort. Il est impossible de justifier le bombardement d’un hôpital par la simple mégarde; il s’agit ici de gestes volontaires et planifiés. Bref, si l’on ne fait qu’une rapide application de l’article 8 du Statut de Rome aux faits, ce sont là tout simplement des crimes de guerre avalisés par les chaines de commandement, tel que le mentionnait Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies (7).


À la lumière de l’état de la situation, force est de constater que l’application des principes les plus élémentaires du droit international humanitaire reste un défi de tous les instants, et de noter qu’une nouvelle fois, en dépit des atrocités du passé, l’Humanité se laisse aller à une immondice délibérée.



(1) http://ici.radio-canada.ca/emissions/gravel_le_matin/2016-2017/chronique.asp?idChronique=417670#commenter

(2) https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/Article.xsp?action=openDocument&documentId=806F86E5725ADE71C12563BD002B8AC4

(3) http://www.ohchr.org/Documents/Publications/FactSheet13fr.pdf

(4) https://www.youtube.com/watch?v=yoINXeXKMXo

(5) http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/476268/les-hopitaux-syriens-cibles-des-bombardements

(6) http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/international/2016/07/30/001-medical-cible-syrie-moufti-hopital-onu.shtml

(7) http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/international/2016/09/28/008-medecins-sans-frontieres-syrie-alep-humanitaire-bombardement-hopital-alerte-onu-liu.shtml

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