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François Sylvestre

Espagne, à la croisée des chemins


Le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, après que le Parlement lui ait refusé de lui accorder sa confiance le 2 septembre 2016. (Photo tirée de l’article « Espagne : les députés refusent de nouveau la confiance à Rajoy, de nouvelles élections en vue », (http://www.francetvinfo.fr/monde/espagne/espagne-les-deputes-refusent-de-nouveau-la-confiance-a-rajoy-de-nouvelles-elections-en-vue_1807149.html).

Entre une situation économique des plus difficiles, un contexte politique où aucun parti n’arrive à s’imposer comme la principale formation gouvernementale et une Catalogne où des indépendantistes sont au pouvoir, l’Espagne est à la croisée des chemins. Peut-être encore appelés à voter pour une troisième fois en un an, que choisiront les 46 millions d’Espagnols? Tour d’horizon.


1975. Le général Franco, dictateur depuis la fin de la guerre civile de 1936, meurt à Madrid. L’aspirant au trône, le bourbon Juan Carlos, restaure la monarchie (volontairement prévue par Franco), et veut instaurer la démocratie (1). Cette transition fonctionne et, le 20 novembre 1975, Juan Carlos 1er prête serment devant le Parlement, à Madrid, et devient roi d’Espagne (2). Le pays se libéralise, tant économiquement que politiquement, et, deux ans plus tard, de premières élections libres ont lieu depuis 1936. Bien que marquées par un putsch raté en 1981 par des militaires nostalgiques du pouvoir franquiste, les années qui suivront verront l’Espagne adhérer à l’OTAN en 1982 et à la Communauté économique européenne en 1986 (qui deviendra l’UE) avec, cette fois, l’autre pays de la péninsule ibérique, le Portugal (3). On ose même parler d’un miracle économique...


Et puis, tout ce progrès s’effondre, du moins en partie. La crise économique de 2008 frappe durement le pays (comme tous les autres pays du sud de l’Europe, d’ailleurs). De 2010 à 2015, le taux de chômage dépasse les 20 %, atteignant même 27 % en 2013 (4). L’économie espagnole, au bord du précipice, est l’une des plus touchées du continent européen. En 2011, en pleine crise, les électeurs donnent leur confiance à un parti de droite, le Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy, chassant le tout-puissant PSOE, Parti socialiste ouvrier espagnol, au pouvoir depuis 2004 (5). Rajoy et son gouvernement, appuyés par des ténors politiques européens comme Merkel et le FMI, lancent un vaste programme de réduction des dépenses budgétaires et tentent de stimuler l’économie. Début 2014, la croissance commence à poindre du nez, mais non sans conséquence (6). Cette austérité, commune à de nombreux autres pays occidentaux d’après-crise, bouleverse non seulement l’échiquier politique, mais aussi l’unité même du pays. En 2012, une alliance indépendantiste remporte les élections régionales en Catalogne et convoque, dans un élan de patriotisme sans précédent, un référendum sur la question de la souveraineté catalane. Madrid, sous le choc, refuse toute négociation et tente par tous les moyens de bloquer l’initiative. En novembre 2014, le vote a lieu, et c’est toute l’Espagne qui comprend qu’une Catalogne revendique plus de liberté : le oui l’emporte avec une écrasante majorité, mais peu d’électeurs se mobilisent, faute de légitimité du scrutin (7). En Europe, la plupart des grandes capitales s’inquiètent, bien que certaines, comme l’Écosse, soient réjouies. Cependant, Madrid, refusant ce processus unilatéral, le déclare inconstitutionnel, laissant le problème catalan en suspens.


Au niveau national, c’est plutôt le bipartisme traditionnel qui est remis en cause. Après avoir remporté la majorité absolue des deux chambres aux Cortes Generales (Parlement), le Parti populaire, aux élections de 2015, se voit réduit en minorité avec seulement 29 % des voix, en baisse de plus de 16 %, et obtient seulement 123 sièges sur 350. Pour son principal adversaire, le PSOE, c’est aussi la débandade : il réalise son plus bas score depuis le retour à la démocratie, avec seulement 22 % des voix, et ne fait qu’élire 90 députés (8). Pour leur part, les deux nouveaux partis, Podemos (Nous pouvons) et Ciudadanos (Citoyens) font une entrée fracassante au Parlement. Podemos, dirigé par Pablo Iglesias, considéré comme un Obama à l’espagnol, remporte 21 % des voix et met fin à la suprématie du PSOE sur le flanc gauche de l’échiquier politique espagnol. Iglesias, dénonçant le régime d’austérité du gouvernement sortant et se montrant toujours proche du peuple, vêtu de jeans et fuyant les complets, a surtout attiré les jeunes et les électeurs qui, en 2011, avaient porté haut et fort le mouvement des Indignés, qui avait eu un retentissement mondial. Au centre, c’est plutôt le parti anticorruption Ciudadanos qui émerge et qui obtient près de 14 % des voix (9). Après des tentatives de coalition infructueuses entrent successivement le PP et Ciudadanos (celui-ci refusant d’être trop étiqueté avec le PP) et le PSOE refusant de demander l’aide de Podemos (Podemos reconnaissant la légitimité de la question indépendantiste catalane, le PSOE la refusant catégoriquement). De nouvelles élections générales sont convoquées en 2016. Le PP gagne quelques voix, mais rien pour lui permettre de diriger seul le pays (10). Jusqu’à aujourd’hui, le PP, puisqu’il est le parti sortant et qu’il dispose du plus grand nombre de députés, dirige les affaires courantes, mais une autre élection, une troisième en moins d’un an, pointe encore à l’horizon…

1) Hervé BROQUET, Catherine LANNEAU et Simon PETERMANN. « Roi Juan Carlos : 24 février 1981 », dans Les 100 discours qui ont marqué le XXe siècle, Les Éditions CEC, Montréal, 2008, p. 646.

2) John M. ROBERTS. Le Monde moderne : Histoire illustrée du monde, Édition Larousse-Bordas/HER, Madrid, 2000, p. 800.

3) Ibidem, p. 796-797.

4) Marine RABREAU. « Peut-on vraiment parler de «miracle» économique en Espagne ? », dans LeFigaro.fr, 26 mai 2015, (http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2015/05/23/29006-20150523ARTFIG00116-peut-on-vraiment-parler-de-miracle-economique-en-espagne.php).

5) « Espagne : les conservateurs remportent les élections haut la main », dans Radio-Canada.ca, 20 novembre 2011, (http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/international/2011/11/20/001-espagne-elections-dimanche.shtml).

6) Marine RABREAU, Ibidem.

7) Lisa-Maria GERVAIS. « 81 % de voix pour un pays », dans LeDevoir.com, 10 novembre 2014, (http://www.ledevoir.com/international/europe/423414/vote-en-catalogne).

8) « Élections en Espagne : la droite perd la majorité absolue », dans Radio-Canada.ca, 20 décembre 2015, (http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/international/2015/12/20/003-espagne-elections-legislatives-dimanche-vote.shtml).

9) « Espagne : qui pourrait gouverner avec qui, après les élections législatives ? », dans LeMonde.fr, 21 décembre 2015, (http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/12/21/qui-pourrait-gouverner-avec-qui-en-espagne-apres-les-elections-legislatives_4835905_3214.html).

10) « Élections: Après le statu quo, l'Espagne vers un nouveau blocage politique? », dans Lindépendant.fr, 26 juin 2016, (http://www.lindependant.fr/2016/06/26/espagne-ouverture-des-bureaux-de-vote-pour-les-secondes-legislatives-en-six-mois,2220344.php).

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