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Patricia Yao

Une «Barrette» avec ça ?



Il n’est pas parfait, mais il n’est pas à la hauteur de ce qu’il devait être. La vérité c’est que la grande majorité des citoyens n’y croit plus ou n’y a jamais cru, à ce système de santé québécois, à commencer par moi. Un changement devait s’opérer pour remédier aux nombreuses lacunes de ce régime, soi-disant l’un des meilleurs au Canada.


Lors de l’élection de Philippe Couillard en 2014, j’étais convaincue qu’un changement positif allait être engendré. Élire un ex-neurochirurgien comme premier ministre de la Belle Province avec comme bras droit un ancien médecin spécialiste était à première vue une bonne idée. Après tout, les docteurs sont connus comme le loup blanc de notre société, et ce sont probablement les personnes les mieux placées pour trouver des solutions.


Moi aussi, je l’attendais avec impatience mon Méchant changement. En revanche, ce n’est pas Stéphane Bellavance qui est venu cogner à ma porte, mais bien Gaétan Barrette. Mon rôle en tant que juriste est de toujours présumer un individu innocent, et par le fait même de donner le bénéfice du doute à ces personnes. Jusqu’à présent, ma réaction se résume à un adolescent qui se questionne sur le fait de s’être inscrit à un concours sur le site Web de Vrak.TV.


Smallville

Il est vrai que Gaétan Barrette n’a pas le corps d’un dieu grec comme Clark Kent. Le superhéros est reconnu notamment pour ses abdominaux d’acier qui ont l’apparence d’une tablette de chocolat. À l’inverse, notre ministre de la Santé et des Services sociaux est plutôt connu pour en manger.


Se prenant pour Superman, Gaétan enclenche une réforme en déposant divers projets de loi. Le mot d’ordre est d’améliorer les soins de santé au profit des usagers. L’objectif étant que tous les Québécois et Québécoises aient accès à un médecin de famille.


Il faut se rappeler que sous le ministère de la Santé et des Services sociaux, le régime était dirigé par trois paliers de gouvernance. Depuis l’entrée de son mandat, il n’y en a plus que deux. Cette fusion structurelle avait pour but de « mettre les patients au cœur du système » (1). À vrai dire, on remarque plutôt une centralisation des pouvoirs au profit du ministère. Contrôler deux paliers administratifs est plus facile que d’en gérer trois.


On dénote aussi que le ministère se permet d’intervenir davantage dans ces centres intégrés. Les travailleurs dans ces établissements n’ont plus leur mot à dire. Une véritable ingérence du pouvoir politique dans le domaine de la santé.


One Tree Hill

La relation qui règne entre Philippe et Gaétan est équivalente à celle des célèbres frères Scott. Malgré les rivalités sportives et relationnelles, il n’en demeure pas moins que Nathan et Lucas ont fini par tisser de solides liens d’amitié. (Pour ceux que ça intéresse, j’ai toujours été Team Peyton-Sawyer all the way.)


Le premier ministre et son ministre de la Santé s’entendent bien, même trop bien. Avant d’entrer sur la scène politique, tous les deux ont œuvré au courant de leur carrière dans le secteur privé de la santé. Il ne faut pas oublier qu’en principe, le gouvernement provincial est censé gérer un régime public qui vise à offrir des soins et services gratuits et égaux à tout le monde. Normalement, le système privé existe pour pallier des services que le secteur public ne peut offrir (2).


Il est clair comme de l’eau de roche que Gaétan a un parti pris pour le régime privé. I don't want to be anything other than what I've been trying to be lately – oui, mais non Gaétan. Avec l’instauration des supercliniques privées et en incitant les médecins de famille à venir y travailler, c’est le régime public qui en subit les conséquences. Le système à deux vitesses a du mal à fonctionner, et dans les prochaines années, il risque de n’en avoir plus qu’un seul.


Le principe demeure que dans tous les cas, encourager les citoyens à aller vers le secteur privé ne fait qu’accroitre les inégalités d’accès aux soins. Les mieux nantis peuvent se permettre de se payer des services de santé, alors que les moins fortunés sont pris avec le régime public qui peine à offrir des soins de qualité.


Et Philippe dans tout ça? N’a-t-il pas à prendre la parole dans cette réforme? Non, parce qu’en faisant des coupures draconiennes dans le secteur public, son ministre de la Santé lui a permis de sauver 220 millions de dollars dans les dépenses budgétaires (3). Vivement l’austérité.


Gilmore Girls

Les compétences législatives en matière de santé sont à priori réservées aux provinces et le gouvernement fédéral ne peut s’ingérer dans ce domaine. Par contre, le fédéral peut « entraver » les compétences de la Belle Province si et seulement s’il est fondé sur son pouvoir de dépenser (4). En d’autres termes, si le gouvernement de Justin Trudeau ne fait que financer le système de santé québécois, il n’y a pas lieu à débat.


Toutefois, pour bénéficier de cet argent, les provinces doivent respecter certaines conditions. Le Québec doit notamment offrir des soins et services entièrement gratuits aux patients. À défaut, s’il exerce toutes formes de surfacturation, le fédéral retirera de sa contribution un montant égal à ce que le patient a déboursé (5).


Ce qui m’amène ainsi à parler du scandale des frais accessoires. Depuis quelques années, les médecins surchargent leurs patients pour des frais qu’ils auraient dû assumer en temps normal. À titre d’exemple, certaines personnes étaient prises à payer 200 $ pour des gouttes ophtalmologiques, alors qu’elles ne valent en réalité que 20 $! (6) Au final, cette pratique lucrative a généré des redevances de près de 83 millions de dollars en 2014-2015 (7). Juste 83 millions de dollars.


En parallèle, la relation Justin-Gaétan ne s’apparente malheureusement pas à la relation mère-fille de la série Gilmore Girls (Justin étant la mère excentrique Lorelai et Gaétan étant la petite Rory). Justin n’est pas le meilleur ami de Gaétan, du moins d’après ce qu’on peut en constater. En septembre dernier, le premier ministre du pays à la feuille d’érable a annoncé qu’il réclamerait toutes les sommes surfacturées aux usagers du réseau de santé de la province pour chaque année concernée, soit clairement plus que 83 millions de dollars (8).


En réplique à cette déclaration, Gaétan a évoqué l’usurpation inacceptable du fédéral dans le champ de compétence provincial. De surcroit, le ministre de la Santé et des Services sociaux a menacé d’aller contester cette décision devant les tribunaux.


Gaétan a raison, le beau Justin ne devrait pas dicter des règles à l’égard de ce qui touche le palier provincial. Contrairement aux disputes entre Lorelai et Rory, les querelles entre Justin et Gaétan ne sont pas éphémères. Mais lorsqu’on fait indirectement quelque chose qu’on ne peut faire directement, cela donne lieu à ce genre de problématique. Pire encore, quand on tolère une situation illégale beaucoup trop longtemps ou qu’on choisit de rester dans l’ignorance, il n’y a que soi-même à blâmer.


Par ailleurs, Gaétan a stipulé qu’il avait l’intention d’abolir les frais accessoires, sous réserve d’une exception. Il permet au gouvernement provincial, par l’adoption de règlements, de prescrire des cas et des conditions dans lesquels un paiement serait facturé (9). Autrement dit, l’ancien spécialiste vient d’inscrire un appendice dans la législation.


Il était une fois dans le trouble

Soyons clairs sur une chose : je critique énormément le travail de notre ministre de la Santé actuel, mais je suis également capable d’admettre que c’est une tâche colossale. Ce poste n’est pas fait pour n’importe qui et d’ailleurs, je serais la première à dire que probablement jamais dans ma vie, je n’accepterai d’occuper une telle fonction. Je pense aussi que ses intentions sont bonnes et qu’il a un véritable désir de faire en sorte que le système de santé québécois puisse répondre à tous les besoins des citoyens. Alors, je lève mon chapeau à Gaétan. Ceci étant dit, nos opinions diffèrent à l’égard des méthodes utilisées pour modifier le régime.


D’abord, est-ce qu’au Québec, il manque de médecins de famille? La réponse à cette question est négative. Au contraire, la province s’en sort très bien, puisqu’on a le deuxième meilleur ratio médecin par habitant au Canada, soit 239 omnipraticiens pour 100 000 Québécois (10). D’après les experts, le problème réside dans l'organisation du système de santé actuel, et plus particulièrement des acteurs qui en font partie (11). Je souscris à cette opinion.


Ensuite, pourquoi donner autant de responsabilités aux omnipraticiens? Il existe une infinité de professionnels non-médecins, à savoir les pharmaciens, les infirmiers, les travailleurs sociaux, les intervenants communautaires, etc. Avec la réforme Barrette, ils sont plutôt perçus comme de simples outils au bénéfice des médecins de famille. D’après moi, une meilleure répartition des tâches améliorerait la performance de notre système de santé.


Enfin, pourquoi autant investir dans la médecine curative et l’industrie pharmaceutique, alors qu’il y a la médecine préventive? On n’est pas non plus comme dans Charmed où tout doit se régler par magie. Les médicaments ne sont pas des potions magiques. La médecine n’est pas une science exacte, et selon une étude internationale, 40 % des soins prescrits n’ont aucune preuve d’efficacité (12). Sachant que le gouvernement dépense près de 32 milliards de dollars pour le régime de santé (la moitié de son budget au total !), investir dans la prévention serait à mon avis une voie envisageable.

***

Les déboires ci-mentionnés ne représentent pas une liste exhaustive de ce qui est arrivé sous la direction de Gaétan. Tant et aussi longtemps que les Québécois et les Québécoises accorderont leur vote de confiance à ce gouvernement, les échecs ne feront que s’accumuler et en fin de compte, les plus grands perdants seront les patients. Alors, une « Barrette » avec ça? Non, merci.

1. Réseau alternatif et communautaire des organismes en santé mentale. (2014). « Révolution structurelle et culturelle » dans le réseau de la santé et des services sociaux. Repéré à http://racorsm.org/revolution-structurelle-et-culturelle-dans-le-reseau-de-la-sante-et-des-services-sociaux.

2. Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35.

3. Lecomte, A.-M. (2014, 25 septembre). Québec propose une réforme majeure du système de santé. Ici.radio-canada.ca. Repéré à http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/politique/2014/09/25/001-barette-projet-loi-sante.shtml

4. Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), art. 91.

5. Loi canadienne sur la santé, L.R.C. 1985, c. C-6, art. 18 et 20(1). 

6. Dutrisac, R., Nadeau, J. (2015, 8 octobre). Gaétan obtient son amendement sur les frais accessoires. LeDevoir.com. Repéré à http://www.ledevoir.com/non-classe/452067/gaetan-barrette-obtient-son-amendement-sur-les-frais-accessoires

7. Radio-Canada. (2016, 14 septembre). Québec abolit les frais accessoires. Ici.radio-canada.ca Repéré à http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/sante/2016/09/14/001-frais-accessoire-abolition-barrette-quebec-soin-assure.shtml

8. Marquis, M. (2016, 19 septembre). Frais accessoires : Ottawa réclamera remboursement à Québec. La Presse.ca. Repéré à http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201609/19/01-5022171-frais-accessoires-ottawa-reclamera-remboursement-a-quebec.php

9. Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c. A-29, art. 22.0.0.1.

10. Institut canadien d’information sur la santé. (2015). Les médecins au Canada 2014. Repéré à https://secure.cihi.ca/free_products/Summary-PhysiciansInCanadaReport2014_FR-web.pdf

11. Cameron, D. (2012, 15 novembre). Toujours plus de médecins au Québec. La Presse.ca. Repéré à http://www.lapresse.ca/actualites/sante/201211/15/01-4594337-toujours-plus-de-medecins-au-quebec.php

12. Robert P. KOURI et Catherine Régis, « La limite de l’accès aux soins définie par l’article 13 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux : véritable exutoire ou simple mise en garde? », (2013) 72 R. du B. 183.

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