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François Sylvestre

Merkel, ou la promotion par défaut



C’était il y a 1 an. Le réputé magazine TIME, avec son annuelle Personne de l’année, titrait Angela Merkel « Chancelière du monde libre » (1). Un an plus tard, on ne peut que constater que ce titre, quoiqu’essentiellement tape-à-l’œil, se rapproche drôlement de la réalité.


Déjà, dans la semaine qui a suivi l’élection de Donald Trump, de grands médias comme le New York Times (2), le Washington Post (3) ou encore Libération (4) considéraient la chancelière allemande comme la « leader of the free world », en l’absence, en quelque sorte, d’une autre figure incontournable, politiquement parlant, du monde occidental. La première ministre britannique Theresa May? Pour une dirigeante qui vient d’arriver sur l’échiquier politique européen et qui a justement comme principal mandat d’en sortir, ses chances sont presque nulles. Le président français François Hollande? Au contraire d’Obama, c’est lui le véritable « président boiteux », quoi qu’en disent les républicains de l’autre côté de l’océan. Le premier ministre canadien Justin Trudeau? Le Canada n’est que « quelques arpents de neiges », faut-il le rappeler....


Les yeux de la civilisation occidentale, par défaut, se sont donc tournés vers celle qui dirige la 4e puissance économique mondiale, et 1ère d’Europe, la chancelière allemande Angela Merkel. Celle-ci, fait presque unique, dirige un des seuls pays qui se comportent relativement bien, tant au niveau économique que politique. En effet, l’Allemagne, depuis la crise des subsides de 2008, fait saliver. Avec un taux de croissance beaucoup plus élevé qu’en France ou en Italie, un taux de chômage parmi les plus bas d’Europe (5,8 %, pour être plus précis) (5), la situation économique de l’Allemagne est plutôt bonne. Au niveau géopolitique, la République fédérale a même réussi à s’imposer comme l’élément central de l’Union européenne, encore une fois aux dépens de la faiblesse de ses voisins français, italiens et espagnols. Dans le dernier grand règlement diplomatique, Berlin avait même réussi l’exploit d’être l’égal des Big Five, lors des négociations sur le nucléaire iranien. En effet, l’entente s’est faite entre l’Iran et le groupe « G5 + 1 », groupe qui pourrait bien se reformer à l’avenir.


Cette importance se manifeste également dans la personne même d’Angela Merkel. Seule dirigeante du G7 à avoir survécu, encore aujourd’hui, à la crise de 2008, Merkel est l’une des seules têtes dirigeantes que Vladimir Poutine tient en estime. Secret de Polichinelle, lorsque le mot Europe se fait entendre à la Maison Blanche, Obama décroche le téléphone et appelle au palais du Reichstag… et se fait mettre sur attente, car la chancelière doit tenir au courant le Secrétaire général des Nations Unies, Ban-Ki Moon, du processus d’intégration du million de réfugiés de la guerre civile syrienne qui se sont trouvés un logis en Allemagne. Russophile ayant été élevée en Allemagne de l’Est, Angela Merkel a commencé sa carrière politique dans les années 90, après la chute du mur de Berlin. Suite à un passage dans l’opposition de 1998 à 2005 et à l’accession, dans l’intervalle, à la présidence de son parti, elle retrouve les clés du pouvoir en 2005 à titre de chancelière. C’est la première femme à accéder à la plus haute fonction politique du pays. L’air toujours grave et sérieux, elle impose sa stabilité et sa vision à la classe politique allemande. Cependant, ses détracteurs ne manquent pas une occasion de rappeler que Merkel bénéficie encore aujourd’hui des réformes économiques entreprises par son prédécesseur, le chancelier Gerhard Schröder, et qui fait que l’Allemagne est aujourd’hui un « modèle économique de bas salaire », selon les dires de Marine Le Pen (6).


Cependant, tout n’est pas rose au pays de la bière et de la marque aux trois bandes. Suite à l’arrivée massive de centaines de milliers de réfugiés syriens fuyant la guerre civile, l’Allemagne a dû faire face du jour au lendemain à la plus grande cohorte d’immigrants jamais accueillie au pays. En réaction, un parti d’extrême droite semblable au Front national s’est vu propulsé sous les feux des projecteurs, dans un pays où la haine de l’autre fait pourtant résonner un douloureux souvenir. Le parti Alternative pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland ou AfD), porté par une charismatique leader dans la jeune quarantaine, Frauk Petry, souffle à pleins poumons sur les braises de l’euroscepticisme et du populisme, n’hésitant pas à pointer du doigt les immigrants ou les réfugiés lorsque le moindre incident isolé survient. Cette année, aux dernières élections régionales de différents Länder (sorte de province à l’allemande), l’AfD a réussi à terminer en deuxième position dans deux Länder, et à terminer troisième dans deux autres. Ses scores, autour des 15 %, font du parti la potentielle troisième force politique du pays pour l’élection générale de l’année prochaine (7). Les deux grands partis, soit l’Alliance chrétienne-démocrate (CDU/CSU, de centre droit) de Merkel et le Parti social-démocrate (PSD, de centre gauche), qui fait partie du gouvernement de la chancelière, sont cependant loin d’être menacés, pour l’instant, dans leur situation de 1re et 2e forces politiques du pays. Ce qui fait réagir, c’est plutôt l’éventuelle entrée de ce parti d’extrême droite à la chambre basse du Parlement allemand, soit le premier parti du genre depuis… 1945.


Même si Merkel, en réaction à cette vague de scepticisme populaire par une partie de l’opinion publique de son pays, a été forcée d’affirmer plus tôt cet automne qu’elle ne referait pas cette expérience d’accueil à la vitesse grand V dans l’avenir, celle-ci savait pourtant au départ que cette arrivée de millions de réfugiés était le moment critique où le capital politique de l’Europe et surtout de l’Union européenne était entre ses mains. Comment l’Europe, et plus particulièrement l’Europe occidentale, allait-elle pouvoir continuer à se dire inclusive et uniquement constituée de démocraties « libérales », alors que l’ambiance générale était à la morosité d’après-crise et qu’on aurait refusé l’accès à femmes et enfants fuyant la guerre et le désespoir? En ouvrant ses portes, l’Allemagne donnait au monde une leçon d’humilité et d’ouverture, ouverture qui en surprit plus d’un, d’ailleurs.


Sources

1) http://time.com/time-person-of-the-year-2015-angela-merkel/

2) http://www.nytimes.com/2016/11/13/world/europe/germany-merkel-trump-election.html?_r=0

3) https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2016/11/21/how-angela-merkel-a-conservative-became-the-leader-of-the-liberal-free-world/

4) http://www.liberation.fr/planete/2016/11/16/face-a-trump-merkel-catapultee-leader-du-monde-libre_1528738

5) http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/11/03/en-allemagne-le-taux-de-chomage-s-etablit-a-5-8-son-plus-bas-niveau-depuis-la-reunification_5024718_3234.html

6) Paroles du discours de Marine Le Pen au Parlement européen, le 8 octobre 2015. Disponible à cette adresse : http://www.france24.com/fr/20151008-video-clash-marine-le-pen-francois-hollande-parlement-europeen-angela-merkel-vice-chancelie

7) http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/803869/merkel-allemagne-berlin-election-bundestag-regionales-gauche-populiste

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