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Ariane Larocque, du Comité Amnistie Internationale

Sans faille ou sans maille



Qui dit nouvelle année dit incontestablement nouvelles résolutions, comme écrire des introductions plus originales et concises, arrêter d’être cynique rien qu’en respirant, être plus honnête avec soi-même ou encore cesser de se contredire en l’espace d’une seule et même phrase.


Viennent aussi immédiatement à l’esprit les traditionnelles rétrospectives des 365 derniers jours enfin derrière nous, Amnistie Internationale perpétuant la tradition avec son bilan de la situation des droits de la personne au Canada (1), plus précisément quant aux vingt recommandations soumises au gouvernement Trudeau en début de mandat. Verdict : sans avoir fièrement mis ses culottes à motif de feuilles d’érable en faisant la pose pour Radio-Can’, Ottawa s’est néanmoins engagé sur un chemin pour le moins encourageant et dont il a déjà parcouru la moitié de la distance. Ainsi, sur les vingt recommandations en question, ce sont dix d’entre elles qui ont été entièrement respectées ou déjà mises en œuvre, et dix autres dont la concrétisation soulève des inquiétudes ou affiche peu ou pas de progrès.


Survol rapide de trois bons coups sur lesquels trinquer, et de trois citrons à accompagner du verre de lait oublié par St-Nicolas qui traine encore sous la cheminée (miam).


1. Le projet de loi sur les droits des personnes trans

En avril, Jody Wilson-Raybould, ministre de la Justice, a présenté le projet de loi C-16 visant à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel afin d’élargir la protection contre la discrimination et les crimes haineux aux considérations d’identité et d’expression de genre (2), appuyant ainsi explicitement les personnes trans qui ne pouvaient trouver d’assistance adéquate dans les motifs de sexe ou d’orientation sexuelle. Suite à l’échec de sept tentatives similaires d’initiative parlementaire, c’est la première fois qu’un projet de loi d’initiative ministérielle est déposé. Adopté par la Chambre des communes le 18 novembre 2016, il ne reste plus qu’à attendre son approbation par le Sénat. De quoi étonnamment ravaler son (O.K., mon) sarcasme!


2. La politique de clémence pour les Canadiens condamnés à mort à l’étranger

Sous le règne d’Harper, le Canada a éradiqué en 2007 sa politique de longue date concernant la demande systématique de clémence au nom des Canadiens condamnés à mort dans d’autres pays. Ainsi, aucune demande de clémence n’était soumise lorsque le pays en question était considéré comme « démocratique et respectant la primauté du droit », critère totalement arbitraire en pratique et souvent dépendant de l’identité de l’individu. Rappelons qu’en 2007, c’était ce cher Maxime Bernier qui était à la tête des Affaires étrangères, et qu’il n’avait clairement pas le temps d’adresser des demandes de clémence à gauche et à droite, puisque trop occupé à tenter de distribuer ses fiers Joe Louis beaucerons (est-ce que ça a une date de péremption, des Joe Louis ?) en Afghanistan (3). Finalement, heureux dénouement en février 2016 : la politique de clémence est nouvellement rétablie par Trudeau, le gouvernement a annoncé qu’il fera un appel à la clémence dans le cas de tous les Canadiens qui risquent l’exécution.


3. L’abrogation des modifications à la Loi sur la citoyenneté

Autre projet de loi prometteur (C-6, pour les intimes), lui aussi introduit en février : celui ayant pour objectif d’annuler les réformes conservatrices de la Loi sur la citoyenneté. Ces amendements permettent toujours de révoquer la citoyenneté canadienne à des individus ayant la double nationalité en raison de certaines condamnations, dont celles pour terrorisme, espionnage, haute trahison ou le fait d’avoir servi comme membre d’une armée ennemie du Canada (4). Approuvé par les Communes, C-6 est toujours devant la Chambre haute, son unique bémol étant la subsistance de la capacité de révoquer la citoyenneté acquise au moyen de fausses déclarations. Cette initiative de McCallum, ancien Ministre de l’Immigration, se mérite un donc un A-. Ce n’est quand même pas si pire, un A- (même si son GPA ministériel s’est visiblement montré insuffisant à la fin de la session parlementaire…)


4. L’accès aux soins de santé essentiels pour tous

Les précédentes compressions des Tories annulées par la Cour fédérale en 2014, la couverture de soins de santé aux réfugiés et aux demandeurs d’asile a été rétablie en avril 2016. Or, celle-ci n’englobe pas les soins de santé essentiels pour toutes les personnes au Canada, sans égard à leur statut d’immigrant. Si Gaétan Barrette était au moins d’accord sur ce point avec son homologue fédéral (la plèbe québécoise mécontente devant tout de même être amadouée à coup de subventions insuffisantes avant les sous-hommes sans papiers), d’autres acteurs moins pesants, comme le Comité des droits de l’homme et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, ne le sont pas (5).


5. L’abolition de la liste des pays d’origine désignés pour les demandeurs d’asile

En matière de demandes d’asile, la liste des pays d’origine dits « sûrs » datant de 2012 établit une liste de 27 pays désignés (6), en grande majorité des membres de l’Union européenne, dont l’Allemagne, le Danemark et la France (quoique de contempler chaque jour dans le journal les beaux yeux emplis de joie de vivre couleur Mer Morte de Marine LePen a probablement de quoi vous saper tout sentiment de sécurité intérieure). En d’autres termes, lorsque le demandeur d’asile provient d’un de ces pays, sa demande fait l’objet d’un processus d’examen accéléré menant presque systématiquement à un rejet, le tout avec une possibilité d’audience dans un délai dix fois plus court que d’ordinaire, et sans recours à la Section d’appel des réfugiés jusqu’à tout récemment. Au premier coup d’œil, ça ne semble pas la mer à boire, mais d’un point de vue administratif, cette liste discriminatoire viole le principe fondamental à la base même du système d’asile, selon lequel les demandeurs devraient faire l’objet d’une évaluation individuelle. Notons toutefois une légère rectification de la situation : Ottawa a annoncé qu’il n’appellera pas de la décision de la Cour fédérale qui avait annulé le refus d’accès à la Section d’appel des réfugiés, en indiquant non pas sa volonté de complètement supprimer la liste, mais d’y réfléchir. Mieux vaut un « noui » qu’un « non ».


6. L’incontournable : l’accord de vente de véhicules blindés vraiment pas légers à l’Arabie Saoudite

Pour des raisons évidentes, dont l’une commence par « T » et finit en « urp », présumons que tous en ont entendu parler. Si ce n’est pas le cas, bonjour à toi, étudiant en bio curieux qui pense encore que le Pigeon est secrètement une revue d’ornithologie. En bref, le gouvernement a finalement octroyé en avril les permis nécessaires pour s’assurer le respect de l’accord de 15 milliards de dollars. Le tout en invoquant le secret des affaires pour s’abstenir de publier l’évaluation des répercussions de l’accord sur les droits de la personne. Come on. Si les affaires relèvent du plus grand des secrets, le conflit au Yémen menant à la multiplication des crimes de guerre saoudiens en est un de Polichinelle.

* * *


Avec le récent remaniement ministériel et le vent de fraîcheur ayant dépoussiéré des ministères clés comme celui des Affaires étrangères ou de l’Immigration, que l’on considère ce grand ménage opportun ou non, on ne peut qu’espérer que le plan de match libéral serait lui aussi remis au goût du jour, incarnant plus que jamais une voix forte s’élevant pour les droits et libertés à l’échelle internationale. Mais ne soyons pas dupes : même si les sourires pleins d’assurance de Chrystia Freeland et d’Ahmed Hussen sont objectivement plus sexy que les bettes à McCallum et à ce pauvre Dion, ce changement de têtes d’affiche doit s’accompagner d’un changement d’attitude radical face à ces dossiers épineux.


Parce que notre gouvernement qui nous offre de nouveaux ministres sans changer de programme, c’est un peu comme notre tante qui vient de se mettre au tricot juste avant les Fêtes et qui nous offre un chandail quétaine pour Noël. Quand bien même qu’elle l’aurait emballé dans une boîte du nouveau MacBook Pro ou dans un vieux carton de Fruit Loops encore imprégné d’une humidité de fond de tiroir ; quand bien même qu’elle serait pleine de bonne volonté et qu’on la préfère clairement à un vieux mononcle cochon américain aux blagues racistes qui n’a que des insultes à offrir; ça ne cachera pas le fait que son chandail est trop étiré ou manque de mailles par endroit.


Au moins peut-on souhaiter qu’elle améliore ses skills de tricot d’ici l’année prochaine !



(1) Amnistie Internationale, Défendre les droits humains sans exclusion? Bilan de l’an un du gouvernement Trudeau – 2017, https://amnistie.ca/sites/default/files/upload/bilan_de_lan_un.pdf

(2) Radio-Canada, Le projet de loi sur les transgenres est adopté aux Communes, http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1000972/projet-loi-transgenres-chambre-communes

(3) Le Devoir, Afghanistan - L'armée a mal digéré «l'opération Jos Louis», http://www.ledevoir.com/politique/canada/195306/afghanistan-l-armee-a-mal-digere-l-operation-jos-louis

(4) Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), c. C-29, art. 10

(5) Comité des droits de l’homme, Observations : Canada, UN Doc. CCPR/C/CAN/CO/6, 13 août 2015, par. 12 ; Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations : Canada, UN Doc. E/C.12/CAN/CO/6, 23 mars 2016, par. 50.

(6) Amnistie Internationale, préc., note 1, p. 9

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