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Philippe Morneau

De l'amour et des fusils font des coeurs criblés de balles



En, 1929, fréquentant régulièrement un coquet resto-brunch de Dallas, TX, le sergent Hinton avait fait la connaissance d’une jeune serveuse qui lui apportait sans faute son déjeuner spécial-deux-œufs-miroirs-avec-saucisses/jambon/bacon-et-crêpes-avec-un-p’tit-cup-de-confiture-de-fraise-en-extra-pour-les-toasts-plus-le-café-pis-des-bines-qui-font-péter.


Cinq ans plus tard, le matin du 23 mai 1934, une faction de six hommes, cachés depuis deux jours dans les buissons en bordure d’une route de campagne de Bienville Parish, LA, attend patiemment la venue d’un certain véhicule. Soudainement, surgit à toute vitesse une Ford V8 volée, laquelle mange toute une volée de par la volée de balles qui s’abat sur elle. Parmi la faction ayant monté l’embuscade et ayant déchargé six fusils d’assaut, six fusils de chasse à pompe et douze pistolets : le sergent Hinton.


Hinton rapporte que des deux amoureux sur la banquette avant de la Ford, l’homme décéda dès les ravages des premiers projectiles, et que la femme, pauvre elle, avait hurlé, un bruit qui se mêla à celui du klaxon actionné par le corps mort de son amoureux. Ce n’est pas long qu’elle connaitra le silence comme lui, à ses côtés, l’amour triomphant toujours. Rien n’est plus fort, paraît-il. À ce moment, les corbeaux virevoltent gaiement, et la banquette avant de la Ford V8 est couleur confiture de fraise, une tapisserie des plus romantiques.


Elle & lui


Même pas âgée de 16 ans, Bonnie se drape de la robe blanche. La relation avec son nouvel époux ne fera pas long feu puisque ce dernier est à la fois absent, à la fois prédisposé à des entorses avec la loi. Bonnie ne peut plus endurer cette situation. Fin janvier, sans le divorcer, elle dit au revoir à son mari, et ne le reverra plus jamais. On ne sait si elle prend cette décision d’elle-même ou suivant les conseils d’une autre, mais son apparente sagesse n’est plus méconnue. Bonnie ne tolérera pas un tel homme dans sa vie; il ne lui convient pas et nuirait à son épanouissement. Vaut mieux passer à autre chose et s’éclaircir l’esprit avant la Saint-Valentin. De toute façon, les amourettes, à cet âge, ô combien magnétiques, ne peuvent aller jusqu’à trahir le caractère respectable de la jeune femme!


D’à peine 16 ans, Clyde, quant à lui, ne s’adonne pas à l’amour pour une femme, mais plutôt au plaisir du crime : prendre la fuite devant les forces de l’ordre, entrées par effraction, vols, possession de dindes volées, puis, une fois en prison, meurtre d’un codétenu à l’aide d’une barre de fer. Voulant à tout prix éviter de travailler dans les champs, Clyde demande à un autre codétenu de lui couper deux orteils; il boitera pour le reste de sa courte vie, et pire encore, il est libéré moins d’une semaine après s’être fait amputé. La morale de l’anecdote est donc de toujours prendre une semaine de plus pour réfléchir à son ablation d’une protubérance podale. La misère qu’il aura subie dans cette prison texane le motivera à se venger. Quoi de mieux pour ce faire que le crime actif, d’autant plus qu’à maintenant 22 ans, Clyde s’intéresse davantage aux filles. Il avait appris en prison que du crime abondaient l’attention et l’affection féminines, tel qu’en témoignaient les nombreuses lettres à caractère amoureux et sexuel d’admiratrices que ses codétenus les plus brutaux recevaient.


testostérone + poudre à canon = cocktail explosif


Depuis sa dernière séparation, Bonnie avait tout l’air d’une fille ordinaire. Sa rencontre avec Clyde, bien qu’elle relevait du hasard, lors d’une soirée chez un ami commun, pouvait nous faire douter du type favori de ses fréquentations masculines. Après le mari, un nouvel homme, un véritable hors-la-loi celui-là. Coup de foudre. Chacun s’amourache de l’autre et seuls l’amour et la passion ont de quoi camoufler l’excitation pour les activités criminelles, mais pas pour longtemps. En effet, Clyde témoigna à Bonnie que si elle est sa dulcinée, le crime est sa maîtresse. Éprise de son nouvel ami de cœur, elle déborde de curiosité et exigera de Clyde qu’il lui expose les rouages de ses activités quotidiennes. Le nouveau couple fraîchement sorti du four aura de quoi combler la satiété du public, lequel a grand besoin d’être rassasié en cette Grande dépression. Pas que les amoureux distribueront des pâtisseries à leurs compatriotes américains, quoiqu’ils leur exciteront tout de même l’estomac. En effet, Bonnie and Clyde et leur bande commettront plusieurs vols dans des dépanneurs et des stations-services, tuant au passage de multiples commerçants ainsi que des policiers. La presse fait couler l’encre et le roman-feuilleton est curieusement populaire alors qu’on peine à se trouver de la nourriture et que les agriculteurs doivent déserter leurs terres faute de moyens. Tirer à brûle-pourpoint, voilà la nouvelle devise des nouveaux amants. La passion de leur nouveau passe-temps reflétait leur amour mutuel. Il ne s’agit pas ici d’une hyperbole romanesque. Au début des années 30, dans le sud des États-Unis, Bonnie and Clyde captent l’attention de la populace, excitée par l’histoire d’un jeune couple en amour avec lui-même et en amour avec le meurtre.


La fascination qu’on porte à leur histoire est le fruit d’une gradation ascendante de la sévérité des crimes qu’on leur attribue; si le Clyde adolescent avait déjà volé des dindes, il aura rehaussé son jeu en volant ici les tripes et le cœur d’une dinde certainement plus jolie, mais tout aussi sotte. Prise de spasmes érotiques, Bonnie glougloutait d’amour pour son crétin de dindon sauvage, le plus sanguinaire du champ. Si l’amour est une acceptation de notre vulnérabilité, il peut aussi en être l’exploitation de celle des autres. Alors que Pôpa Freud aurait probablement psychanalysé les deux organes du couple comme spoliant l’autre moitié, nul doute que le cas de nos deux amoureux est une manifestation de la vengeance des oiseaux sauvages : ce sont maintenant eux qui partent à la chasse à l’humain; les agriculteurs, dont les carabines seront utilisées contre eux, n’ont qu’à bien se tenir, car si la fraise donne une teinte rougeâtre à leur champ, leur sang qui gicle en fait tout autant.


Fuir avec le cœur de l’autre


Mais la fascination n’empêche pas la peur. Tant de morts constituent un ingrédient essentiel à une bonne sauce hollywoodienne prête à laquer l’ennui moribond des villes américaines entourées de sable, dont les portes sont toutes verrouillées. La riposte policière se fit lente, mais foudroyante. En cherchant à esquiver les forces de l’ordre qui étaient aux trousses des amoureux, Clyde le dindon, en conduisant une vieille voiture toute pétée, ne remarqua pas les panneaux de signalisation sur une route en construction bordant un ravin. La voiture au réservoir fraîchement rempli plonge et prend feu, et Bonnie voit sa jambe se calciner. Elle aussi aura de la difficulté à marcher pour le reste de ses jours. Comme quoi ceux qui se ressemblent s’assemblent. Un autre triomphe de l’amour, dont la flamme est plus intense que celle ayant pour carburant la gazoline.


Certains de leurs compagnons se faisant arrêter et tuer par les policiers au cours de cavales qui durent des mois, les deux tourtereaux savent que leurs morts approchent, et ils l’anticipent avec joie. La police en vient à apprendre que le couple ira se réfugier chez un ami en Louisiane. En filant à toute allure sur une route de campagne, le couple ne prévoyait pas l’embuscade qui les mena à la noyade dans la confiture de fraise. Après la scène de la Ford V8 criblée de balles décrite par le sergent Hinton, la banlieue est mise au courant de la fin du fameux couple d’amoureux criminels qui avait excité la nation américaine. On se rue vers le véhicule et on prend soin de récupérer quelques souvenirs des amants qui ont marqué le crime au XXe siècle : morceaux de tissus, cheveux, même l’oreille gauche de Clyde et son index droit dont l’histoire aura été d’appuyer sans cesse sur la détente des fusils qui composaient son arsenal d’armes volées. Une journée comme les autres. Le mari de Bonnie, petit criminel de ruelle merdique et inaccompli, vante à la Shakespeare la mort de sa tendre et de l’amant de cette dernière : il vaut mieux être tué pour de grands crimes que d’être capturé pour de petits méfaits.


Comment expliquer cet enthousiasme de Bonnie, et à plus grande échelle, de certaines femmes, pour les hommes œuvrant dans le crime? Les théories psychologiques varient : désir de changer même les hommes les plus cruels; désir de vivre une certaine célébrité véhiculée par les bulletins de nouvelles; désir de combler un instinct maternel en accompagnant un homme qui serait, au fond, encore un jeune garçon; insécurité quant à la possibilité d’établir une relation amoureuse saine; et trouble de la personnalité évitante, entre autres. La subjectivité de ces interprétations est cependant difficile à évaluer scientifiquement. Plus spécifiquement, on reconnaît que l’hybristophilie est une paraphilie dont l’excitation sexuelle découle de rapports avec un partenaire qui s’est adonné à des activités criminelles, dont le vol, le viol et le meurtre. La même paraphilie abrite le phénomène inverse qui, quoique moins fréquent, existe bel et bien : des hommes dont le cœur est attendri par des femmes s'exerçant dans le crime. Ce sont toutefois majoritairement les femmes, probablement de par leur fonction—psychologue, médecin, agente correctionnelle—dans le système carcéral, notamment, qui semblent s’attacher davantage aux auteurs de crime qui sévissent derrière les barreaux. Une bonne raison de dormir avec une arme à feu sous l’oreiller? Chose certaine, l’amour du criminel et l’amour des fusils ont en commun qu’ils perforent le cœur.

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