top of page
Sofia Panaccio

Just Another Madman in the White House



À l’heure actuelle, alors que nous nageons dans une ère de démagogie et de chaos, il semble pertinent de prendre du recul à l’égard de ce qui se déroule sur la scène internationale, notamment en ce qui concerne les États-Unis, nos voisins. Il est vrai que l’élection de Donald Trump à la tête de cette superpuissance fut tout un choc et que chacun se positionna fortement à ce sujet. Or, d’un point de vue historique, il serait plutôt sage de s’intéresser à d’autres hommes politiques qui ont marqué la politique américaine négativement et qui, par l’entremise de leur poste à la Maison-Blanche, ont amené ce pays à prendre des décisions particulièrement sanglantes. Ainsi, peut-être qu’en relativisant la venue de Trump au pouvoir en comparant celle-ci à d’autres époques également obscures, nous arriverons à nous détacher de tout ce tourbillon médiatique plutôt alarmiste.


Il semble intéressant de tisser un parallèle avec le réalisme frappant de la nouvelle politique américaine de Trump avec celle du stratège Henry Kissinger reconnu pour avoir été le bras droit de Richard Nixon. Homme politique d’origine allemande très connu dans le milieu des affaires politiques, Kissinger fut l’une des figures marquantes de la Maison-Blanche durant la guerre du Viêt Nam. Né de parents juifs en 1923, il passera une partie de son adolescence sous la dictature d’Hitler. Il a dû immigrer aux États-Unis en 1938 (1). Il est d’ailleurs fort probable que le régime nazi allemand ait laissé des traces chez Kissinger. Certains analystes supposent que cela aurait grandement affecté sa personnalité dite plutôt froide et sans pitié (2). Dès lors, Kissinger se forgea rapidement une réputation dans le domaine des relations internationales aux États-Unis, notamment en raison de sa thèse de doctorat à Harvard, A World Restored : Metternich, Castlereagh, and the Problem of Peace, 1812-1922, qui met de l’avant sa théorie concernant les relations politiques sur la scène internationale (3). Selon lui, il faudrait faire preuve de méfiance face aux différentes idéologies. Cela ressemble étrangement aux idées du gouvernement américain actuel qui prône la priorisation des intérêts américains au détriment des relations interétatiques.


Durant la campagne électorale américaine de 1968, Kissinger proposa une stratégie à son image : efficace et pragmatique, afin de faciliter le retrait des troupes armées américaines du Viêt Nam (4). Richard Nixon, nouvellement président, adopta le plan en quatre points de Kissinger et l’embaucha à la fois comme conseiller à la sécurité nationale, plus communément intitulée National Security Adviser (NSA), et comme secrétaire exécutif du Conseil de sécurité nationale (NSC). Kissinger acquit donc énormément de pouvoir à la Maison-Blanche vu sa position de conseiller direct du président (5).


Dès son arrivée au pouvoir en février 1969, l’enjeu de la guerre du Viêt Nam et surtout celui des attaques violentes des Nord-Vietnamiens étaient au centre des préoccupations de l’équipe de Nixon. Par conséquent, Kissinger proposa de mettre en œuvre une opération secrète qui consistait à bombarder les bases nord-vietnamiennes situées au Cambodge. Ce projet naquit dans une atmosphère tendue et officieuse qui s’apparente plutôt bien à celle actuelle. Le président Nixon voulait agir rapidement et brutalement afin d’effrayer les Nord-Vietnamiens au tout début de son mandat en tant que président (6). Sa stratégie, calquée sur la théorie du fou, soit « The Madman Theory », comportait des actions plutôt froides et irrationnelles qui lui permettraient de se faire respecter par ses ennemis tout en se faisant craindre (7). Nixon désirait attaquer les Nord-Vietnamiens afin que ceux-ci soient contraints à se plier sous l’autorité du Sud Viêt Nam et de ses alliés. Dès lors, l’idée d’attaquer à la fois les forces nord-vietnamiennes et les forces du Front national de libération du Sud Viêt Nam (FNL) dans leurs bases situées dans la région frontalière entre le Viêt Nam et le Cambodge se concrétisa. Effectivement, le fait de cibler les bases nord-vietnamiennes en territoire cambodgien permettrait de couper l’approvisionnement des forces armées ennemies se trouvant au Viêt Nam, puisque le ravitaillement de ceux-ci transitait par des bases militaires au Cambodge. Or, il semblait risqué d’envoyer les forces armées terrestres américaines en territoire cambodgien (8). Donc, les quelques membres de l’administration Nixon impliqués dans cette intervention optèrent pour une attaque aérienne.


Or, l’équipe Nixon, et plus particulièrement Henry Kissinger, rencontra une problématique majeure au sujet de l’opération au Cambodge : ce pays avait été déclaré neutre lors de la conférence de Genève en 1954 à la suite de la séparation de l’Indochine en trois parties (9). Ainsi, il serait inacceptable sur la scène internationale d’attaquer ouvertement un pays neutre. Cependant, d’après certains renseignements plutôt « alternatifs », la Maison-Blanche estima qu’il y avait approximativement de 40 000 à 60 000 soldats ennemis situés sur le territoire cambodgien bordant la frontière sud-vietnamienne. Par conséquent, Kissinger suggéra fortement que l’opération « menu » soit tenue secrète afin de protéger la crédibilité de la Maison-Blanche (10). Autant Nixon que Kissinger étaient conscients des répercussions d’une telle opération secrète. Ils savaient que le bombardement du Cambodge aurait possiblement les mêmes conséquences que les interventions dans le Golf du Tonkin et que cela leur créerait des ennemis (11). Le caractère officieux de l’opération « menu » fit pencher ces hommes dans l’illégalité, puisque la falsification de documents et le détournement de mission aérienne sont considérés comme des délits graves. D’ailleurs, plusieurs membres de l’administration Nixon, notamment Henry Kissinger, nièrent une part de leurs responsabilités dans l’organisation de ce bombardement. À ce propos, c’est notamment l’ampleur des bombardements qui a posé problème dans « Menu ». En 1969, environ 70 500 tonnes de bombes ont été larguées sur le Cambodge. Même si Kissinger a affirmé publiquement qu’il croyait que les zones ciblées par l’opération « menu » étaient peu peuplées, cette campagne de bombardement qui comportait 3 630 raids aériens a causé la mort d’environ 600 000 civils au Cambodge. Par ailleurs, cette estimation ne tient pas compte des milliers de réfugiés et des blessées qui ont été victimes de ces frappes. Ainsi les décisions de Kissinger quant au fait de cibler des zones habitées ont été très contestées, car, au final, l’ensemble de l’opération a semblé peu efficace dans le contexte de la Guerre du Viêt Nam. D’ailleurs, le nombre d’ennemis morts diffère selon les sources. Certains prétendent que seulement 11 349 ennemis seraient morts durant les raids (12), tandis que d’autres, davantage pro-Nixon, estimèrent que ce nombre atteindrait 40 000 morts. Dans tous les cas, le nombre de civils décédés entre 1969 et 1970 dans les zones ciblées de la région du Fishhook est inutilement élevé et cela rend difficilement justifiables les actions brutales de Kissinger.


En bref, l’opération « menu » menée principalement par le conseiller à la sécurité nationale a non seulement causée la mort de centaines de milliers de civils cambodgiens, mais n’a pas permis non plus de faire progresser le dénouement de la Guerre du Viêt Nam. Ainsi, la position importante qu’occupait Kissinger au sein de la Maison-Blanche durant l’administration Nixon est à la base de cet échec militaire. Si Kissinger n’avait pas eu autant de pouvoir décisionnel, un tel événement ne se serait peut-être jamais produit. Heureusement, ce bombardement secret fut rapidement découvert par un journaliste du New York Times et l’opinion publique critiqua fortement les décisions du duo sanguinaire Kissinger et Nixon (13). Malgré le fait que les idées extrémistes de Trump nous donnent froid dans le dos, les États-Unis semblent avoir eu à supporter les méandres de plusieurs autres hommes politiques dangereux au sein de son administration. Il ne faut toutefois pas dédramatiser totalement les évènements tragiques qui ont lieu actuellement, mais bien simplement de relativiser la situation en se référant à d’autres périodes obscures que vécut notre société.

  1. Marie-France Toinet, « Henry Kissinger 1923- », dans Encyclopédie Universalis, [s.d.], consulté en ligne le 29 janvier 2017, http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/henry-kissinger/

  2. [s.a.], « Henry A. Kissinger : United States statesman », dans Encyclopedia Britannica, [s.d.], consulté en ligne le 28 janvier 2016, http://www.britannica.com/biography/Henry-Kissinger

  3. Toinet, « Henry Kissinger 1923- ».

  4. [s.a.], « Henry A. Kissinger : United States statesman ».

  5. [s.a.], « National Security Council (NSC): United States agency », [s.d.], consulté en ligne le 4 février 2016, http://www.britannica.com/topic/National-Security-Council-United-States-agency

  6. Prados, Presidents’ secret wars, p. 292.

  7. Prados, La Guerre du Viêt Nam 1945-1975, p. 394.

  8. A Facts on File Publication, Cambodia & the Vietnam War, New-York, Étas-Unis, Interim History, 1971, p. 52.

  9. Prados, Presidents’ secret wars, p. 290.

  10. Prados, La Guerre du Viêt Nam 1945-1975, p. 397.

  11. Raymond Aron, « Henry Kissinger, le Viêt Nam et le Cambodge. Décision et rétrospection », Commentaires 1979/4 (Numéro 8), p. 543-553, consulté en ligne le 10 avril 2016, http://www.commentaire.fr/pdf/articles/1979-4-008/1979-4-008_5p_0047_art1.pdf

  12. A Facts on File Publication, p. 133.

  13. Henry Kissinger, Les années orageuses (volume 1), Paris, Éditions Fayard, 1982, p. 21.

80 vues0 commentaire
bottom of page