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Ariane Larocque, du Comité Amnistie Internationale

Dénouer à la gordienne



Jasons de pinottes. Primo, parce que médiatiquement parlant, tout ce qui obnubile la scène fédérale au gout du jour (se reporter ici à ce lointain passé du 23 mars) est le budget. Deuzio, parce qu’au niveau monétaire, quelques centaines de millions, c’est de la p’tite bière comparée à l’ombre du déficit qui se tapit sous le lit des économistes pour les étouffer dans leurs rêves comme une main invisible.


Mais comme toute valeur est subjective, attardons-nous également à l’impact symbolique de ces fameuses pinottes qui valent pourtant leur pesant d’or. Je parle ici d’une compensation et d’excuses officielles du gouvernement, certes bien loin de révolutionner le panorama politique canadien comme le feront certainement les infrastructures poussant comme des champignons dans le paysage, quoiqu’ébranlant la sphère juridique en faisant croître son arbre vivant. Ou, disons, au moins une de ses branches principales, l’article 7 de la Charte, alors que les Libéraux viennent d’écrire le chapitre final d’une saga judiciaire à saveur de droits fondamentaux qui aura duré des années, concluant un règlement avec trois citoyens torturés avec la connivence du Canada.


* * *

Tout commence lorsque Abdullah Almalki, Muayyed Nureddin et Ahmad Abou-Elmaati sont arrêtés en Syrie, les deux premiers pour avoir visité de la famille, le troisième pour s’être marié et pour (attention, toujours dissimuler ses secrets d’État dans la doublure de sa valise) transporter une carte touristique de la ville d’Ottawa. Ces arrestations mènent à leur incarcération de 2001 à 2004, Elmaati étant transféré vers la fin de sa lune de miel involontairement prolongée dans une pittoresque prison égyptienne (1).


Suite à leur libération, une enquête judiciaire, présidée par Frank Iacobucci (oui oui, lui, là), est déclenchée pour s’attaquer à la question de savoir si une « conduite défaillante » des agents canadiens aurait contribué aux violations des droits humains de ces hommes. Dix-huit mois d’audience et de huis clos plus tard, verdict : par leurs actions ou, dans certains cas, leur statu quo, les autorités canadiennes ont agi comme parfaites complices dans l’arrestation et le maintien de l’emprisonnement des trois Canadiens, étant ainsi indirectement responsables de leur torture (2).


D’abord, mentionnons la déclaration de la GRC et du SCRS aux services des États-Unis, de la Syrie et de l’Égypte comme quoi ces individus entretenaient des liens avec le terrorisme. Allégations que l’ex-juge a qualifiées « d’inexactes et trompeuses » puisque « fondées sur aucune enquête ». Mais l’erreur étant humaine tout comme les agents de la GRC et du SCRS (peut-être), un tel empressement peut être pardonné.


Qu’en est-il de la rédaction d’hypothétiques questions d’interrogatoire qui seraient mystérieusement tombées entre les mains des services de renseignements militaires en Syrie et en Égypte? Un simple petit malentendu alors que tout ce beau monde était seulement en pleine partie de Vérité ou conséquences un peu pompette.


Idem pour le fait d’utiliser les informations obtenues sous la torture pour décrocher des mandats de perquisition au Canada ou de contrecarrer les efforts pour obtenir le rapatriement des concernés au pays.


Quoi qu’il en soit, plutôt que d’offrir ses excuses et de corriger la situation, le gouvernement Harper décide de faire fi des recommandations du rapport Iaocobucci, ne le reconnaissant peut-être plus sans sa toge de père Noël.


Nait alors un litige qui s’enlisera pendant plus de huit ans, les victimes réclamant chacune 100 millions de dollars en dommages (3). Montant que le gouvernement ne peut évidemment pas débourser en 2008, la seule devise à la hausse en cette période de crise étant l’argent Canadian Tire, et encore.


Toujours minoritaires en 2009, les Torys vont même jusqu’à faire un pied de nez (ou une subtile moue de dédain, peut-être plus conservatrice) à la Chambre des Communes, cette dernière plaidant également pour une juste compensation et pour corriger la désinformation persistant à propos du trio Almalki-Elmaati-Nureddin dans les registres canadiens et étrangers. Quant au Comité contre la torture de l’ONU (4), ses interventions de 2012 sont à l’image de celles d’Élizabeth May pas-mal-tout-le-temps : vertes d’espoir et journalistiquement invisibles.


Heureusement, suite à l’élection de Justin Pierre James Charte Trudeau, une médiation sérieuse, impliquant plusieurs services fédéraux ainsi que le bureau du premier ministre, est entreprise. Et donne le résultat escompté : un règlement entre les trois hommes et le gouvernement libéral, qui fait cette fois honneur à l’adjectif.


Cette avancée cruciale devrait donner le ton aux efforts de l’État pour lutter contre la torture, surtout suite à l’annonce de son adhésion au Protocole facultatif à la Convention de l’ONU contre la torture, faite par Stéphane Dion avant qu’il ne soit réduit en chair à saucisse diplomatique pour être expédié au pays de la wurst. Plus tôt des acteurs (quasi) importants à l’échelle planétaire comme le Canada signeront l’accord, plus concrète et réalisable nous semblera sa promesse d’un système d’inspection des prisons à l’international, certaines tristement célèbres, pour identifier et éradiquer le mal à sa racine.


C’est sans oublier que toute une série de réformes, pour colmater les brèches de nos lois d’immigration, de nos pratiques en matière de partage d’information et de nos services de sécurité nationale, sont plus urgentes que jamais face à l’administration de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom et ses commentaires sur l’utilité incontestable de la torture (5). Il est vrai qu’en cas de doute, un tel outil est si efficace qu’il permettrait de faire avouer avec autant de fiabilité un acte terroriste que la Grande inondation de mélasse de Boston en 1919, qui serait en fait le premier geste d’Al-Qaeda en sol américain.


Et tant qu’à offrir des excuses intelligibles plutôt que de s’esquiver dans un franglais politiquement opportun, l’Exécutif doit établir rouge sur blanc que le Canada ne cautionnera jamais la torture, même loin des yeux et loin du cœur sensible; il se doit d’étendre son mea culpa et d’en arriver à un tel règlement dans d’autres dossiers semblables en termes de violations des droits de la personne. Comme celui qui, après plusieurs saisons à la Fac, a immanquablement incarné une éternelle question d’examen sur la primauté du droit (indice : il commence par K, comme dans kid-de-quinze-ans-à-l’époque-dont-la-vie-sera-ruinée-mais-au-moins-les-médias-ont-pitié-de-lui), et qui, faute de quoi, continuera d’alimenter la prose de bien des chargés de cours avec juste raison.


Parce qu’on ne saura jamais si les Almalki ou les Khadr (oups, ça m’a échappé) de ce monde qui partiraient pour des camps au Moyen-Orient y apprennent la recette du s’more de feu de joie et à faire des nœuds, comme l’a soulevé Morris David, ancien Procureur général des Commissions militaires de Guantánamo (pardonnez-lui son humour de circonstances… ou pas) (6).


Mais de là à montrer aux détenus comment bien (les) attacher et (les) cuisiner aux no more? Vraiment?

(1) Amnesty International Canada, « Almalki, Elmaati, Nureddin: Long awaited redress a step forward in combatting torture », http://www.amnesty.ca/blog/almalki-elmaati-nureddin-long-awaited-redress-step-forward-combatting-torture

(2) Id.

(3) Id.

(4) Id.

(5) The Guardian, "Trump claims torture works but experts warn of its 'potentially existential' costs", January 26, 2017

(6) Michelle Shephard, Toronto Star, "Guantanamo prosecutor quits, cites interference", October 6, 2007


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