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Camille Desmarais

L’histoire des Rohingyas, œuvre de l’indifférence de la communauté internationale


“Smoke from burning Rohingya homes rises into the air from Myanmar, as seen from Bangladesh on Thursday, Sept. 14, 2017” [1]


En fond, un ciel bleu doux. Du sol émerge un voile vaporeux d’un gris morne, une fumée qui semble vouloir prendre d’assaut l’immensité du ciel, comme gorgée de songes nostalgiques, de discussions endiablées autour du repas du soir, de gloussements et de cris naïfs d’enfants, de regards tendres échangés les doigts entrecroisés délicatement.


Il regarde autour de lui, hagard. Un sifflement à l’orée de l’oreille le prend par surprise, le fait sursauter, trembler jusqu’aux os. Mais rien, rien de touché, par chance. Ses sens aux aguets font couler son sang dans ses veines à la vitesse du fleuve Amazone. Ses prunelles fixées devant lui, il s’élance avec détermination.


Tout le monde aime les histoires qu’on m’a dites ; c’est pourquoi j’en avais débuté une de mon cru.


Or, pour être honnête avec vous, derrière cette prose imagée aux allures d’œuvre littéraire, ces scènes funestes aux relents de tableaux romantiques, la vérité c’est que je ne suis qu’une très humble messagère qui, en tentant de chatouiller votre capacité à être touchés par les mots, dépeint un sujet bien plus réel, qui échappe à la beauté de l’art et de la fiction. En effet, derrière ces petits pans d’histoire se dresse une situation bien ancrée dans notre réalité. Sinueusement, cela fait son chemin entre les pages des journaux, de l’autre côté du globe à nos oreilles, nos yeux et nos consciences. Dans les lignes qui suivent, je vous brosserai le tableau de l’histoire du peuple Rohingya.


Selon le dernier bilan du Haut-Commissariat aux réfugiés, 412 000 Rohingyas ont fui le Myanmar dans les dernières semaines [2]. La population Rohingya, d’approximativement 1,1 millions de personnes, habite majoritairement l’État d’Arakan jouxtant la frontière du Bangladesh. De confession musulmane, cette minorité ethnique vit au ban de la société principalement bouddhiste du Myanmar. « La nation birmane est en train de se construire et elle a décidé de se construire sans les Rohingyas. », dit Maël Raynaud, spécialiste de la Birmanie [3]. Que cela signifie-t-il dans les faits ? Les Rohingyas n’ont plus la nationalité birmane depuis 1982, de telle sorte que de nombreuses restrictions discriminatoires leur sont imposées ; ils ne peuvent plus se déplacer librement, ni se marier sans autorisation, et l’accès au marché du travail, aux écoles et aux soins de santé leur est difficile, sinon impossible.


La situation initiale, comme vous pouvez aisément le constater, est déjà hautement problématique, mais c’est la recrudescence d’éléments déclencheurs qui a vraiment mis cette communauté sous le feu des projecteurs.


Lors d’une nuit d’octobre 2016, un groupe de rebelles Rohingyas s’attaqua à trois postes de surveillance des frontières de l’État d’Arakan. Dès lors, les forces armées birmanes prirent pour ennemi la population Rohingya entière. Mais cette situation ne fit qu’escalader en violence, un an plus tard, le vendredi 25 août dernier, lorsqu’une vingtaine de postes frontaliers sont à nouveau la cible de rebelles Rohingyas. La réponse est instantanée : une répression militaire redoublée marquée par des atrocités indicibles (homicides illégaux, arrestations arbitraires, viols, incendies, etc.).


De chaque côté de la frontière, les locaux sont spectateurs de mines antipersonnel qui explosent comme de macabres feux d’artifices, laissant derrière elles des corps en lambeaux. « Ce sont les terroristes Rohingya! », s’empressent de clamer les autorités birmanes alors que d’autre part, les locaux soutiennent voir régulièrement l’armée birmane patrouiller ce secteur. Rappelons ici, à titre informatif, que l’armée du Myanmar est parmi les seules armées nationales sur la planète, aux côtés de la Corée du Nord et de la Syrie, qui utilisent ouvertement des mines antipersonnel.


Au cours de cette vaste opération militaire de « sécurité », les autorités birmanes ont prohibé l’accès à de nombreuses zones de l’État d’Arakan ; ni les journalistes, ni les humanitaires ne peuvent y mettre les pieds.

Du ciel, les images satellitaires nous renvoient des scènes apocalyptiques : des villages annihilés par le feu. À l’appui, les témoignages des rescapés ; des soldats entrent dans le village, tirent aléatoirement, prennent des enfants, violent les femmes avant d’asperger d’essence les maisons de leurs victimes. Vous devinez la suite. Plus de 80 sites ont été incendiés suivant ce modus operandi depuis le 25 août dans cette politique de la terre brûlée [4]. Oui, oui, nous parlons bien d’une opération planifiée, délibérée et systématique.


Comble de l’ironie, Aung San Suu Kyi, conseillère spéciale d’État, privée de sa liberté pendant plus d’une décennie en tant que militante pro-démocratie et récipiendaire du prix Nobel de la paix de 1991, refuse toujours de voir une quelconque forme de discrimination, se bornant à des propos neutres emboucanant les oreilles des acteurs du monde entier qui n’en finissent plus de rager. Elle affirme que le gouvernement défend toute la population de l’État d’Arakan « de la meilleure manière possible ».


Cette politique de la terre brûlée ne laissent pas planer l’ombre d’un doute sur l’intention des autorités birmanes : expatrier la population Rohingya avec une telle violence qu’aucune possibilité de retour ne leur effleure l’esprit. Mais alors, une fois jetés hors de leurs foyers, où peuvent-ils aller ? La plupart traversent au Bangladesh.


Le Bangladesh, caractérisé par une population excessivement nombreuse et une pauvreté importante, se retrouve confronté à un défi de taille. Ce n’est cependant pas ce qui empêche les autorités du pays et les communautés de faire preuve d’une touchante humanité. En revanche, les ressources viennent à manquer dans ces camps qui accueillent des âmes traumatisées, camps qui s’étendent à perte de vue et où l’ONU et plusieurs ONG humanitaires craignent des débordements incontrôlables alors que de plus en plus les estomacs vides se multiplient. Au paroxysme de la vulnérabilité se retrouvent les enfants, que l’UNICEF recense à 60% des personnes réfugiées [5]. Souvent éparpillés le long de la frontière en pleine saison des pluies, ils arrivent affamés, exténués et ont besoin de protection, étant souvent laissés à eux-mêmes [6].


À ce point-ci de l’histoire, je crois pouvoir dire que l’on se retrouve face à un cas d’épuration ethnique. C’est du moins la position que soutiennent plusieurs acteurs de la scène internationale. Zeid Ra’ad Al-Hussein, haut-commissaire de l’ONU aux droits humains, ne mâche pas ses mots (bien heureusement) en évoquant « un exemple classique de nettoyage ethnique » [7]. Tirana Hassan, d’Amnistie Internationale, lui emboîte le pas en s’exprimant ainsi : « Les preuves sont irréfutables – les forces de sécurité du Myanmar mettent le nord de l'État d'Arakan à feu et à sang dans le cadre d'une campagne ciblée visant à faire partir les Rohingyas du Myanmar. Ne vous méprenez pas : il s'agit bien de nettoyage ethnique ». Juridiquement, elle accuse le Myanmar de crimes comme l’humanité, d’attaques systématiques et d’expulsion forcée de civils [8]. Finalement, Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, parlant de nettoyage ethnique, enjoint le Myanmar à suspendre les activités militaires et la violence.


Le Conseil sécurité des Nations Unies, à l’issue d’une réunion à huis clos, exige de la Birmanie qu’elle mette fin à la « violence excessive » à l’encontre des Rohingyas et « appell[e] le gouvernement à tenir ses engagements de faciliter l’aide humanitaire dans l’État Arakan » [9].


Pour conclure, je voulais redonner la parole aux protagonistes réels de l’histoire que j’ai brodée au début de cet article parce que dans les faits, les événements sonneront peut-être toujours beaucoup plus crus que ce que l’on peut évoquer dans la fiction, mais ils seront toujours aussi infiniment et tristement vrais :


« The two cousins had already fled Myanmar. But when they returned on Tuesday to retrieve their uncle, they found scenes of devastation.

"If a village had 50 houses, more than 40 have been burned down," Mr. Enayatullah said.

"We saw rivers of blood," his cousin, Abdur Sabur, said. "There are many people dead, bodies in the roads."

The two had been "very scared to go back. But what can we do? We can't leave our relatives."

Their fears were well-founded. When they set out with their uncle on Thursday to cross the Naf River back onto Bangladeshi soil, Myanmar soldiers fired three shots at them. The bullets missed. » [10]

[1] VANDERKLIPPE, Nathan, « Rohingya left with « nothing » as soldiers lay waste to their homes », (https://beta.theglobeandmail.com/news/world/the-globe-in-bangladesh-rohingya-myanmar-homes/article36275153/?ref=http://www.theglobeandmail.com&)

[2] JONES, Aidan « Rohingyas : La Birmanie sous pression à la veille du discours de Suu Kyi », http://www.lapresse.ca/international/asie-oceanie/201709/18/01-5134230-rohingyas-la-birmanie-sous-pression-a-la-veille-du-discours-de-suu-kyi.php)

[3] Id.

[4] Amnistie internationale, « La politique de la terre brûlée favorise le nettoyage ethnique visant les Rohingyas dans l’État d’Arakan » (https://www.amnistie.ca/sinformer/communiques/international/2017/myanmar/politique-terre-brulee-favorise-nettoyage-ethnique)

[5] « Une majorité d’enfants parmi le flot de réfugiés Rohingyas au Bangladesh », (http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1055857/enfants-refugies-rohingyas-bangladesh-birmanie-mine-torture-unicef)

[6] Id.

[7] « Rohingya : le Conseil de sécurité de l’ONU dénonce une « violence excessive » de la Birmanie », (http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/09/13/rohingya-la-dirigeante-birmane-aung-san-suu-kyi-annule-un-deplacement-a-l-onu_5184782_3216.html)

[8] précit., note 4

[9] précit., note 7

[10] précit., note 1

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