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Bénédict Gauvin-Morin

L’intelligence artificielle va changer la profession d’avocat. Aussi bien s’y faire, et s’y préparer



Connaissez-vous DoNotPay?


Jusqu’à tout récemment, moi non plus. Mais pour l’instant, ce n’est pas grave. Nous y reviendrons.


Notre société est à l’aube de ce que les politiciens appellent la quatrième révolution industrielle, soit celle où les industries de services seront graduellement transformées, et la plupart des tâches actuellement réalisées par des humains rendues obsolètes. Celles-ci seront dorénavant réalisées par des ordinateurs, sur place ou dématérialisés.


L’intelligence artificielle foisonne déjà dans de nombreux domaines. C’est elle qui décide (grâce à ses mécanismes que l’on appelle « algorithmes ») ce qui apparaît sur le fil de votre réseau social préféré ou qui établit les résultats de votre dernière recherche, en fonction de dizaines de paramètres. Votre emplacement, votre historique de navigation et vos plus récents clics en représentent quelques exemples. Elle en prédit les termes avant même que vous ayez terminé d’effectuer votre recherche. C’est elle qui fixe les prix des billets d’avion. Peut-être est-ce même elle qui conduira prochainement (ou pilote déjà) votre voiture à votre place.


Plusieurs s’en réjouissent. L’Université de Montréal, grâce aux travaux de l’équipe de chercheurs menée par Yoshua Benjio, rayonne à travers le monde entier (1). Nos gouvernements, saisissant la balle au bond, et plusieurs entreprises dominantes du secteur des technologies, notamment Facebook, Microsoft et Google, pour n’en nommer quelques-unes, craignant de se faire damer le pion, investissent des centaines de millions de dollars en recherche. L’objectif ultime : développer et maîtriser « l’apprentissage profond », soit la capacité des ordinateurs à apprendre par eux-mêmes. Une fois cette capacité atteinte, nous nous trouverons au seuil de cette quatrième révolution.


Ce qui nous ramène à DoNotPay.


Ce chatbot, logiciel avec lequel un être humain clavarde, vous interroge d’abord sur votre situation spécifique (2). En l’occurrence, sur votre billet de stationnement obtenu à Londres. En fonction de vos réponses, le questionnaire variera (bref, agissant comme un autre interlocuteur). Ce programme peut ensuite rédiger votre contestation, pour vous. Vous n’aurez qu’à aller la porter directement au palais de justice. Son taux de succès, en 2016, atteint 65 % (3), alors qu’il ne serait que de 39 % globalement (4). Son prix ? Gratuit pour l’instant, mais sûrement beaucoup moins cher qu’engager un avocat en chair et en os à l’avenir, quoiqu’un bon vieux dicton dit que, quand ça ne coûte rien, c’est peut-être l’utilisateur, le produit.


Cet algorithme apprend graduellement de lui-même. En intégrant les verdicts de la Cour aux dossiers qu’il a préparés, il s’améliore. Il s’affine. Et bien qu’il ait encore actuellement besoin d’assistance humaine, l’horizon au point duquel il pourra s’en passer, et où son taux de succès frôlerait les 100 %, ne paraît plus si lointain. Stare decisis pour tout le monde, après tout.


Cette jeune pousse (5) et ses comparses risquent de faire fermer des milliers de bureaux d’avocats dont le pain et le beurre demeure la contestation d’amendes. Ou, du moins, elle affectera grandement ceux qui n’auront pas su s’adapter à temps.


En fait, non seulement de ces billets de stationnement. Pas plus tard qu’en juillet dernier, le robot traitait déjà, dans les 50 états américains (6), plus de 1000 problématiques juridiques simples et routinières différentes, de l’incorporation d’une entreprise à la demande de congés de maternité. Ce n’est qu’un début; en suivant la courbe à l’aide de notre doigt, il y a lieu de croire que l’ensemble des tâches dites « cléricales » dans le monde extrajudiciaire sera voué à disparaître prochainement. Terminées, donc, les vérifications diligentes facturées à 600 $ de l’heure réalisées par des étudiants en droit ou de jeunes avocats. Ou encore, imaginons un chatbot qui, après avoir obtenu réponse à quelques questions, élaborera pour nous un contrat de mariage sur mesure, signé par un notaire « humain », tant que la loi l’impose. Moyennant des frais, disons, 80 % moins dispendieux.


Les avantages pour le citoyen seront nombreux, et inestimables : baisse drastique du coût de l’accès à la justice, standardisation de la qualité globale de la pratique, et réduction de l’engorgement des tribunaux (si l’ordinateur vous prédit 90 % de chances de défaite en cour, il y a lieu de croire que la tentation d’intenter diminuera grandement). Ainsi, certains processus de règlements des conflits pourraient être entièrement informatisés, le logiciel étant un médiateur qui comprend l’ensemble des éléments au dossier et qui guide les parties vers une solution acceptable pour tous. Et plus la machine traitera de cas, meilleure elle deviendra. La Presse en réalisait d’ailleurs un intéressant portrait cet été (7).


Pour les futurs et jeunes avocats qui refusent de regarder au loin, par contre, l’horizon apparaît plus assombri. Bien qu’il reste toujours de la place pour les plaideurs, et pour les rencontres en face à face dans certains contextes, une grande proportion des tâches qu’ils et elles accomplissent actuellement seront automatisées, et de plus en plus personnalisées (8). La recherche juridique, par exemple, pourrait être réalisée par un logiciel de A à Z, et non plus par un maître junior ou un stagiaire. Il en va de même pour la rédaction de contrat, voire d’une procédure de base. Et caetera.


Ross le fait déjà aux États-Unis. Algorithme alimenté par le superordinateur Watson conçu par IBM, ce « robot » peut prédire l’issue d’un procès en fonction de la jurisprudence ingérée, réaliser de la recherche juridique, et même réaliser des plans de plaidoirie dans certains domaines. Il peut lire des contrats, en comprendre les clauses et ressortir celles qui pourraient poser problème. Il peut en rédiger d’autres en fonction de vos besoins. Et surtout, Watson, à l’aide de l’armée de programmeurs qui l’articulent à l’image des marionnettes géantes qui ont déambulé dans les rues de notre ville cet été, peut apprendre de ses erreurs (9).


Or, le Barreau du Québec précise que l’arrivée de l’intelligence artificielle dans le monde juridique pas une mauvaise chose en soi (10). Après tout, actuellement, 80 % des Québécois affirment ne pas pouvoir se payer un avocat (11). À ce propos, le bâtonnier, sur sa page Facebook, écrivait d’ailleurs récemment : « [N]ous devrions nous demander combien y investir pour nous assurer sa meilleure démocratisation, et qu’elle ne soit pas que l’apanage de ceux qui en ont les moyens. Pour qu’elle devienne la réelle solution à une justice de qualité pour tous. » (12)

Par contre, une chose reste sûre : nous ne serons pas juristes au même titre que, pour certains, nos parents ou nos grands-parents.


Le Québec pourrait sembler protégé par son système dualiste (civiliste et de common law) et par la faible taille de sa population, de même que par la Loi sur le Barreau qui ne permet qu’aux avocats de proposer des conseils juridiques. Or, l’évolution récente des technologies, couplée à certaines stratégies agressives de mise en marché, pourrait nous toucher plus rapidement qu’on le pense. Le Barreau lui-même se dit « ouvert à toutes les solutions » (13). Alors que notre profession dépose un pied dans la porte vers la plus grande transformation de son histoire, rester dans une phase de déni n’apparaît pas comme une voie d’avenir.


Note : les propos mentionnés dans cet article ne sauraient constituer une incitation à ne pas faire affaire avec un avocat ou un notaire dans l’éventualité où vous auriez besoin de conseils juridiques.



****


Et maintenant, on fait quoi?


En tant qu’étudiant en droit, comment se préparer à l’arrivée de l’intelligence artificielle ? Sommes-nous outillés à être de bons juristes dans ce monde en constante transformation ?


Pour certains, poser la question, c’est y répondre. Apportons quand même une tentative de réflexion.


Avec la disparition des tâches cléricales, les juristes de demain devront offrir une valeur ajoutée à leurs conseils juridiques. Cela peut s’articuler de mille façons possibles. Non seulement l’avenir peut sembler terrifiant pour les simples tenants de la connaissance technique seule et les apôtres du déni, mais encore peut-il s’avérer riche et foisonnant d’opportunités pour ceux et celles qui seront bien outillés pour y faire face.


La connaissance du Maître devra donc être enrichie de « quelque chose » pour que celui-ci offre davantage que l’ordinateur, et demeure pertinent. Au-delà du débat philosophique entourant la tangibilité de cette connaissance, ce sera à nous, individuellement ou au sein des différentes études, de trouver cet atout qui nous démarquera.


Or, notre programme nous outille peu à cet avenir, à moins que vous ne tombiez sur les quelques professeurs qui tentent déjà d’ajouter des amendements à leur plan de cours pour nous amener à comprendre, à questionner, à communiquer, etc.


Parce qu’en effet, en plus de manier les savoirs essentiels pour devenir d’excellents juristes, nous devrons détenir les bonnes compétences. L’ère où l’esprit critique de l’ordinateur sera davantage écouté ou valorisé que celui de notre cerveau semble encore lointain. Bien que la recherche dans le deep learning reste foisonnante, la réflexion demeurera l’atout principal de l’être humain, laquelle pourra être enrichie par l’apport d’information de la machine.


Voilà la solution proposée, au lieu de voir le logiciel comme un adversaire et un « tueur d’emplois ». Il faut cesser de le considérer comme un complément à notre travail, mais plutôt nous considérer comme complément à son travail.


Sans cette capacité, pour sortir le cliché, à penser au-delà de la boîte programmée, sans esprit critique face au dur labeur de l’ordinateur, sans d’excellentes aptitudes interpersonnelles (une compréhension de principes d’intelligence émotionnelle, par exemple), ou sans cette aptitude à intégrer les éléments de différents champs de connaissance en une même œuvre, nous n’irons pas très loin. Les conseils qu’offriront les avocats ne pourront plus se concentrer seulement sur l’aspect juridique de la problématique soulevée, mais devront présenter une réponse globale aux situations vécues par le client.


Parce qu’adopter le réflexe de promouvoir davantage de spécialisation ou de personnalisation ne ferait que repousser l’inévitable. Les ordinateurs finiront par apprendre davantage d’informations que nous, et ils sauront mieux cibler les besoins des justiciables.


Voilà beaucoup de questions sur la table. Ça tombe bien, la faculté est actuellement en plein processus de réflexion quant à la réforme de son programme de baccalauréat.



*****


L’Intelligence artificielle, qu’est-ce ?


Apprentissage profond, chatbot, algorithmes, et j’en passe. Les termes entourant ce domaine pleuvent, et certains, galvaudés, sont lancés dans les airs dans tous les contextes. Qu’en est-il, réellement ?


D’abord, et cela pourrait sembler évident, il ne faut pas confondre l’intelligence artificielle avec l’informatisation. La numérisation des éléments de preuve au tribunal, ou la dématérialisation de la salle de Cour à l’aide de la vidéoconférence, par exemple, ne constituent pas des démonstrations d’intelligence artificielle. Ni la présentation sur support informatique des bases de données jurisprudentielles. Tout cela ne témoigne que de l’arrivée tardive des années 2000.


C’est bien plus que la reconnaissance de texte, aussi. Le logiciel doté d’intelligence artificielle comprend ce texte.


Alors que l’apprentissage profond (« deep learning ») constitue la capacité des ordinateurs à apprendre par eux-mêmes, l’algorithme est plutôt une suite d’opérations qui permet d’arriver à un résultat fini. Ces deux concepts alimentent le chatbot, un logiciel qui peut communiquer avec un être humain, maîtrisant les subtilités du langage et les différents niveaux sens des mots en fonction du contexte.


On entend aussi parler du blockchain, concept davantage exploité dans le domaine des cryptomonnaies, soit un registre qui présente l’ensemble des opérations complétées par des utilisateurs et en assure l’authenticité. Cette technologie permet ainsi de certifier la validité d’une transaction.


Un recensement réalisé par la Faculté de droit de l’Université Stanford dénombrait 728 compagnies qui œuvrent dans un secteur ou un autre de l’intelligence artificielle dans le monde juridique. Celui-ci est consigné sur la base de données Techindex (14).




1)À la tête du Laboratoire informatique des systèmes adaptatifs (MILA), dans le département d’informatique et de recherche opérationnelle

2) Pas encore en fonction au Canada au moment de mettre sous presse.

3) https://www.theguardian.com/technology/2016/jun/28/chatbot-ai-lawyer-donotpay-parking-tickets-london-new-york

4) http://www.telegraph.co.uk/finance/personalfinance/money-saving-tips/11158641/How-to-successfully-appeal-a-parking-ticket.html

5) Starup

6) https://techcrunch.com/2017/07/12/donotpay-launches-1000-new-bots-to-help-you-with-your-legal-problems/

7) http://plus.lapresse.ca/screens/2251e4e5-f703-4abc-bb17-8b5f1e3be1e5%7CivphQhHsMyco.html

8) Vous doutez de la capacité des programmes informatiques à offrir des services personnalisés ? Votre fil Facebook risque de vous démontrer le contraire.

9) Pour plus d’informations sur les services juridiques offerts par Watson : https://www.ibm.com/blogs/watson/2016/01/ross-and-watson-tackle-the-law/

10) BROUSSEAU-POULIOT, Vincent : « Accès à la justice : les robots de l’espoir », dans La Presse +, 29 juillet 2017, section Affaires, écran 4

11) Idem

12) Pour la citation complète : https://www.facebook.com/paulie.grondin/posts/1444217768995743

13) Citation tirée de BROUSSEAU-POULIOT, Vincent : « Accès à la justice : les robots de l’espoir », dans La Presse +, 29 juillet 2017, section Affaires, écran 4

14) https://techindex.law.stanford.edu/

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