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Corinne Baillargeon

Plaidoyer pour les référendums – contrer le déficit démocratique


« La démocratie exige qu’on se soumette au peuple et à son rythme, tout en travaillant à faire progresser la conscience collective » - Roméo Bouchard (1)

Il peut sembler curieux de parler de déficit démocratique alors qu’il y a tout juste une semaine, nous étions en période électorale. Cependant, il est nécessaire de se rappeler que la démocratie ne se résume pas à un vote tous les quatre ans. Il nous faut pouvoir exercer celle-ci en dehors d’un simple vote pour élire un représentant. Si l’on veut se targuer d’avoir une démocratie en santé, il faut pouvoir disposer d’autres plateformes démocratiques et dépasser la simple démocratie représentative. Il faut augmenter les espaces de démocratie directe qui font cruellement défaut aux démocraties québécoise et canadienne. L’abolition des référendums municipaux sur les questions d’aménagement vient restreindre davantage notre pouvoir démocratique et les Québécoises[i] se retrouvent plus que jamais en déficit démocratique. En effet, l’abolition d’un tel outil démocratique réduit l’espace démocratique où le citoyen peut s’exprimer et donne davantage de pouvoirs aux élues sans augmenter leur imputabilité.


On retrouve cette abolition dans le projet de loi 122, sanctionné en juin 2017. La seconde partie, qui modifie la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, se lit comme suit :


80.2. Lorsque la politique de participation publique de la municipalité respecte les exigences du règlement pris en vertu de l’article 80.3, aucun acte adopté par le conseil de celle-ci en vertu de la présente loi n’est susceptible d’approbation référendaire. (2)


La loi modifie également la Charte de la ville de Montréal :


89.1.2 Le conseil de la ville adopte, pour l’ensemble de son territoire, la politique de participation publique prévue à l’article 80.1 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.


Lorsque la politique de participation publique de la ville respecte les exigences du règlement pris en vertu de l’article 80.3 de cette loi, aucun acte de la ville adopté en vertu de cette loi n’est susceptible d’approbation référendaire. (3)


Il est important de noter que le règlement ministériel sur la participation publique se fait toujours attendre, ce qui ouvre la porte, en l’absence de ce cadre réglementaire, à des politiques de participation publique de façade. Le règlement, lorsqu’adopté, devra viser des objectifs décrits dans la loi tels la transparence, l’accès à l’information ou encore la participation citoyenne (4). Personne n’est contre la vertu et un gouvernement ne viendra certainement pas prétendre à d’autres buts dans sa loi puisqu’il milite pour une participation citoyenne (qui ne le désire pas?). Cependant, une simple consultation ne peut ni ne doit remplacer les référendums puisqu’ils n’ont pas le même poids démocratique.


Les référendums permettent d’augmenter les espaces de démocratie directe et sont une mesure qui se combine merveilleusement bien avec une démocratie représentative. Celle-ci est nécessaire puisque tout un chacun ne peut s’occuper de gérer et de légiférer sur les affaires d’État en plus de cumuler un emploi. Il faut donc élire des personnes qui s’en occupent quotidiennement, qui sont dévouées à cette tâche et qui désirent représenter leurs concitoyennes. Cependant, on ne peut se contenter d’élire des représentantes aux quatre ans pour espérer vivre dans une véritable démocratie. Un système uniquement axé sur la représentation amène un désengagement citoyen dans le processus démocratique et laisse toute la place à une élite dirigeante pour gouverner et faire ce qu’elle veut (les dernières centaines d’années regorgent d’exemples en ce sens).


De plus, j’ai la prétention de croire que les référendums municipaux, ainsi que la multiplication des espaces où les citoyens peuvent s’exprimer sur différents enjeux qui les touchent, augmenteraient l’intérêt des gens envers la politique municipale (qui n’est pas très élevé si on se réfère au maigre taux de participation de 42,46% à l’élection montréalaise, ainsi qu’au guère plus reluisant 50,7% à Québec) (5). Lorsque l’on sait que l’on peut avoir un impact réel sur les décisions, que nous disposons du vrai pouvoir décisionnel, le sentiment d’appartenance des gens ainsi que leur désir de s’impliquer activement dans leurs débats municipaux s’en trouvent augmentés.


Nombreuses sont les personnes qui se sont réjouies de cette abolition puisque cela permet d’être plus « efficace » dans l’adoption de projets, certaines soutenant que de telles procédures alourdissent le processus au point de mener à une quasi-paralysie de certains domaines. Pourtant, référendum ne rime pas nécessairement avec retard ou paralysie. Ainsi l’expose Roméo Bouchard : « Quand ces consultations sont encadrées de façon à assurer une information équitable et le respect des lois, elles ne favorisent ni l’anarchie ni la paralysie » (6). Évidemment, un processus référendaire peut prendre un peu plus de temps qu’une simple consultation, qui n’est nullement contraignante pour les élues. Cependant, personne n’a dit que la démocratie était facile.


Les apôtres des gouvernements de l’efficacité se sont fait une joie d’abolir les référendums municipaux. Dans un article du Devoir de juin 2017, on peut apercevoir l’idée que se fait le gouvernement des référendums. M. Coiteux, ministre aux Affaires municipales, y va en effet de cette déclaration : « Actuellement, on a un système qui est basé sur la possibilité de s’opposer à des projets. On n’incite pas une participation des citoyens pour dire "comment pourrait-on avoir le meilleur projet au service de notre communauté?" Non. On mobilise les opposants. » (7) Visiblement, M. Coiteux semble trouver que l’opposition à un projet est une problématique qu’il faut réussir à contourner et que rien dans cette opposition n’est susceptible de susciter la participation citoyenne. En fait, à la lecture de cette citation, on pourrait croire que M. Coiteux ne juge pas que l’opposition soit une participation citoyenne valable, ce qui est grandement problématique. Cette vision des référendums que partagent les différents gouvernements est inquiétante, car en essayant d’évacuer toute opposition, c’est l’essence-même de la démocratie que l’on remet en question. En effet, une opposition est une invitation à la discussion, à voir différemment et à remettre en question les idées reçues.


Les référendums ont donc pour effet principal d’augmenter la légitimité démocratique prise par les élues (ou alors de rejeter celle-ci) et permettent d’augmenter l’acceptabilité sociale des projets. Les référendums municipaux sont ainsi une invitation à se réapproprier notre ville et notre démocratie.


Bref, l’abolition des référendums est symptomatique de quelque chose de beaucoup plus profond et en dit beaucoup sur l’état de la démocratie québécoise. Lorsque l’on élève l’efficacité en dogme, on perd un peu la démocratie en chemin. Il est temps que l’on s’en préoccupe vraiment pour que la gouvernance cesse de l’emporter sur la démocratie.


N.B : Je tiens à mentionner que l’écriture de cet article a débuté avant l’élection de Valérie Plante. Celle-ci s’est engagée lors de la campagne électorale à ramener les référendums municipaux. Cependant, leur abolition découlant d’une loi provinciale, il est probable que leur rétablissement ne se concrétisera pas prochainement. Au moins, j’ai espoir que notre mairesse trouvera une autre façon de redonner un pouvoir aux citoyens et que celle-ci ne sera pas autant obnubilée par l’efficacité que l’était notre ancien maire. De plus, l’enjeu démocratique dépasse largement la politique municipale montréalaise et si, à Montréal, nous avons une mairesse progressiste, qui s’intéresse réellement aux avis des citoyennes et à leurs préoccupations, toutes les municipalités au Québec ne peuvent en dire autant.


(i) : Le texte est écrit au féminin en réponse à l’Académie française qui voit dans la féminisation un péril à la langue française. Il est également utilisé pour souligner la victoire de la première mairesse de Montréal. Le féminin inclut le masculin.

Sources :

(1) BOUCHARD, Roméo (2014). Constituer le Québec. Montréal, Atelier 10.

(2) Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs, projet de loi no122 (sanctionné le 16 juin 2017), 1ère sess., 41e légis. (Qc)

(3) Ibid.

(4) Ibid.

(5) La Presse Canadienne. «Le taux de participation de l'élection municipale plus élevé à Québec qu'à Montréal». Huffington Post, 6 novembre 2017 http://quebec.huffingtonpost.ca/2017/11/06/le-taux-de-participation-de-lelection-municipale-plus-eleve-a-quebec-qua-montreal_a_23268435/

(6) BOUCHARD, Roméo (2014). Constituer le Québec. Montréal, Atelier 10, p.65

(7) Lévesque, Lia. «Référendums municipaux: le projet de loi finalement adopté». Le Devoir, 16 juin 2017 http://www.ledevoir.com/politique/quebec/501458/referendums-municipaux-le-projet-de-loi-finalement-adopte

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