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Laurent Rioux-Boivin

Don't make ALENA wicked again


« If you're totally illiterate and living on one dollar a day, the benefits of globalization never come to you », c’est ce qu’affirme avec une certaine clairvoyance le 39e président des États-Unis, Jimmy Carter.

Force est de le constater, la mondialisation n’a rien amené de bon, du moins dans sa forme. Tout ce qu’a promis celle-ci, avec sa dégaine de sauveur et de rempart à la « pauvreté » du tiers-monde, n’a fait que creuser un fossé abyssal et créer une dépendance des plus malsaines entre les différents acteurs mondiaux. Volatilité des investissements, ouverture des marchés et dérèglementation, investissements colossaux basés sur de la spéculation, compétition déloyale entre les pays opulents et les moins nantis, extractivisme effréné; tous ces éléments, corrélés de proche ou de loin avec la mondialisation post-industrielle, sont les causes de ce que l’on peut relater comme une organisation politico-économique mondiale inégale, bancale et désastreuse pour l’environnement. Malgré plusieurs élans isolationnistes marqués en Europe et dans le pays de l’« Oncle Sam », la mondialisation et son évolution sont toujours d’actualité. La montée en puissance de la Chine et de l’Inde, la fécondité des marchés d’Asie du Sud-Est et l’adoption provisoire de l’Accord économique et commercial global (AECG) sont des éléments qui peuvent marquer la mondialisation d’un souffle nouveau. Plus proche de nous, la renégociation de l’ALENA est aussi une mise à jour pertinente au débat de l’« internationalisation »; son étude permet d’ailleurs de constater les entorses regrettables de ce courant politique mondial, mais aussi de l’imprégner d’un renouveau modelé aux enjeux mondiaux et à la justice internationale.


Les vues sur ce traité de libre-échange sont mitigées. D’une part, on affirme sans l’ombre d’un doute la déferlante retombée de bénéfices, allant même jusqu’à qualifier ces lucres d’« abondance ». Journalistes, économistes et hommes politiques ne se gênent pas dans les propos allant dans cette volée, et ce, autant pour le Canada, les U.S.A et le Mexique. « In 2016, Canada and Mexico imported goods and services worth 583 billion from the U.S. » [1] relate Nathaniel P. Flannery du magazine Forbes. Dans l’autre sens, les exportations canadiennes et mexicaines font plus que le triple comparativement à ce qu’elles étaient avant 1994, soit la date d’entrée en vigueur du traité. Les exportations mexicaines vers les États-Unis frôlent les 200 milliards de dollars, environ 80 % de l’intégralité de ses ventes à l’étranger. Eric Farnsworth, vice-président du Concil of the Americas and Americans Society, de rajouter « NAFTA has succeeded dramatically in what it was designed to do: increase trade and investment among the United States, Canada and Mexico. »[2] Mais le revers de la médaille est aussi facile à contempler, surtout pour le troisième joueur du sud…


Il y a donc un perdant dans ce « développement sans précédent ». Le Mexique est touché de toute part. Sa production agricole est déficitaire de 2 148 millions de dollars, alors qu’elle était de + 581 millions avant 1994. La relation import-export entre les Nordiques et ce pays latin est disparate. En effet, 74 % des importations mexicaines proviennent des États-Unis et 89% des exportations vont vers ce pays; le Mexique est dépendant des États-Unis. Ces deux torgnoles corrèlent avec une autre : une population de plus en plus pauvre et démunie face à des compétiteurs captieux et déloyaux. Ces éléments mènent de proche ou de loin à une nette recrudescence de la consolidation « humaine » des droits et des normes du travail.


L’agriculture au Mexique compte pour 3 % de son PIB, et n’emploie pas moins que 17% de sa population active. C’est une industrie colossale pour le pays, et elle était bien plus considérable avant l’entrée en vigueur de cette paréidolie qu’est l’ALENA. Mais l’industrie américaine, plus efficace, mécanisée, industrialisée et « riche », a écrasé celle de sa voisine. « L’agriculture mexicaine a perdu six millions d’emplois et des milliers d’hectares ont cessé d’être cultivés. »[3] Ce sont les mots de Federico Ovale, dirigeant de la Centrale indépendante d’ouvriers agricoles et paysans. Le Mexique était, dans un cadre agroalimentaire, en autarcie complète; ses terres arables et abondantes lui permettaient de pratiquer une économie circulaire dont les emplois étaient locaux et dont les produits bénéficiaient à la population. Le troisième du Nord est maintenant asservi à l’importation des États-Unis; il est en relation de dépendance. Son déficit commercial face aux États-Unis s’est creusé, et ces « gringos » n’aident pas. Pas moins du tiers de la population du Mexique était rurale et labourait. C’est donc ce tiers du peuple mexicain qui s’est fait drainer son emploi. L’ALENA a carrément extirpé la besogne de ces paysans. La logique du traité en est la rationnelle : celui-ci n’impose pas des règles de protection envers ce marché dont l’économie mexicaine est tributaire pour sa santé. De plus, les Américains peuvent s’adonner au « dumping » sans merci; sans l’ALENA, le Mexique serait en mesure d’imposer les quelques milliards de dollars en valeur de biens qu’ils importent des États-Unis. Mais celui-ci est foutu à une taxe étriquée d’une limite de 1,1%... L’« Oncle Sam », par ce traité, se fait un bon interprète de Tartuffe…


« Le pays de l’oiseau rampant », pour reprendre le syntagme de Pierre Macaire[4], est dans une relation d’obédience avec le géant d’Amérique; 40 % de ses besoins alimentaires en dépendent. La stabilité de sa satiété est délicate. Le mésaise guette ce pays; il doit composer avec un déficit de production alimentaire toujours croissant au détriment des États du Nord, couplé avec un prix à la consommation alimentaire qui varie selon les volontés arbitraires du marché. Or, avec un salaire variant de 1 à 6 $ dollars de l’heure, c’est un luxe que ne peuvent se permettre les Mexicains, considérant les vicissitudes du marché et leurs impacts faramineux sur un pays instable économiquement. N’omettons pas non plus les « maquiladoras », ces usines pittoresques et médiocres d’assemblages qui parsèment le pays. À la suite de l’ALENA, ce sont environ 4000 de ces manufactures qui ont éclos. Et elles aussi sont tributaires des États-Unis. Ces usines sont carrément des passoires à « cochonneries » américaines. L’assemblage de pièces et de composantes du Nord se fait dans ces taudis témoins de la délocalisation à son plus fort, pour ensuite transiger vers leur pays d’origine. Et ce, bien sûr, en composant avec des emplois de 3 à 6 $ de l’heure et « en employant des mères célibataires plus facilement exploitables. »[5] Le dicton vaut donc le mérite d’être cité : « quand les États-Unis éternuent, le Mexique se mouche »…


Résultat : un dépérissement des droits humains et l’absence d’une consolidation étatique des normes du travail. L’émergence de ces « maquiladoras » est favorisée par des emplois à faible revenu; les Nordiques n’investiraient pas autrement. En brandissant l’étendard de la santé économique, si liée au bien-être de la population, l’État mexicain excuse son désengagement d’une schématisation et d’une consolidation sérieuse de la régulation du monde ouvrier. Il ne veut pas perdre ses précieux investisseurs nordiques et, en conséquence, permet les conditions de travail que ceux-ci souhaitent. C’est un cercle vicieux. Le syndicat est une utopie naïve; faire valoir ses droits dans ce pays est un aléa périlleux. Encore faut-il que ces droits existent… Les centrales syndicales du pays sont fragiles, sans ressource, et n’ont pas le soutien d’un gouvernement faible aux antipodes de l’interventionnisme.


Les renégociations de l’ALENA offrent une perspective économique incroyable; l’évolution des marchés, l’avènement du commerce en ligne et du fameux « e-commerce » sont quelques-uns des éléments à souligner. Il y a cependant plus. L’hypocrisie de Trump, et encore plus celle d’un Trudeau qui se veut progressif à coup d’égoportraits, mais qui n’est pas capable de parler de droits humains avec Aung San Suu Kyi, doivent cesser. Les deux acteurs dominants de cette bataille diplomatique et économique devraient rayonner comme les pays riches et développés se doivent de le faire : en constatant le déséquilibre et en y remédiant. Mais bon, nous n’allons tout de même pas porter acte d’humanité envers des violeurs.



Description de l'image: Les “maquiladoras” sont des usines délocalisées principalement au Mexique, mais aussi dans beaucoup d’autres pays d’Amérique Centrale. Celles-ci emploient en grande majorité des femmes mères et célibataires, et donc vulnérables face au travail. Crédit: http://www.ipsnoticias.net/2015/03/maquilas-salvadorenas-usan-pandilleros-contra-sindicalistas/

(1) Nathaniel P. Flannery, Is Donald Trump Really Going to Destroy NAFTA?, Forbes, 12 octobre 2017.

(2) Nathaniel P. Flannery, Is Donald Trump Right About NAFTA?, Forbes, 28 août 2017.

(3) Agence France-Presse, Mexique: 5000 agriculteurs manifestent contre l’ALENA, La Presse-Affaires, 8 août 2017.

(4) Pierre Marcaire, Au pays de l’oiseau rampant, Le plein des sens, novembre 2000.

(5) Dossier développement souverain et santé en Amérique Latine, Mexique : L’ALENA, un fardeau pour les mexicains, M3M, avril 2013.


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