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Antoine D. Hendrickx

La tragédie des Afrikaners


Oh Sarie Marès

‘’ Ô Sarie Marès, belle amie d’autrefois en moi tu demeures vive

L’amour est plus fort que la vie et que les vents, qui peut arrêter son élan ?

Oui je veux revoir dans mon vieux Transvaal, ma ferme au toit de chaume’’

Voilà ce que chantait Jacobus Toerien, un Boer, en l’honneur de sa femme, Sarie Marès, lors de la Seconde Guerre des Boers. Devenu un chant iconique de la culture boer depuis près de 100 ans, il a fait le tour du monde jusqu’à devenir un chant militaire français et britannique. Mais attendez, de qui parle-t-on? Qui sont ces Boers? Et bien c’est très simple, les Boers (ça peut se prononcer « bourre » ou encore « boère ») étaient des fermiers blancs sud-africains. Littéralement, le mot afrikaans boer se traduit en français par le terme paysan. Mais attention! Ce ne sont pas de simples paysans, mais les descendants des colons néerlandais (et dans une moindre mesure de colons français et allemands) qui ont fondé l’Afrique du Sud et la ville du Cap au 17e siècle. Aujourd’hui, le terme « boer » est désuet, et on utilise le terme « Afrikaner ». Ce peuple parle l’Afrikaans, une langue dérivée du néerlandais, il est blanc et il est aujourd’hui la cible d’une vindicte de la part d’une partie des Sud-Africains.


J’ai une sympathie particulière pour ces fières gens. Je pense que cela tient à l’origine historique de ces derniers. J’aime les Afrikaners (tout particulièrement Charlize Theron), car nous provenons de la même lignée, celle des Néerlandais protestants. Je me suis toujours revendiqué Français à part entière, mais force est de constater qu’un seul coup d’œil sur mon arbre généalogique me rappelle que ma famille n’est française que depuis mes grands-parents. Ma branche française maternelle descend directement de ces Hollandais calvinistes. Même qu’un de mes ancêtres hollandais vécut un temps au comptoir du Cap, il y a bien longtemps, avant de rentrer en Europe. Et grâce à un taux de natalité d’une dizaine d’enfants par femme, la centaine de blancs dont il faisait partie, installés initialement au Cap au 17e siècle, forme maintenant un peuple de 3 millions d’âmes.

Les Voortrekkers


Littéralement « ceux qui vont de l’avant » en néerlandais, les voortrekkers furent les participants du Grand Trek. Star Trek n’a rien inventé, le véritable Trek fut fait par les Afrikaners. Pas de Capitaine Kirk ici, seulement des hommes, leurs femmes et leurs emblématiques chariots à bœufs s’enfonçant dans l’hinterland sud-africain. Le Trek fut la grande migration d’une large partie des Afrikaners vers l’intérieur des terres de la future Afrique du Sud. Cependant, s’ils étaient tranquilles au Cap, pourquoi durent-ils migrer? Pour faire court, la Grande-Bretagne a saisi la colonie du Cap durant les Guerres napoléoniennes et l’a annexée. Des Afrikaners férus de liberté et ne voulant pas vivre sous domination britannique décidèrent de prendre leurs affaires et d’aller se fonder un nouveau pays. Alors, entre 1835 et 1852, ils partirent par milliers à la recherche de leur terre promise. Ils avaient une haute opinion d’eux-mêmes et se considéraient comme le nouveau peuple élu quittant l’Égypte vers leur Israël. Il faut dire qu’ils étaient ultra-rigoristes et ne juraient que par la Bible. De plus, étant calvinistes, ils croyaient à la prédestination et à leur destin divin. C’est donc le fusil à la main, la Bible au cœur et le cœur au ventre qu’ils partirent vers les vastes plaines du Nord-Ouest.


Après une série de péripéties digne des plus grandes sagas d’aventures (qui serait bien trop longue à expliquer), des trahisons et des batailles sanglantes, nos Afrikaners établiront finalement deux républiques indépendantes. Celle de l’État libre d’Orange et celle du Transvaal. Puis, ils vécurent heureux jusqu’à la fin des temps et eurent beaucoup d’enfants… ou pas. C’était sans compter l’impérialisme britannique qui provoqua deux guerres contre les Boers (1880-1881 et 1899-1902), notamment pour la possession des mines de diamants du Transvaal. Encore une fois, il serait long et fastidieux de relater ces deux conflits, mais disons que les Britanniques se sont fait battre par une bande de paysans lors du premier et qu’ils ont utilisé des camps de concentration civils pour gagner le second. Conclusion de l’histoire, les Afrikaners se retrouvent une fois de plus sous domination britannique. Mais bon, la domination britannique sera relativement courte ; après le Statut de Westminster, les Afrikaners reprendront les rênes de l’État jusqu’en 1994. Ce qu’il faut retenir, c’est que le peuple afrikaner rigoriste et épris de liberté n’a jamais perdu sa fierté et son attachement pour sa terre d’Afrique du Sud.


Pour dire un mot sur les populations noires d’Afrique australe de l’époque, elles restèrent à l’arrière-scène durant une bonne période de temps. Au contraire de la Nouvelle-France, les Afrikaners n’eurent pas vraiment besoin de leur concours pour survivre en Afrique australe depuis le 17e siècle. Il y eut bien des affrontements lors du Trek entre Afrikaners et différentes ethnies noires, dont les puissants Zoulous, mais en général blancs et noirs vivaient à bonne distance les uns des autres. Précisons néanmoins que les noirs n’étaient absolument pas unifiés, qu’ils se divisaient en une multitude d’ethnies et de tribus se faisant sans cesse la guerre (ces problèmes ethniques sont toujours d’actualité en Afrique du Sud). Cela fit que les Afrikaners n’eurent jamais en face d’eux un peuple noir unifié, mais plutôt une multitude de tribus. C’est dans ce contexte que les Afrikaners s’établirent et fondèrent Johannesburg au 19e siècle. Les noirs eurent aussi un certain rôle militaire lors des guerres boers. Certaines tribus prirent les armes pour les Boers et d’autres pour les Britanniques. Bref, il y aurait un tas d’autres choses à dire sur ces peuples, mais, hélas, ça prendrait un véritable livre plutôt qu’un article.


Ce pays qu’on abat


Qu’en est-il aujourd’hui des Afrikaners? Depuis la fin de l’apartheid et l’élection de Nelson Mandela, les Afrikaners se sont faits petits. Je peux les comprendre. Le régime d’apartheid, la répression policière et les morts des émeutes des bantoustans ne sont pas source de fierté pour les Afrikaners. L’identité afrikaner en a même pris un coup presque fatal. Si le fait d’être Afrikaner était intrinsèquement relié à l’apartheid, alors l’Afrikaner était un être mauvais par sa nature. Heureusement, l’identité afrikaner est en pleine reconstitution, épurée des mauvais souvenirs de l’apartheid et focalisée sur l’image mythique du Boer luttant contre les Britanniques pour sa terre et pour sa liberté. Cependant, la question de la place des Afrikaners en Afrique du Sud demeure toujours. Nelson Mandela fut incontestablement le plus grand symbole que l’Afrique ait connu. Combien d’hommes auraient pu, après 27 ans de détention, serrer la main de ceux-là mêmes qui l’ont mis en prison? Très peu selon moi. Mais derrière le symbole extraordinaire de la réconciliation de Mandela se cache une sombre réalité; l’Afrique du Sud est un pays économiquement failli et gangrené par toute une gamme de problèmes raciaux. Nelson Mandela, en voulant lutter, avec l’intention la plus bienveillante, contre les inégalités économiques, a conduit à l’expatriation de quelque 800 000 jeunes sud-africains blancs qualifiés (Afrikaners ou Britanniques) entre 1995 et 2005. Les inégalités économiques n’ont presque pas reculé, le coefficient de Gini de l’Afrique du Sud restant l’un des plus hauts du monde, à 63,8 en 2011 (source : Quandi). Le chômage a explosé dans les dernières années (26,6%), le taux de criminalité est énorme (31,8 en 2013 selon l’UNODC) et 7 millions de Sud-Africains ont le VIH (source : ONUSIDA). Ce n’est pas avec Jacob Zuma au pouvoir que la situation changera. Le président, ouvertement polygame, est au cœur de multiples scandales de corruption, d’agressions sexuelles et de détournement de fonds.


Aujourd’hui plus que jamais, le pays est divisé. Jacob Zuma privilégie exclusivement la cause noire, celle qui l’a fait élire, et ne s’occupe qu’à peine des blancs afrikaners ou britanniques. Depuis 2009, il y a eu une purge au sein de la société sud-africaine. On a licencié des employés blancs pour les remplacer par des employés noirs qui n’ont souvent pas la formation requise pour les travaux en question. Les blancs qui sont toujours plus nombreux à être victimes de crimes et d’agressions à caractère raciste ne sont pas écoutés par les autorités. Évidemment, Zuma n’en a que faire des blancs, puisqu’ils ne votent pas pour lui et ne représentent que 10% de la population. Et je ne parle même pas ici de la haine ancestrale entre ethnies noires subsistantes qui perdure ou de la violente xénophobie envers les Nigérians et d’autres.


Au final, je pense que les Afrikaners seront confrontés à un dilemme. Rester en Afrique du Sud, la terre où leurs aïeux ont grandi et pour laquelle certains sont morts, ou partir vers l’Europe ou l’Amérique en quête d’un climat politique plus clément. Mais cet exode entraînerait aussi la perte de leur identité, car un Afrikaner n’est pas afrikaner s’il n’est pas africain. C’est d’une tristesse que ce peuple fier soit aujourd’hui dans cette déplorable situation. C’en est tragique.

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