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Sofia Panaccio

Personne n'a de bouton nucléaire



Pour commencer l’année en beauté, Kim Jong-un a précisé dans son traditionnel discours du Nouvel An que « l'ensemble des États-Unis est à portée de [ses] armes nucléaires et [qu’il] y [avait] toujours un bouton nucléaire sur [son] bureau ». Les paroles retransmises à la télévision le 1er janvier 2018 n’ont pas tardé à se répandre. Bien entendu, le chef d’État nord-coréen a exprimé ses bons vœux dans sa langue natale, et ceux-ci ont été par la suite traduits par la chaîne de télévision américaine NBC. Or, la traduction du discours de Kim Jong-un est-elle exacte ? Que voulait réellement dire le dirigeant nord-coréen en utilisant l’expression bouton nucléaire ?


« The nuclear missile button is right there on my desk! »


Cette phrase-choc, qui a été traduite le jour même par NBC News sur Twitter, semble toutefois avoir un double sens que le président américain Donald Trump n’a pas tout à fait saisi. Selon Koh Yu-Hwan, professeur de sciences politiques à l'Université Dongguk à Séoul, en Corée de Sud, « quand [Kim Jong-un] dit que le bouton nucléaire est sur son bureau, il laisse entendre que le Nord n'a pas besoin de mener des essais nucléaires ou d'ICBM dans un avenir prévisible ». En effet, dans ce même discours public, le dirigeant de la Corée du Nord a également mentionné la possibilité d’une réconciliation, le temps des jeux Olympiques d’hiver de Pyeongchang, avec sa voisine la Corée du Sud. Kim Jong-un a précisé vouloir « tourner le dos au passé, améliorer leurs relations et mettre en place des mesures décisives pour réaliser une percée dans les efforts pour parvenir à la réunification ». Malgré le fait qu’il semblerait que l’homme d’État veuille mettre l’accent sur la paix et non la guerre nucléaire, la communauté internationale ne semble pas l’avoir interprété de la sorte.


Comme Donald Trump ne parle pas couramment le coréen, il semblerait qu’il ait été plus qu’alarmé par le message du petit homme-fusée, comme il aime si bien le surnommer. Washington n’a pas tardé à répliquer à Kim Jong-un en se livrant à une querelle enfantine. Le 3 janvier, le président américain a affirmé sur Twitter posséder un bien plus gros bouton nucléaire que celui de son confrère nord-coréen tout en précisant que le sien fonctionnait à merveille. Le tout couronné d’un gracieux point d’exclamation. Le risque d’une frappe nucléaire a semblé ainsi atteindre des sommets alors que Trump a répliqué vicieusement et que Kim Jong-un a décidé d’augmenter ses effectifs nucléaires. Or, que voulaient réellement dire ces dirigeants d’état par bouton nucléaire ?

La réalité est qu’il n’y a aucun bouton nucléaire, et que ni Kim Jong-un, ni Donald Trump n’en possèdent un. Selon Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), une institution française qui analyse les problèmes de stratégie à l’échelle internationale, « dans aucun pays disposant d'arme nucléaire l'engagement des forces ne se fait sous la forme d'un bouton que l'on presse ». Aux États-Unis, le système permettant de déclencher l’utilisation d’armes nucléaires se présente sous la forme d’une mallette, qui est communément surnommée « football ». Afin d’actionner cette mallette nucléaire, Trump devrait d’abord contacter le centre d’opérations du Pentagone afin de leur communiquer des codes de sécurité permettant d’identifier précisément les ordres qu’il va leur donner. Ensuite, il devra énumérer d’autres codes d’identification propres au type d’actions qu’il souhaite exécuter et passer au travers de plusieurs mécanismes de contrôle permettant de vérifier que l’ordre provient bel et bien de lui. La plupart de ces codes sont inscrits sur une petite carte surnommée « biscuit » ou « cookie » que le président américain a sur lui en permanence.


Ainsi, lorsque Kim Jong-un fait référence à son fameux bouton nucléaire, il veut simplement affirmer que lui aussi, tout comme son homologue américain, a la possibilité de commander une attaque nucléaire en tout temps. N’a-t-il donc pas été tout simplement mal compris par les traducteurs de NBC News ? À cet égard, il semblerait que plusieurs problèmes d’interprétation et de traduction ont sévi entre les États-Unis et la Corée du Nord ces dernières années. Habituellement, les paroles et écrits de Kim Jong-un sont traduits par sa propre agence officielle de traduction nord-coréenne. Or, en septembre 2017, les dictionnaires anglais de cette agence ne semblaient toujours pas à jour. Cette dernière a utilisé d’une manière inusitée le terme neukdari ; une insulte, destinée à Donald Trump, tirée de l’anglais qu’utilisait Shakespeare. Kim Jong-un aurait ainsi qualifié Trump de « mentally deranged U.S. dotard ». Or, "dotard" est une expression de vieil anglais signifiant une personne sénile ou radoteuse, expression qui n’est plus couramment utilisée aux États-Unis. Ce problème de traduction a quelque peu miné l’intensité de l’insulte de M. Kim Jong-un. Par ailleurs, la journaliste spécialiste en dossiers nord-coréens Jean H. Lee, qui a visité les locaux de l’agence officielle de traduction de Pyongyang, a affirmé que de très vieux dictionnaires coréen-anglais y étaient utilisés.


Kim Jong-un n’est toutefois pas le seul à avoir rencontré quelques difficultés de langage ces derniers mois. Le président Trump a lui aussi été au cœur d’un scandale de traduction tout récemment. La semaine dernière, Trump a qualifié les pays les plus démunis du globe de « shithole countries ». Ce terme très coloré a posé problème aux traducteurs désireux de vouloir rendre le plus fidèlement ces paroles sans pour autant choquer l’ensemble de la communauté internationale. Ainsi, en tentant de rapporter le plus justement possible ses dires, les traducteurs du monde entier ont opté pour plusieurs alternatives comme « pays de chiottes », « pays arriéré », « trou à merde », « trou sale », « cul du monde », et ainsi de suite. En France, par exemple, ces termes ont été traduits comme « pays de merde » et « trous paumés ». Et Taiwan, quant à elle, a décidé d’interpréter les propos de Trump à l’égard de certains pays du tiers-monde comme des « pays où les oiseaux ne pondent pas d'œufs ».


Les traductions de déclarations choquantes engendrent souvent la discorde entre les dirigeants les plus puissants de ce monde, puisque certaines expressions originales sont maladroitement interprétées par ceux-ci. Le discours du Nouvel An de Kim Jong-un, faisant l’éloge de ses capacités nucléaires et de son pouvoir en tant que chef d’État, en est d’ailleurs un bon exemple ; sortir de leur contexte certains mots particuliers peut, en effet, mener à une joute d’injures. Bouton nucléaire ou pas, les tensions entre la Corée du Nord et les États-Unis continuent d’être palpables, et cette saga d’insultes entre les têtes dirigeantes de ces pays reste donc à suivre.


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