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Charles-Étienne Ostiguy

RDS, ou comment les sports ont modifié la politique



« Icitte au Québec y fait pas froid, y fait frette. C’est d’même parce que c’est d’même, pis c’est ben correct ». Je suis désolé d’avoir enclenché un automatisme chez certains qui se sentiront presque obligés de compléter ces quelques barres de Loco Locass. Moi-même et plusieurs autres jeunes ayant vécu la fièvre des séries de 2010, menée par Mike Cammalleri et Jaroslav Halak, avons religieusement appris les paroles de cette chanson à la gloire d’une équipe centenaire omniprésente, et presque omnipotente, dans le paysage culturel québécois. La ville est hockey, dit-on si régulièrement.


Nul ne serait donc surpris d’apprendre que, selon la firme Influence Communications, les sports étaient le sujet le plus médiatisé au Québec en 2017, composant plus de 17% de tout le flot médiatique de la province [1]. L’importance indéniable du sport au Québec influe clairement sur la culture de la province, qui orne régulièrement son patrimoine culturel d’une petite touche hockey. Néanmoins, est-ce que cette couverture médiatique imposante a des répercussions qui vont bien au-delà des sports ? En cette période préélectorale, on pourrait se demander si les médias s’inspirent des succès du hockey pour médiatiser la politique.


D’office, on peut observer la politisation du sport dans le monde entier. Que ce soit le mouvement de protestation lancé par Colin Kaepernick dans la NFL ou encore l’utilisation d’effigies nationalistes dans les Balkans lors de matchs de qualifications de l’UEFA [2], on ne peut faire fi de l’importance politique que le sport peut avoir. Même au Québec, certains attribuent le début de la Révolution tranquille à l’affaire Richard-Campbell, cet événement sportif devenu émeute massive aux portes du Forum à la suite de la suspension, jugée arbitraire par plusieurs Canadiens français, de Maurice Richard. C’était la première véritable manifestation de colère démontrée par la population dite « docile » de Canadiens français qui voyait, à son avis, son idole être victime d’une décision discriminatoire [3]. Pour des historiens, cet épisode constituait la genèse de la Révolution tranquille.


Au-delà d’être un véhicule revendicateur pour les masses, le sport est un miroir d’idéal social incomparable à l’ère moderne. En analysant les commentaires diffusés dans les médias sur les caractéristiques qui rendaient un joueur ou une équipe plus valeureuse, des sociologues ont observé une émanation de normes sociales qui sont ancrées dans la culture populaire. On recherchera dans une équipe un sentiment d’unicité fort, mais qui peut laisser la place au plaisir et à l’ardeur du groupe [4]. Chacun sera responsable des fautes qu’il aura commises, ce qui implique une « dureté du mental » irréprochable. Ainsi, pour toute notre société, ces traits sont vus d’un très bon œil. Quand viendra le temps de choisir celui qui aura les rênes de l’État québécois, plusieurs auront tendance à rechercher en lui des similitudes aux héros sportifs qui bercent leurs soirées.


Le sport va donc influer sur la façon subconsciente par laquelle des milliers d’individus choisiront le candidat ou parti qui les représente le mieux. Toutefois, cette influence va bien plus loin. La couverture médiatique sportive étant de loin la plus consommée, elle a mené les médias de masse à réviser les modèles de diffusion des autres sujets d’actualité, comme la politique. La chaîne LCN diffuse désormais des émissions où plusieurs commentateurs sont mis nez à nez, comme le fait RDI, Ici Radio-Canada Télé ou CNN. Comptes à rebours pour le prochain débat des chefs, affrontements houleux entre analystes politiques de gauche et de droite… Toutes les tactiques utilisées pour revigorer l’attention octroyée à la politique ressemblent étrangement à celles utilisées sur des chaînes spécialisées comme RDS, TVA Sports ou ESPN dans des émissions comme Dave Morissette en Direct ou Entre 2 MatCHs. [5]


L’effet de cette uniformisation des couvertures médiatiques est sournois. D’abord, un peu comme les matchs de la saison du Canadien, les nouvelles et scandales politiques peuvent s’enchaîner, mais seront rapidement oubliés. Certes, une série de victoires ou de défaites sera vue comme une situation s’étalant sur une semaine ou plus, un peu comme l’étirement d’un scandale ou d’une crise, mais ces faits ne dépasseront pas le Bye Bye dans l’imaginaire collectif. Une fois l’année finie, on passe au prochain appel.


Notre société semble aussi ne se préoccuper que de ceux qui ont des chances de gagner. Prenons par exemple les Alouettes de Montréal. En 2010, leur percée en finale de la Coupe Grey leur valait une part de médiatisation sportive de 2,83%. En 2016, à la suite d’une saison médiocre, on leur consacrait moins de 1% du temps d’antenne sportif [6]. N’est-ce pas un peu la même chose en politique? Certes, il est bien plus pertinent de couvrir les travaux de l’Assemblée nationale, mais parfois, les candidats défaits ou potentiels, dépendamment du cycle électoral, peuvent avoir leur mot à dire et fournir des idées novatrices qui revigoreront le débat public. L’intérêt obstiné à couvrir des gagnants reflète un autre problème de notre couverture médiatique québécoise : la création d’un star-système politique.


Il fut précédemment mentionné que les médias faisaient quand même bien de porter une attention particulière aux travaux de l’Assemblée nationale. Ceci étant dit, une bonne proportion de cette couverture se focalise presque uniquement sur les visages phares des partis faisant des déclarations flasques. Rarement va-t-on vraiment examiner en profondeur les rouages d’un projet de loi, à moins que celui-ci ne provoque l’émoi collectif. Au contraire, on ne fait que projeter les visages connus du public, comme les chefs de partis ou les députés vedettes, pour nourrir la nouvelle. Fait étant, Justin Trudeau et Philippe Couillard représentaient à eux seuls un peu plus de 4% de toutes les nouvelles au Québec. Le monde sportif utilise lui aussi des mécanismes de glorification et de surmédiatisation des figures phares. En 2016, Carey Price avait une couverture médiatique tout juste supérieure à celle du maire de Montréal. Fait amusant à noter, l’obscur attaquant Kyle Okposo, alors impliqué dans une pléthore de rumeurs de transactions, se voyait décerner le 31e rang des personnalités les plus médiatisées au Québec en 2016 [7].


À cet égard, les transferts de partis politiques et les rumeurs qui entourent ces faits peuvent parfois attirer une grande attention médiatique, comme au hockey. Pensons aux transfuges Gaétan Barrette ou Dominique Anglade qui ont fait de grandes vagues médiatiques en passant au camp adverse. C’est sans parler du tsunami Aussant qui, en passant du vide au PQ, en février 2018, était omniprésent dans la presse francophone. Plus récemment, le grand saut de Vincent Marissal chez QS aura fait jaser toute la scène politique pendant trois jours.


Au final, les commentateurs politiques ressemblent étrangement à leurs collègues du Réseau des Sports, n’abordant que des questions portant sur les personnes et les échanges potentiels plutôt que sur les politiques dites concrètes. D’ailleurs, toutes ces rumeurs de candidatures se sont faufilées alors que la transaction envoyant Tomas Plekanec aux Maple Leafs se frayait un chemin dans le Top 5 des nouvelles les plus médiatisées de la semaine du 19 au 25 février [8].


Cette emphase sur les figures politiques au détriment du discours, pourtant si essentiel au bon fonctionnement de la démocratie qui lui sert d’écosystème, prédispose les électeurs à une apathie pour la politique. « C’est toujours les mêmes qui passent à la TV », peut-on régulièrement entendre de la bouche de cyniques convaincus. Ironiquement, le sport lui-même développe ce sentiment d’impuissance auprès du citoyen.


Au lieu de s’impliquer dans un domaine ayant une véritable implication sur le futur de millions d’individus, comme la politique, un monde parallèle, soit les sports, permet à quiconque le recherche de s’évader et de suppléer au besoin de mutation sociale normalement préconisée en société. Ainsi, l’équipe sportive évoluera alors que la scène politique fera du surplace. Ce même monde du sport fait réaliser à ses acteurs qu’ils n’auront jamais un plein contrôle sur la destinée de l’équipe. Le philosophe Alain Deneault fait même valoir que les élites économiques réussissent à se mettre en spectacle à l’aide de ces événements aliénants [9]. Les électeurs finissent par se complaire dans leur banalité et le peu d’impact qu’ils peuvent réellement avoir en société.


Pour tenter de rouvrir la porte aux désillusionés de la politique, les grands médias ont essentiellement eu le même réflexe que les médias sportifs, c’est-à-dire de donner un micro à des personnes ayant une opinion plus ou moins ficelée dans le cadre de lignes ouvertes. Néanmoins, plus de paroles ne mène pas à plus d’actes. Malgré la multiplication des tribunes, la réouverture tant espérée du public face à la politique ne se fait pas véritablement ressentir.


Pire encore, même si certains vont s’efforcer de se faire entendre, ils se sentiront floués par un système monolithique leur faisant la sourde oreille. Alors que les commentaires du public entourant la gestion de l’organisation du Canadien de Montréal se font de plus en plus voraces, l’organisation se rétracte et ne donne presque plus d’informations au public et même aux journalistes. Pendant ce temps, l’État s’adonne grossièrement au même exercice en tentant de faire passer un nouveau projet de loi, le PL 164, limitant l’accès à l’information dans l’appareil gouvernemental québécois [10]. N’est-il donc pas surprenant que des milliers de nos concitoyens se retrouvent désabusés à l’orée des prochaines élections ?


Les parallèles que nous pourrions tracer entre le domaine du sport et de la politique ne s’arrêtent pas là, certes. Néanmoins, les bases ont été posées. Le sport, par effet de miroir social, peut redécouper des attentes sociales envers les héros de la société se reflétant dans la joute politique. Son mode de diffusion étant si efficace qu’il sera plagié pour populariser d’autres domaines médiatiques. L’effet insidieux de cette copie sera de modifier la teneur même du discours politique, passant d’une couverture axée sur les propositions des divers partis vers une couverture centrée sur les candidats en soi. Toutefois, les similarités entre la couverture médiatique des sports et celle de la politique finiront par aliéner plusieurs citoyens, désormais persuadés que leur implication sera sans véritable effet.


Le sport a-t-il d’autres effets sur la société ? Oui, répondent certains, qui prétendent que le sport influe sur l’architecture même de certaines nations ou même sur le rapport à la religion d’une société. Peu importe la véracité de ces thèses, il est indéniable que les sports ont un impact grandiose sur la société québécoise et sa politique.


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[] Laurin-Lamothe, A. (2010). La culture se joue-t-elle ici ? Les implications de la corporation du Canadien de Montréal pour la société québécoise. Dans Le Canadien de Montréal, une légende repensée. Montréal, Québec: Les presses de l'Université de Montréal

[3] Laberge, S. (2010). L’affaire Richard / Campbell : le hockey comme vecteur de l’affirmation francophone québécoise. Dans Le Canadien de Montréal, une légende repensée. Montréal, Québec: Les presses de l'Université de Montréal

[4] Moreau N. et Nahas, C. (2010). Nous sommes Canadiens et normatifs. Dans Le Canadien de Montréal, une légende repensée. Montréal, Québec: Les presses de l'Université de Montréal

[5] https://www.youtube.com/watch?v=4pS4x8hXQ5c

[7] http://www.influencecommunication.com/sites/default/files/bilan-2016-qc.pdf

[9] Deneault, A. (2010). Du pain et des jeux. Dans Le Canadien de Montréal, une légende repensée. Montréal, Québec: Les presses de l'Université de Montréal



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