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Anonyme

Le Canada, grand défenseur des droits humains dans le monde



Le 3 août dernier, le compte Twitter tenu par le ministère canadien des Affaires mondiales a publié un tweet exprimant la grande préoccupation du Canada face à l’arrestation d’activistes militant pour les droits des femmes en Arabie saoudite. Dans ce tweet, le Canada exige des autorités saoudiennes qu’elles les remettent immédiatement en liberté, en plus de tous les autres activistes pacifiques détenus. Pour le Royaume saoudien, c’en fut trop : les actions du gouvernement canadien sont inacceptables, répréhensibles et constituent une grave atteinte à sa souveraineté. Il accuse Ottawa de tenter de s’ingérer indûment dans les affaires internes du pays.


C’est ainsi qu’au moment d’écrire ces lignes, un conflit diplomatique entre le Canada et le Royaume d’Arabie saoudite fait rage. Riyad a expulsé l’ambassadeur canadien du pays, a rappelé le sien, a entrepris de transférer les étudiants saoudiens étudiant au Canada dans des établissements d’autres pays, et a annoncé l’imposition d’une série de sanctions commerciales. En réponse, M. Trudeau ne bronche pas et assure qu’il continuera à défendre le respect des droits humains partout dans le monde, une prise de position qui lui a valu les louanges de nombreux observateurs.


Or, quiconque se penche d’un peu plus près sur les relations qu’ont entretenues les deux pays dans les dernières années ne peut que ressentir un certain malaise face à cette récente fermeté du gouvernement Trudeau sur la question des droits humains en Arabie saoudite. Il est tout à fait légitime de se réjouir du fait qu’il condamne aujourd’hui les actions d’une monarchie répressive dont les violations des droits humains sont notoires. Cependant, lorsque des intérêts commerciaux étaient en jeu, ce même gouvernement Trudeau s’est fait beaucoup plus discret face aux agissements de Riyad.


À l’été 2017, le gouvernement canadien a ainsi refusé de mettre fin à un contrat de vente de véhicules blindés à l’Arabie saoudite d’une valeur de 15 milliards de dollars, et ce malgré l’apparition sur les médias sociaux d’images montrant que des véhicules semblables étaient utilisés par l’armée saoudienne dans une campagne de répression brutale de populations civiles de la minorité chiite du pays. Suite à un rapport d’enquête qu’elle a refusé de rendre public, la ministre canadienne des Affaires mondiales s’est contentée d’affirmer qu’aucun élément de preuve ne laissait croire que des véhicules fabriqués au Canada auraient été utilisés dans le cadre de violations des droits humains [1].


Cette participation active du Canada dans l’augmentation des capacités militaires de l’Arabie saoudite est d’autant plus problématique lorsque l’on considère le conflit qui sévit actuellement au Yémen. Depuis 2015, le Royaume saoudien est à la tête d’une coalition de pays du Moyen-Orient et d’Afrique qui mène une violente campagne de bombardements aériens contre des groupes rebelles yéménites. Officiellement, cette opération vise à soutenir le gouvernement légitime reconnu « internationalement » et d’empêcher ces groupes de s’emparer du pouvoir. Or, les principales victimes de cette campagne sont d’abord et avant tout les populations civiles du pays. En date du mois d’août 2018, on estime à 16 200 le nombre de civils tués. La population est également aux prises avec une épidémie de choléra qui affecte près d’un million de personnes, dont 600 000 enfants. Une famine menace quant à elle 8 millions de personnes. Au total, c’est plus de 22 millions de Yéménites qui sont en besoin d’assistance et de protection [2]. Le Secrétaire général de l’ONU a qualifié cette situation de la « pire crise humanitaire du monde» [3].


Pire encore, les principaux acteurs impliqués dans ce conflit ne semblent accorder que peu d’importance à la protection des civils. Le 9 août dernier, une frappe aérienne de l’armée saoudienne a ainsi pris pour cible un autobus scolaire rempli d’enfants revenant d’un pique-nique. Trente d’entre eux sont morts. (Elle maintient qu’il s’agit d’une cible militaire légitime car les rebelles feraient usage d’enfants soldats). Quelques jours plus tôt, une autre frappe aérienne sur un port et un marché public a coûté la vie à 26 personnes, en plus d’endommager lourdement un hôpital. Ces exemples ne sont que les derniers d’une longue série « d’erreurs » commises par l’armée saoudienne qui ont coûté la vie à d’innombrables civils. Experts et ONG, dont Amnistie internationale, accusent d’ailleurs toutes les parties au conflit d’avoir commis de graves violations des droits humains et du droit humanitaire international, certaines pouvant même être qualifiées de crimes de guerre [4]. Il est important de le rappeler, nombre de ces atrocités sont commises par les forces armées d’un pays à qui le Canada s’est engagé à vendre 15 milliards de dollars en armes.


Jocelyn Coulon, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, résume bien la situation : « Depuis 30 ans, nous sommes extrêmement complaisants envers l’Arabie saoudite. Nous condamnons l’Iran, nous condamnons la Syrie, mais nous ne condamnons jamais les crimes ou les atrocités que les Saoudiens produisent au Yémen ou ailleurs. » [5].


C’est donc haut et fort que s’exprimait Justin Trudeau, le 8 août dernier, au sujet du conflit diplomatique opposant son gouvernement à celui du Royaume saoudien : « Les Canadiens s’attendent à ce que leur gouvernement parle clairement, fermement, mais poliment en faveur des droits humains partout dans le monde, et nous allons continuer de le faire » [6]. À la défense de M. Trudeau, il est vrai qu’il demeure à la tête de l’un des rares États occidentaux à avoir osé critiquer publiquement le gouvernement saoudien pour ses violations des droits humains. Toutefois, à la lumière de ce qui précède, une telle déclaration a de quoi nous plonger dans un profond cynisme. Comme quoi la protection des droits humains dans le monde, idée si séduisante dans les discours politiques, ne saurait primer sur la protection des intérêts économiques du Canada, et ce, peu importe le coût, en vies humaines.

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Bibliographie

  1. Radio-Canada, Blindés canadiens : Turp presse Ottawa de révéler le rapport d’enquête, 9 février 2018, [En ligne], (page consultée le 10 août 2018).

  2. Council on Foreing Relations, War in Yemen, Global War Tracker, 13 août 2018, [En ligne], (page consultée le 13 août 2018).

  3. Radio France Internationale, Guerre au Yémen ; l’ONU récolte 2 milliards de dollars d’aides d’urgence, 4 avril 2018, [En ligne], (page consultée le 10 août 2018).

  4. Amnistie internationale, Yémen. La guerre oubliée, (date omise), [En ligne], (page consultée le 10 août 2018).

  5. Radio-Canada, Sans excuses de Trudeau, L’Arabie saoudite durcit le ton et les sanctions envers le Canada, 9 août 2018, [En ligne], (page consultée le 10 août 2018).

  6. Id.

Photo de couverture: Un étudiant de l’école Aal Okab, au nord de la capitale yéménite, se tient debout parmi les ruines de l’une de ses anciennes salles de classe. (CNN)


2e photo: De la fumée s’élève suite à une frappe aérienne de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite au Yémen. (Foreign Policy) https://foreignpolicy.com/2017/06/07/saudi-arms-sale-hits-possible-senate-roadblock/


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