top of page
Cécilia Barette-Leduc et Charles-Étienne Ostiguy

L’état général du Français dans le reste du Canada

Le bilinguisme au Canada a toujours connu des hauts et des bas. Du Renvoi sur les droits linguistiques du Manitoba à l’utilisation parcellaire du français aux Jeux olympiques de Vancouver en 2010, l’état de la langue de Molière dans le reste du Canada semble précaire. Pire encore, il est difficile de dresser un portrait qui soit tout à fait arrimé à la réalité des multiples communautés francophones du Canada étant donné le peu de contenu médiatique couvrant leur quotidien. Pourquoi en est-il ainsi? Un bref tour d’horizon historique ainsi que l’avis de personnes vivant ces réalités au quotidien nous permettra de nous éclairer sur cette question.


Un lecteur perspicace aura déjà une explication fort simple à cette situation singulière: La répartition démographique des francophones favorise une concentration de la production médiatique au Québec. La maison mère de Radio-Canada se trouvant à Montréal, il est naturel que la majorité du contenu qui y soit produit soit tourné vers la réalité de la plus grande population francophone du pays, le Québec.


Cette réalité de faible représentativité médiatique des francophones hors-Québec est plutôt le fruit d’un lent processus de concentration des efforts de protection de la langue française entourant le dépôt du rapport Laurendeau-Dunton, lancé en 1963 et terminé en 1970. La tenue d’une telle commission d’enquête avait été demandée par plusieurs représentants canadiens-français, craignant que l’État canadien et l’administration publique ne puissent répondre à leurs besoins. Le rapport préliminaire confirme ces inquiétudes: les francophones sont sous-représentés dans les cercles décisionnels administratifs et économiques du Canada.


En réponse à ces sombres conclusions, Claude Ryan, directeur du journal Le Devoir, alors perçu comme la « bible des canadiens-français », décida d’associer son journal aux États généraux du Canada français, faisant ainsi exploser la portée des États généraux, jusqu’alors méconnus. Avec cette intervention, on a pu remplir la salle Wilfrid Pelletier de représentants de la francophonie pancanadienne. Cependant, la proportion de délégués québécois écrasait celle des autres canadiens-français. Ainsi, alors que tous s’entendaient pour octroyer une plus grande place au français partout au Canada, la majorité des propositions mises de l’avant valorisaient d’abord et avant tout le Québec.


C’est aux État généraux du Canada français que l’idée d’un Québec ayant comme unique langue officielle le français est née, de même que l’élaboration d’une Charte des droits et libertés qui sera plus tard reprise par l’Assemblée nationale et le Parlement.


Pour le reste du Canada français, ces décisions allaient à l’encontre de leur vision de la diffusion de la culture franco-catholique au Canada qui, selon eux, passait par un vaste réseau d’entreprises, de journaux et de communautés qui avaient comme point commun l’usage du français. Or, avec l’émergence de la question nationale au Québec, on se demandait comment, sans le vaisseau-mère, les satellites allaient-ils maintenir le cap?


Aujourd’hui, les résultats de cette fracture se perçoivent au quotidien. La récente élection de Doug Ford en Ontario a lancé une onde de choc au sein de la communauté franco-ontarienne, qui avait jusqu’alors toujours misé sur le gouvernement libéral pour assurer sa pérennité. Ce dernier a aussi supprimé le symbolique ministère des Affaires francophones, le déléguant à une autre ministre, Mme Caroline Mulroney.


Même l’unique province bilingue, le Nouveau-Brunswick, voit le français reculer. ICI Acadie a dû annuler l’unique débat des chefs francophone puisque le chef Blaine Higgs du Parti conservateur ne peut s’exprimer en français. Certains jeunes commencent même à exprimer leur dégoût pour le chiac, comme Roxann Guerrette, ancienne présidente de la Fédération étudiante de l’Université de Moncton, qui avait publié une lettre ouverte à ce sujet sur Facebook.


Toutefois, tous ne partagent pas cet avis: Catherine, jeune francophone qui a vécu toute sa vie dans un petit village près de Moncton au Nouveau-Brunswick, est fière de parler le chiac, mais reconnaît certaines difficultés que son patois peut poser à sa communauté. Elle relève entre autres le fait que le chiac peut parfois agir comme une barrière auprès des jeunes francophones de sa province et provoquer un manque d’ambition chez ces derniers. Cette apathie serait causée selon elle par un certain sentiment d’infériorité puisque le chiac n’est parlé qu’au Nouveau-Brunswick. « Avec seulement le chiac en poche, les gens sont intimidés par les gens d’ailleurs et n’osent pas faire de grandes choses, » dit-elle.


Catherine déplore également la lenteur des changements et le manque d’innovation dans sa communauté. Le manque d’opportunités attrayantes pour les jeunes les pousse à un exode vers d’autres parties du Canada. Avec l’arrivée d’Internet qui leur permet d’avoir une plus grande ouverture sur le monde, ce phénomène s’accentue, ce qui contribue au maintien du statu quo dans leur communauté d’origine.


Selon la Néo-Brunswickoise, le changement dont sa communauté a besoin passe par l’amélioration de l’éducation en français dans sa province. Elle est d’avis qu’il est nécessaire pour les jeunes francophones de chez elle d’apprendre le français international pour tirer avantage de certaines opportunités qui leur permettraient de progresser. Catherine croit que cela doit commencer d’abord et avant tout par un investissement important dans les universités du Nouveau-Brunswick et les services en français qui y sont offerts pour offrir plus de programmes et y améliorer la vie étudiante. « Il faut que les communautés francophones hors Québec commencent à se rassembler et à croire qu’il est possible de créer des films, des chansons, de vivre en Français. Qu’ils n’ont pas besoin d’aller à Montréal quand ils cherchent plus qu’une vie simple de village, » dit-elle.


Malgré tout, elle demeure fière de voir du progrès dans le milieu artistique avec entre autres la popularité grandissante de Jass-Sainte Bourque, « chasseuse de moose, pis une faiseuse de bandeau » qui produit des vidéos qui célèbrent le chiac, et la série télévisée les Newbies qui sera diffusée prochainement à Radio-Canada. Elle signale en effet qu’elle fait partie d’une communauté bruyante qui arrive à se sentir suffisamment protégée en élevant la voix et en rappelant à tous leur présence, notamment avec son annuel tintamarre du 15 août. Les efforts déployés par sa communauté pour se faire entendre portent fruit puisque Catherine se sent dans un pays bilingue dans sa vie de tous les jours, en soulignant toutefois qu’il reste du travail à faire, entre autres dans les provinces à plus forte densité anglophone du Canada.


Malgré quelques similarités, la situation est toute autre pour Annie, un jeune membre de la communauté métisse bilingue de St-Pierre-Jolys au Manitoba. En effet, cette dernière ne se sent pas vivre au sein d’un pays où le bilinguisme est réellement exercé. Elle relève que seulement 4% de la population du Manitoba est francophone, ce qui rend l’accès aux services en français particulièrement ardu.


Pour Annie, l’enjeu du français hors-Québec est double: il s’agit à la fois de préserver le français et la culture métisse francophone. Elle note que ce combat peut paraître particulièrement laborieux puisque certains membres de sa communauté éprouvent une certaine gêne par rapport à leur accent : «ma communauté et plusieurs communautés francophones au Manitoba se sentent comme s’ils sont trop francophones pour le Manitoba et trop anglophones pour le Québec à cause de notre accent qui est influencé du Michif. » Ce manque de réel sentiment d’appartenance envers l’ensemble des communautés francophones du Canada crée donc un certain isolement pour les Franco-manitobains. Elle déplore également le fait que l’attention soit presque exclusivement tournée vers les francophones du Québec ainsi que le manque de connections entre les communautés francophones hors-Québec.


La Franco-manitobaine aimerait également voir davantage de sensibilisation au sujet des communautés francophones et de leurs intérêts auprès des anglophones du Canada. « Comment est-ce qu’on peut défendre nos droits d’être francophones minoritaires quand la plupart du Canada ne sait même pas qu’on existe? »



17 vues0 commentaire
bottom of page