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James Cannon

Le « shutdown » et la frontière États-Unis-Mexique : Une crise fabriquée ?

Mardi soir, 40 millions d’Américains étaient devant leurs téléviseurs pour regarder le Président des États-Unis déplorer la « crise humanitaire » qui sévit à la frontière États-Unis-Mexique et réitérer son plaidoyer en faveur de la construction d’un mur pour freiner l’immigration illégale et l’entrée de drogue et de criminels au pays.


Il s’agissait de la toute première adresse à la nation de Donald Trump depuis le bureau oval de la Maison-Blanche, alors que le gouvernement fédéral terminait sa 18e journée de « shutdown » . Cette fermeture partielle du gouvernement fédéral perdure sur fond d’impasse budgétaire entre le Président et les démocrates, nouvellement majoritaire à la chambre des représentants. Au cœur du problème : le refus des démocrates de débloquer les 5.7 milliards de dollars que réclame le Président pour la construction du mur qu’il avait promis lors de l’élection présidentielle (ce mur qui, rappelons-nous, devait être payé par le Mexique).


En s’adressant directement au peuple américain, le président cherchait à convaincre la population du bien-fondé du mur et créer une pression populaire pour forcer les démocrates à retourner à la table des négociations. Bien que la nature solennelle de ce type de discours, récité à partir d’un téléprompteur, jure avec le style intempestif de l’ancienne vedette de la télé-réalité, ce dernier est resté fidèle à lui-même, cherchant à attiser la peur et enchaînant les affirmations trompeuses.


Prenons par exemple la déclaration du Président voulant que le mur soit nécessaire pour mettre fin à l’entrée en masse de drogues illégales au pays. Cette déclaration est démentie par nul autre que la Drug Enforcement Agency, qui affirme que la majorité des substances illégales qui traversent la frontière le font à des postes douaniers officiels cachés à l’intérieur de véhicules.


Surtout, l’idée même qu’il y ait une crise à la frontière sud des États-Unis est douteuse.


Il n’y a qu’à regarder les chiffres. Le Président râle sans cesse contre l’immigration « illégale ». Or, les statistiques du département de l’intérieur des États-Unis démontrent que les arrestations de personnes tentant d’entrer de manière clandestine à la frontière sud ont diminué de manière importante depuis le début du siècle. En 2018, les agents frontaliers américains auraient appréhendé 396,495 personnes entrant de manière irrégulière au pays. Si ce chiffre est plus important que les 303, 916 appréhensions enregistrées en 2017, année un de la présidence Trump, il est nettement inférieur aux 1.6 million de personnes appréhendées en l’an 2000.




Fait intéressant, toujours selon le département de sécurité intérieur des États-Unis, la majorité des immigrants illégaux qui résident aux États-Unis y entrent de manière légale, mais y résident illégalement en y demeurant après l’expiration de leurs visas. De ceux-ci, les canadiens (!) seraient les plus nombreux, suivi des mexicains. Faudrait-il construire un mur à la frontière Canada-États-Unis ?


Là où il y a eu une augmentation ces dernières années aux États-Unis, c’est dans le nombre de demandes d’asile. Selon un rapport du Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, le nombre de demandes d'asile a doublé de 2014 à 2016 pour atteindre les 262,000. Cette tendance a continué sous l’administration Trump, le nombre de demandes atteignant 331,700 en 2017. Ces demandes viennent pour la plupart de familles cherchant à fuir la violence qui ravage l’Amérique centrale, notamment le Honduras, le Guatemala et l’El Salvador. Pas exactement le portrait type de criminels et de trafiquants de drogue dressé par le président.


N’en déplaise à ce dernier, le fait est que toute personne possède le droit de demander l’asile, que ce soit à un poste frontalier désigné ou ailleurs. Tant les conventions internationales que le droit américain confèrent aux personnes qui traversent de manière irrégulière une frontière une protection contre les sanctions pénales et la déportation, dans la mesure où ces derniers se livrent aux autorités et exposent une crainte légitime de persécution. Il n’y a rien d’« illégal » à demander l’asile. Pour sa part, le gouvernement n’a pas à octroyer l’asile automatiquement, mais il ne peut pas sommairement refuser et refouler une personne non plus.


L’augmentation de ces demandes n’est certes pas attribuable au Président des États-Unis. Cependant les politiques de son administration ont rendu la vie indéniablement plus difficile pour les femmes et les enfants qu’il identifie lui-même comme les premières victimes de cette « crise » à la frontière et du système d’immigration « brisé » des États-Unis.


En mai et juin dernier, trois milles enfants ont été séparés de leurs parents arrêtés pour avoir tenté d’entrer illégalement aux États-Unis dans le cadre de la politique de « tolérance zéro » du Président et de son ex-secrétaire à la Justice, Jeff Sessions. Ce faisant, le président a rendu systématique une politique qui était possible sous l’administration Obama, mais rarement utilisée. Le Président a mis fin à la politique de séparation le 20 juin 2018, mais seulement après que l’indignation du public et la couverture médiatique ne l’aient rendu intenable.


Toujours au mois de juin, l’ex-secrétaire à la Justice du président a renversé une politique adoptée par l’administration Obama qui permettait aux victimes de violences conjugales ou de la part gangs de rues de bénéficier de l’asile.


Et plus récemment encore, au mois de novembre, l’administration Trump a émis un décret interdisant aux immigrants qui entrent ailleurs qu'à un point d’entrée désigné de demander l’asile. Rapidement contestée, cette mesure fut bloquée temporairement par un juge fédéral avant d’être jugée sur le fond. Dans l’attente d’une décision finale, les agents frontaliers ont commencé à refouler des personnes souhaitant effectuer des demandes d’asile aux points d’entrée désignés, forçant ces derniers à attendre des semaines et parfois des mois en territoire mexicain avant de pouvoir entamer leurs démarches. Les migrants n’ont d’autres choix que d’attendre leur tour dans des camps de fortune au nord du Mexique, sans savoir quand - et même si- leur tour viendra. C’est dans ces conditions que quelques 500 migrants ont tenté d’entrer de force aux États-Unis, fin novembre 2018, seulement pour être repoussés par les agents frontaliers à l’aide de gaz lacrymogènes.


Donald Trump affirme qu’il y a une crise humanitaire à la frontière sud des États-Unis. Ce discours de crise lui sert politiquement, alors qu’il cherche à réaliser une de ses promesses électorales phares avant la prochaine élection présidentielle de 2020. Mais dans la mesure où il y a bel et bien une crise, ses politiques n’y sont pas étrangères.


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