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Hector Olivares

Lettre ouverte d’un vénézuélien à Monsieur Jagmeet Singh


« C’est à la population du Venezuela de choisir qui dirige le Venezuela », c’est l’affirmation que vous faites en réponse à la position d’Ottawa de reconnaître Juan Guaido comme président par intérim du Venezuela. Vous avez aussi suggéré que notre gouvernement libéral, au lieu de s’immiscer dans les affaires internes vénézuéliennes, devrait se préoccuper davantage de coopérer en offrant de l’aide humanitaire.



Monsieur Singh, voilà une position qui, du point de vue d’un lecteur moyen pas trop informé sur la situation vénézuélienne, pourrait vous donner raison. Par exemple, qui pourrait se montrer contre le droit d’un peuple à décider souverainement de son avenir? Qui pourrait nier l’idée d’offrir du secours à un peuple qui meurt de faim et en pénurie de médicaments? Encore plus, qui pourrait être favorable à l’interventionnisme étranger? Si votre but était d’obtenir des applaudissements, je suis sûr que vous en avez eu tout de même. Je vous comprends, mais en agissant comme vous l'avez fait, vous avez oublié une partie importante de votre auditoire: les Vénézuéliens.


Nous sommes maintenant plus de 3 millions de Vénézuéliens exilés ici et ailleurs. J’imagine donc que vous savez que l'exil n’est pas un acte tout à fait volontaire. Car personne n’aime quitter son pays d’origine pour passer des années sans voir sa famille et pour recommencer sur une terre inconnue, ce qui est en effet mon cas, Monsieur Singh. J’ai dû quitter le Venezuela en 2014 puisque la police secrète du régime de Maduro, le SEBIN, m’avait arrêté et détenu pendant dix heures pour me libérer ensuite sous la menace de servir comme espion contre le maire pour qui je travaillais alors. Vous concevrez bien qu’un pays qui arrête quelqu’un pour le simple fait d’être un opposant n’est pas un pays démocratique et, pourtant, là n’est pas le pire de tout. Il y a aussi des morts, des gens torturés et plus de mille prisonniers politiques qui, encore aujourd’hui, demeurent aux mains de ce même régime, la dictature de Maduro.


Le Venezuela s’est retrouvé sous la loupe des médias mondiaux. Pourtant, la crise politique vénézuélienne n’est pas de récente date. Notre nation est immergée dans une longue catastrophe sociale et politique depuis 1999 et ce n’est pas la faute des États-Unis, c’est en fait le résultat de l’imposition d’un modèle qui a fait du pays le plus riche de l’Amérique latine un pays aujourd'hui en ruine. Tout cela à cause de l’instauration d’un régime socialiste. Il faut dire sur ce sujet que malgré les évènements de ces dernières années, je n’avais jamais lu une déclaration de votre part pour soutenir le peuple vénézuélien qui souffre tous les jours, depuis des années. Votre position contraste avec la position ferme et cohérente qu'a eue le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau face à la dictature de Nicolas Maduro.


Monsieur Singh, au Venezuela il n’y a plus de démocratie. En conséquence, le peuple n’a pas la possibilité de s’exprimer comme il le veut dans des élections libres. Jamais au Canada on ne pourrait imaginer que le gouvernement au pouvoir mette en prison ses opposants, les envoie en exil ou les empêche de participer aux élections. Si vous ne le saviez pas Monsieur Singh, tout cela s’est passé et se passe actuellement dans mon pays d’origine. Si la prise de position canadienne et américaine correspond alors à un « coup d’état » (ce sont là les propos d'un triste message partagé sur Twitter par votre députée, Niki Ashton), il faudrait plutôt parler du coup d’état de Maduro, accompli avec l'aide de ses juges et qui ont vidé de ses compétences l’Assemblée nationale élue par 14 millions de Vénézuéliens en 2015 parce qu'elle était alors passée aux mains de l'opposition pour la première fois depuis l'Élection de Chavez en 1998. Le président de cette Assemblée légitime, mais contournée par le régime au pouvoir, Guaido, ne fait que suivre ce que dit la constitution vénézuélienne à ses articles 233 et 350.


Ce même régime de Maduro a nié la possibilité d’avoir de l’aide humanitaire. Peu importe pour ce gouvernement que des Vénézuéliens meurent à cause de la famine et de la pénurie de médicaments. Une pénurie qui n’a pas non plus son origine dans les mesures de rétorsion adoptées par la communauté internationale contre des fonctionnaires et des militaires au pouvoir, contrairement à ce que prétend la dictature maduriste. Vous en conviendrez avec moi, Monsieur Singh, que tout régime qui invoque constamment certaines nations étrangères comme la source de tous leurs maux est un régime qui ne respecte pas sa population. Pourrait-on voir le Canada constamment faire de même pour justifier tout problème économique et social?


Finalement, je dois vous dire, Monsieur Singh, que je me sens très déçu par vous et votre parti. De fait, j’ai plusieurs motifs de l’être. Déçu d’avoir été bénévole pour le NPD aux élections de 2015, d’avoir invité des gens à voter pour une organisation politique qui ne se préoccupe pas vraiment des droits de la personne dans le monde et qui paraît plus attachée à des positions idéologiques. Il ne s’agit pas pour le Canada de suivre la politique extérieure des États-Unis, il s’agit de remplir un devoir moral de tout pays civilisé face à la violation des droits de la personne. Moi, comme natif du Venezuela, je vous demande du respect et, je l'espère, une rectification de votre position au nom de tous ceux qui souffrent et meurent dans mon pays d'origine.


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