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Jérôme Coderre

La solidarité au temps de la COVID-19


Barcelone. 5 août 1992. C’est la demi-finale du 400 mètres aux Jeux olympiques. « La longue mort », comme plusieurs la surnomme, puisque c’est la plus longue course qui se fait en véritable sprint. Sur la ligne de départ, Derek Redmond, champion britannique sur la distance. Départ. Il s’élance. À mi-parcours, Redmond file tout droit vers la finale. Après 250 mètres, c’est l’hécatombe. Redmond se déchire l’ischio-jambier de la cuisse droite, et s’effondre. En un instant, son rêve d’être champion olympique part en fumée. Au lieu de rester au sol, terrassé par la douleur, Redmond se relève et tente de franchir les 150 mètres les plus douloureux de sa carrière. Quelques instants plus tard, un homme surgit des estrades et s’en va l’aider. C’est son père, qui lui servira de béquille pour le reste du trajet. La foule se lève; c’est l’ovation dans le stade. Les gens saluent le courage de Redmond, mais surtout, l’admirable geste de solidarité inattendu d’un père envers son fils.

Maintes fois citée, cette histoire est la première qui m’est venue en tête quand j’ai appris que le thème de cette édition du Pigeon serait, sans grande surprise, celui de la solidarité. Malheureusement, le report des Jeux olympiques nous empêchera d’assister à ce genre de moment fort en émotions que seul cet événement mondial permet de créer. Le sport a cette capacité à créer instantanément des moments inoubliables. N’empêche, cette crise mondiale de Covid-19 est aussi, par la force des choses, un événement historique, et est tout aussi propice à créer, elle aussi, des moments inoubliables empreints de solidarité et de courage.

J’ai parlé dans ma plus récente chronique web des méfaits sociaux qu’amène cette paralysie généralisée. Vous avez été nombreux à m’écrire pour me dire à quel point mon message vous rejoignait. Ce fût une forme de catharsis pour moi de l’écrire, tant mieux si c’en fût une pour vous aussi de me lire. Et autant le message d’alerte que j’envoyais reste plus que jamais pertinent, autant aujourd’hui, j’ai le goût d’être positif et de vous parler du plus beau que tout cela nous amène.

À commencer par tous ces gens, mes amis, mes parents, mais vous tous au fond, qui réussissez, d’une panoplie de façons, à rester solidaires pendant cette crise. J’ai toujours prôné que jamais les contacts virtuels ne remplaceront l’interaction humaine. Je le pense encore, mais j’admire comment les gens se servent de la technologie pour combler la carence affective qu’amène cette période de distance imposée. Le grand paradoxe de cette crise, c’est celui d’avoir le temps d’appeler nos proches pour leur demander quoi de neuf alors qu’il n’y a justement, pas beaucoup de neuf. Continuer à prendre de leurs nouvelles après, ça serait peut-être une bonne idée, non?

La solidarité, je la vois aussi chez tous ces gens qui continuent de faire tourner notre planète pendant que nous prenons tous une pause, entièrement dépendants de ceux et celles que le gouvernement qualifie d’essentiels. Trop souvent l’expression « services essentiels » ne servait qu’à qualifier ceux qui désiraient faire une grève pour faire pression dans leurs négociations syndicales, mais dont le clapet était aussi vite coupé, du fait qu’ils étaient, justement, des « services essentiels ». Aujourd’hui, l’expression prend tout son sens et notre gratitude envers eux ne devrait pas s’arrêter le jour où nous redeviendrons tous peu à peu des « services ». Alors, comme plus d’un, à moi de vous lever mon chapeau.

Il y a aussi tous ces bénévoles qui aident les plus démunis, qui brisent le confort sanitaire de leur quarantaine pour briser l’isolement de ceux qui ont encore beaucoup plus de raisons de se sentir seuls et sans ressources. Mais aussi tous ces bénévoles improvisés et épisodiques qui prêtent main-forte aux gens de leur communauté, en faisait l’épicerie d’une personne âgée, par exemple. Ou encore ces entreprises qui mettent à profit leur ingéniosité pour fournir à la société du matériel médical tant nécessaire actuellement.

La solidarité, c’est aussi celle des chercheurs qui travaillent jour et nuit, souvent sous-financés, pour trouver le fameux remède à ce virus. Ignorés lorsque la santé collective n’est pas source de préoccupation, ils sortent de l’ombre en ces temps difficiles et nous donnent raison de s’accrocher à une sortie de crise qu’on espère imminente.

La solidarité, elle s’incarne aussi chez nos dirigeants, ici comme ailleurs. Rarement notre destinée collective n’a autant été entre leurs mains (en plus des médecins, cela va sans dire). Inutile de répéter que nos succès à enrayer ce virus passent beaucoup par les décisions que prennent nos leaders. Une politique publique réfléchie, raisonnée, scientifique et empathique permet plus que jamais de sauver des vies. On entend souvent que nos actions au quotidien auront un impact important sur la suite des choses. C’est vrai. Mais du sérieux de nos dirigeants prend naissance notre volonté à faire notre part. Un gouvernement investi de la mission de sauver sa population devient un point de ralliement pour nous tous, solitaires, mais solidaires, plus que jamais.

Alors pour Legault et Cuomo qui se présentent chaque jour au podium, rassurants et inspirants. Pour le docteur Arruda qui prend son rôle très à cœur. Pour Angela Merkel qui termine ses discours en demandant à ses citoyens de prendre soin d’eux et de leurs proches. Pour Giuseppe Conti qui dirige habilement et calmement un pays quasi-ingérable, l’Italie. Pour Andy Beasher, ce gouverneur jusque-là inconnu du Kentucky qui a mis de côté la partisanerie pour dresser les grandes lignes de l’ambitieux plan d’aide économique des États-Unis. Et pour tous ces autres, loin des caméras, ou du moins de mon champ de vision, qui incarnent le leadership qu’on souhaite tant avoir par les temps qui courent.

Yuval Noah Harari, auteur du livre à succès Sapiens, rappelait récemment [1] l’importance de la coopération internationale pour sortir de la crise. Comme il le disait si bien, la découverte d’un médecin à Milan le matin, sauvera des vies le soir à Téhéran. Il en appelait aussi à une gestion plus humaine et communautaire des ressources médicales. Comme le Canada, qui envoyait le mois dernier des masques médicaux en Chine, et la Chine, à son tour, qui nous en envoie cette semaine. Aider les autres pays à combattre le virus localement, c’est aussi s’aider nous-mêmes. Si la globalisation avait besoin d’un argument de vente, alors la preuve de sa nécessité n’est plus à faire.

Finalement, inspiré par cette solidarité omniprésente, à mon tour de l’être pour Grecia, qui signe le dernier journal de son fabuleux mandat de rédactrice en chef. Avec qui travailler fût un immense bonheur. Aussi, pour la nouvelle équipe du Pigeon que je côtoie uniquement virtuellement, mais avec qui l’envie de travailler ne fait que s’accroître quotidiennement. Pour vous, lecteurs.trices, qui croyez en l’importance d’un journal facultaire et qui nous donnez une raison de continuer à écrire. Sans oublier Flo et tous ces autres qui me corrigent et m’inspirent dans la rédaction trop souvent dernière minute de mes articles. Merci !


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Source : [1] https://www.ft.com/content/19d90308-6858-11ea-a3c9-1fe6fedcca75



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