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Anne-Frédérique B. Perron

Solidarité et luttes autochtones : Discussion autour du rôle de l’allié

Avec la collaboration de Jean Leclair, professeur du cours « Le Droit et les autochtones » et Moira-Uashteskun Bacon, Innue et VP-Événement du Comité Droit Autochtone

L’actualité des derniers mois a révélé un certain capital de sympathie envers les causes autochtones dans la population canadienne en général. Devant ce constat, j’avais envie de parler du rôle de l’allié aux luttes autochtones avec mon amie et collègue Moira-Uashteskun Bacon, originaire de Mashteuiatsh, et avec le professeur Leclair qui ont tous les deux gentiment accepté mon invitation. - Anne-Frédérique : Avant tout, je serais curieuse de savoir, qu’est-ce que c’est un allié selon vous? - Moira : Je ne suis pas une experte sur le sujet, mais je peux donner ma définition personnelle, soit la sorte d’allié que, moi, j’aimerais avoir à mes côtés. Pour moi, de façon générale, un allié est quelqu’un qui te soutient et t’épaule, qui t’aide à t’avancer dans tes démarches. - Anne-Frédérique : Je ne suis pas experte non plus, mais je pense qu’il y a, à la base du concept, une dimension d’écoute : l’écoute de leur réalité, l’écoute de leur histoire, l’écoute de leurs revendications, l’écoute de comment on peut les aider. Il y a aussi une notion d’ouverture. Il faut prendre conscience qu’on a grandi dans un système colonisé et qu’on nous a présenté une vision de notre monde et des Autochtones qui était fausse. - Professeur Leclair : Pour ma part, je pense que la principale chose qui fait un allié est le lien de confiance. Ce lien passe par le fait d’admettre qu’il y a peut-être une part de ce que l’autre me dit que je ne suis pas nécessairement en mesure de comprendre, car sa réalité n’a jamais été la mienne. La confiance est non seulement le fait d’essayer de construire une compréhension mutuelle, mais aussi, comme dit Moira, de soutenir l’autre dans ses projets. C’est à ce moment qu’il est important selon pour moi de distinguer deux formes d’alliances. Il y a l’alliance militante qui serait seulement axée sur le fait de soutenir une communauté dans ses projets, quels qu’ils soient. Il y a aussi l’alliance en tant que chercheur qui, elle, peut devenir parfois plus compliquée. Comme chercheur, on peut avoir des objectifs légitimes qui ne sont pas toujours les mêmes que ceux de la communauté. - Moira : Le rôle d’allié varie aussi en fonction de qui tu supportes. L’aide que tu peux apporter à une personne ne va pas être nécessairement la même aide que tu peux apporter à une autre personne. La lutte pour les causes autochtones n’est pas une lutte qui est uniforme. Il faut s’adapter aux motivations et aux objectifs de chacun. - Professeur Leclair : Pour renchérir sur ce que Moira dit, si j’en juge par une étude faite pour la Commission royale en 1996, on peut dire, en simplifiant les choses, que les communautés sont souvent séparées sur la base de deux grands objectifs en ce qui concerne leur épanouissement : le premier veut qu’il faut commencer par le healing, tandis que le deuxième met l’accent sur l’autodétermination. Si l’on prend juste ces deux grands objectifs, la perspective du rôle d’allié va être complètement différente. Cela étant, être allié c’est aussi s’adresser aux non-Autochtones; servir d’intermédiaire entre les communautés et le grand public qui est souvent ignorant et rempli de préjugés. Dans ce contexte, quand j’écris par exemple sur les Wet’suwet’en, j’essaie d’être le plus neutre possible et d’expliquer la légitimité et la complexité des positions à la fois des chefs héréditaires et des chefs des conseils de bande. - Anne-Frédérique : En parlant des Wet’suwet’en, on a vu des individus monter des barricades en appui à la communauté, mais qui comprenaient mal l’enjeu en cause en lui donnant uniquement une essence environnementale. Ceci rappelle qu’il ne faut pas se mobiliser en suivant ses propres motivations, car ceci peut donner à la lutte une orientation qui s’éloigne de celle désirée par les Autochtones. - Professeur Leclair : Je me souviens d’avoir entendu une jeune femme non-autochtone dans la région de Saint-Hilaire où une barricade avait été érigée. À l’entendre parler, les Autochtones étaient les dieux de la nature intouchée. Je m’excuse, mais les Autochtones vivent du territoire. Ils se retrouvent souvent en confrontation avec les groupes environnementalistes. Il ne faut pas essayer d’être plus autochtone que les Autochtones. En même temps, ce qui est paradoxal, c’est que si des gens comme cette jeune femme n’étaient pas allés sur les barricades, il n’y aurait pas eu, en trois jours la négociation d’une entente, avec les chefs Wet’suwet’en. Il y a un penseur français que j’aime beaucoup qui a déjà dit qu’en politique, on ne choisit pas ses amis. Autrement dit, on peut choisir ses ennemis, mais non ceux qui veulent nous appuyer. Quand les Autochtones mobilisent un discours environnementaliste, comme ils le font régulièrement, ils ne doivent pas s’étonner de voir des gens arriver qui n’ont pas la même finalité qu’eux. Ça reste un problème. - Anne-Frédérique : Je pense que si notre but est d’être un bon allié, il est important de se demander personnellement si l’on n’utilise pas la cause pour nos propres fins. Surtout dans le contexte actuel où la lutte environnementale gagne en importance. Le problème demeure que certains environnementalistes voient la cause autochtone comme une opportunité d’alliances sans en connaître véritablement les bases. Oui, la convergence des luttes peut s’avérer utile dans certains contextes, mais dans d’autres, elle peut noyer les messages initiaux.

- Moira : Je suis totalement d’accord. Avoir toujours le réflexe de jumeler les luttes environnementales avec les luttes autochtones peut effacer les enjeux autochtones qui ont parfois moins de représentants. Il faut faire attention de ne pas mélanger les deux. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’avant d’appuyer les luttes autochtones, tu dois t’informer pour savoir si c’est vraiment ceci que tu veux appuyer et non une autre chose. - Anne-Frédérique : C’est intéressant ce que tu dis, car je pense que ces personnes qui souhaitent les appuyer ne sont pas nécessairement de mauvaise foi, mais sont peut-être mal informées. Cela étant, s’éduquer est un volet qui revient souvent quand on parle d’allié. Pour vous, que veux dire s’éduquer quand on est allié? - Moira : En fait, s’éduquer à mon avis c’est s’informer aux sources. Avant de voir les interprétations des gens sur la lutte, c’est important d’aller voir les porteurs de cette lutte, d’écouter leurs explications. Par la suite, il est sûr qu’on peut s’aider en allant voir les interprétations des autres. Au-delà de ceci, il y a aussi l’obligation de s’informer sur le contexte général sociopolitique des personnes que tu veux appuyer. S’informer sur la culture aussi est primordial, car quand tu es avec eux, c’est important de respecter leurs traditions et de ne pas embarquer par-dessus. - Professeur Leclair : Ma position d’allié part du principe que je ne connais probablement pas grand-chose de la communauté de mon interlocuteur. C’est pour cela que j’aime mieux soulever des questions et répondre à celles qu’on me pose en disant bien que je réponds à ces questions de la perspective d’un francophone blanc qui a grandi à Montréal. Je suis donc plutôt dans une position d’attente. - Anne-Frédérique : Je pense que ce que vous avez soulevé tous les deux rappelle que l’éducation est un processus constant. C’est important de garder une vision de notre rôle d’allié comme une personne en apprentissage. Par ailleurs, une question que je me pose souvent est si un allié a le droit d’être critique envers les causes autochtones ? - Moira : J’ai pour mon dire que chacun a le droit à son opinion. Tant que tu n’imposes pas ton opinion aux autres, les gens ont le droit d’avoir leur opinion sur les luttes autochtones. Par exemple, on peut penser qu’un projet dans une communauté est mal mené et qu’il est dû pour tomber à l’eau. Par contre, le projet leur appartient. Au pire, ça va tomber à l’eau, le groupement s’en rendra compte par lui-même et va apporter les modifications nécessaires. - Professeur Leclair : Il y a un livre de Max Weber que j’aime beaucoup qui s’intitule « Le Savant et le Politique ». C’est exactement de ce dont on parle. Weber fait la différence entre une éthique de responsabilité et une éthique de conviction. L’éthique de conviction, c’est celle de l’allié qui va aller uniquement dans le sens de l’objectif de la communauté par exemple. L’éthique de responsabilité, c’est celle de l’allié qui se dit à un moment « Je ne peux pas aller plus loin, je ne peux pas t’encourager à faire telle chose ». Si la communauté à une finalité « X », une position d’allié qui est fondée sur une éthique de responsabilité, c’est de dire à la communauté « Tu choisis cette voie, soit. Je ne te critique pas, mais je te dis qu’en toute logique, telles sont les conséquences probables ». C’est cette position que j’adopte. Un allié, c’est aussi quelqu’un qui va bousculer celui qui est devant lui. Il va lui dire « As-tu pensé à… ? ». Dans le respect et la confiance, on peut parfois, comme non-autochtone, soulever des questions. - Anne-Frédérique : C’est intéressant ce que vous dites, car on se rend compte que la façon dont vous utilisez la critique et non seulement une façon de remplir votre rôle d’allié, mais elle devient un outil pour les communautés. - Professeur Leclair : Cela étant, je garde toujours à l’esprit ce dont j’ai parlé tantôt à savoir ma complète ignorance de la culture autochtone. Peut-être que je n’approuverai pas les choix qu’ils vont faire, je ne les trouverais pas éclairés, mais ça leur appartient. - Moira : C’est sûr que la réception de la critique va dépendre de celui qui l’émet. Si elle vient de quelqu’un qui comprend bien son rôle d’allié et qui est reconnu comme tel par le groupement, la critique va sûrement être mieux reçue que quelqu’un qui ne comprend pas la notion d’allié et qui adopte une approche davantage paternaliste. - Anne-Frédérique : Tu parles de reconnaissance du rôle d’allié qui est un aspect important, je pense. Il y a des Autochtones qui, avec raison, sont profondément marqués par ce lourd historique colonialiste et qui ne sont pas prêts à avoir des alliés. Comment faut-il se comporter comme allochtone lorsqu’un Autochtone n’est pas prêt à être soutenu par un allié ? - Moira : Au sein d’un groupe hétérogène, c’est une question plus difficile. Je pense par contre qu’il faut respecter cette crainte et prendre de la distance. Ce n’est pas un allié qui va effacer ça. Si la personne devient craintive dans son propre combat, le mieux à faire est de la laisser mener son combat. Malgré toute l’aide que l’allié pourrait apporter, c’est important de prendre de la distance. - Anne-Frédérique : En terminant, on sait que l’allié n’est pas un combattant de première ligne et donc ce n’est pas à lui d’engager les mobilisations. Selon vous, est-ce qu’un allié a le droit de prendre des initiatives ? - Moira : On a eu une discussion sur le sujet entre les étudiants fréquentant le salon Uatik dans le contexte des mobilisations en soutien aux Wet’suwet’ens. On a entendu parler de personnes qui voulaient barricader le Local Local en guise de support. Si ça l’avait été l’initiative d’Autochtones, on aurait probablement embarqué. Par contre, il s’agissait de personnes dont on ignorait si elles étaient informés et elles ne nous ont jamais consultées. La manière dont ceci a été mené nous donnait l’impression que les initiateurs le faisaient pour le trip de faire des barricades. Pourtant, les prétentions pour lesquelles ils font ces agissements vont avoir un impact sur notre vie. Ce sont nos luttes qui touchent notre quotidien. Je pense qu’on a quand même le droit de faire nos propres initiatives et demander de l’aide quand on en a besoin. - Professeur Leclair : On a tellement fait de recherches sur les Autochtones sans leur demander leur point de vue. On ne peut pas en plus se mettre à prendre des initiatives sans leur demander leur point de vue, surtout celles qui ont des impacts politiques. Cela ne veut pas dire que si j’étais proche d’une communauté, je ne leur suggérerais pas des stratégies, mais j’attendrais leur autorisation avant d’agir. - Anne-Frédérique : C’est intéressant que vous précisiez des initiatives qui ont surtout un impact politique. Avec des collègues, on réfléchissait sur le fait que le Comité droit autochtone de la Faculté a été créé sans aucun Autochtone. On s’est demandé si c’était délicat comme geste ou c’était plutôt légitime? - Professeur Leclair : C’est vrai que c’est une bonne question, car on ne se trouve plus dans le militantisme, mais dans l’information, bien que l’information soit une forme de militantisme. Il faut admettre qu’il y a des cas où des gens, comme vous et moi, font partie d’institutions de pouvoirs. La Faculté de droit forme des gens qui ont du pouvoir. Aussi, en tant que professeur, j’ai un certain pouvoir sur mes étudiants. On a une responsabilité lorsqu’on est titulaire de pouvoirs influents dans la société. Dans cet esprit, je pense qu’il y a des initiatives qu’on doit prendre sans attendre d’avoir l’aval des Autochtones. Par exemple, je pense que j’avais un devoir de créer un cours sur le droit autochtone, car c’est une réalité importante pour des futurs juristes. On parle ici d’informations données au public en général. - Moira : Ces initiatives à titre informatif peuvent être prises aussi si tu te rends compte que tu es un informateur intermédiaire dans un certain sens. Si tu donnes en tant qu’allié de l’information qui provient d’une source autochtone, je pense qu’il s’agit d’une initiative qui peut être prise. J’insiste encore sur le fait que l’allié n’est pas expert et qu’il doit éviter l’approche paternaliste.

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